Le syndrome de "polyphasie cognitive" touche aussi l'entreprise

Sylvia Di Pasquale

Une étude met en avant le pessimisme des Français, mais aussi leurs contradictions qui les font penser d’une manière, agir à l'inverse, ou vice versa, en s’emmêlant dans leurs propres convictions. Cette « polyphasie cognitive » décrite dans l’étude Ipsos intitulée « Perdus ensemble » est le fruit de l’angoisse face à l’avenir de nos sociétés, et elle a, entre autre conséquence, d’être un casse-tête pour les entreprises et ceux qui managent.

Tournez méninges ! Dessin de Charles Monnier

Le syndrome de "polyphasie cognitive" touche aussi l'entreprise
Tournez méninges ! Dessin de Charles Monnier

Est-ce la faute au souvenir du Covid bien ancré, au climat désordonné, au pouvoir d’achat ratiboisé ou au retour de la guerre qui les a terrifiés ? Toujours est-il que les Français sont totalement perturbés, du moins, les 4 500 d’entre eux interrogés par l’Ipsos dans son étude biennale bien nommée « les 4 500 » qui décrypte en profondeur la société française.

 

Et, pour le moins, l’état d’esprit des sondés est très en deçà du niveau de flottaison de l’optimisme. Les Français sont pessimistes pour à peu près tout ce qui les entoure.

  • Le monde tel qu’il va ? Les trois quarts d’entre eux lui voient un avenir en noir, une vision sombre en hausse de 18% par rapport à l’étude précédente.
  • Leur pays ? Ils sont deux tiers à penser qu’il va mal.
  • Ils sont 85% à souffrir de la fracture sociale et 66% d’une autre fracture, générationnelle celle-là.
  • Gardent-ils néanmoins un élan de solidarité ? Pas du tout : 70% d’entre eux n’ont pas confiance en les autres.

Et dans ce chaos, qui a de quoi déprimer 68 millions de Français, les 4 500 laissent apparaitre un curieux symptôme dont ils semblent souffrir : la "polyphasie cognitive". L’affaire n’est pas toute nouvelle, elle a même été pointée il y a plusieurs décennies par le chercheur Serge Moscovici (le papa de Pierre, disparu en 2014), mais elle prend tout son sens ces temps-ci.

Pris dans le maelstrom d’une société fracassée, les Français ne choisissent  plus, ils grapillent à droite et à gauche (au sens figuré comme littéral). La polyphasie, c’est « l’en même temps » présidentiel porté à son paroxysme.

Comme le souligne Thibaut Nguyen, directeur Tendances et Prospective chez Ipsos, les interrogés peuvent avoir des affinités politiques très différentes « et voter Jadot pour l’écologie, le RN pour la sécurité et LREM pour les finances ». Ils sont contre la mondialisation, mais plébiscitent les objets technologiques importés, tout en considérant que les progrès des mêmes technologies détruisent nos vies. 60% des interrogés sont d’accord pour changer leurs moyens de déplacement, mais 75% estiment que leur voiture est indispensable.

 

Manque de cohérence, perte de repères ? Peut-être, mais cette attitude est surtout en phase avec une époque qui elle-même manque diablement d’ancrages et de chemins tracés. Quelle que soient les causes de cette pandémie de polyphasie cognitive, on mesure la difficulté que rencontrent les entreprises.

Leurs responsables doivent faire face à des salariés « poly » en quête de sens, fracturés par des problèmes éthiques, et en même temps, capables de déplacer des montagnes pour faire avancer un projet, sous la houlette de managers qui prient pour que la première pensée ne l’emporte pas sur la seconde.

 

Des managers qui, ces temps-ci, tentent de faire revenir des collaborateurs au bureau, alors qu’ils se sentent mieux protégés dans leur cocon de télétravail et affichent une pensée écologiste. « Revenir, pour polluer en me déplaçant, vous y pensez à la planète ? » Les mêmes pétris de pensées pour la planète qui, en revanche, viennent d’acheter une climatisation pour se rafraichir pendant les épisodes de canicule intense et ne seraient pas contre ce petit séminaire de trois jours à Punta Cana en charter.

Des managers encore, et des DRH, qui doivent faire face à des salariés pour qui la légitimité d’un supérieur et la grande famille de l’entreprise n’ont plus de sens, puisque tout se confond et tout se mélange : la fin du monde et la fin du mois, mon entreprise et celle d’à côté, mes collègues et mon chez moi. Dans le chaos, on adopte généralement un réflexe de repli sur soi.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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