C’est une petite musique qui monte depuis quelques années. Le salariat deviendrait un truc de boomers, une notion morte et enterrée pour les moins de 35 ans qui ne rêvent que d’une chose : être freelance. Pourtant, à en croire la dernière étude de l’Apec, la vérité semble plus nuancée. Par souci d’objectivité, il n’est pas question de titrer « Non le salariat n’est pas mort » comme le fait l'Association. D’autant que, désormais, quasiment la moitié des jeunes de moins de 35 ans trouvent plus d'inconvénients au salariat que d'avantages.
Une bonne image du salariat, mais il y a un « mais »
Bien sûr, les 650 jeunes interrogés dans l’étude* ont plutôt une bonne image du salariat, du moins 80 % d’entre eux. Un score cependant inférieur à celui de leurs ainés confrontés à la même question.
Les moins de 35 ans associent le salariat aux mots « sécurité » « salaire » « stabilité ». Ils estiment qu’il y a du bon dans le contrat classique et en premier lieu, évidemment, le salaire régulier (pour 60 % d’entre eux), suivi des congés payés (42 %) et la protection sociale (40 %).
Mais ces pourcentages posent question. Ainsi, les vacances payées ne seraient pas majoritairement approuvées ? Ainsi, les jeunes, dont on nous disait qu’ils aspiraient à plus de vie perso n’en auraient cure ? En fait, ils ne comptent pas sur le salariat pour ça, puisqu’ils ne sont que 24 % à penser que cette forme de travail leur permet de séparer la vie personnelle de la vie professionnelle.
Les reproches faits au salariat par les jeunes
Si le salariat ne sied donc que relativement au moins de 35 ans, tranchent-ils plutôt en faveur de l’indépendance ? Oui et non, comme si les jeunes de France étaient tous Normands. Ils apprécient le salariat, mais trouvent que la formule a des inconvénients. Seuls 47% lui trouvent plus d’avantages que l’indépendance, alors que tous les salariés plus âgés répondent favorablement et majoritairement à cette question.
Le travail indépendant ? Oui mais…
Mais du coup, sont-ils sur le départ vers l’auto-entreprise ? Pas exactement, ou du moins pas tous, ou du moins pas tout de suite. Ils ne sont certes que 48 % à s’accrocher au statut de salarié – le score le plus bas de toutes les tranches d’âge. Mais pour autant, seuls 15% préfèreraient être indépendants. Les 37% restants sont plutôt dans une forme d’hésitation. Ils veulent bien renoncer au salariat, mais sous certaines conditions seulement.
Une indépendance fantasmée
Les raisons de cette valse-hésitation se trouve peut-être dans les reproches que les moins de 35 ans adressent au modèle du salariat, et donc, estiment qu’ils pourraient les transformer en avantage en devenant indépendants. En premier lieu, à 35%, figure le poids de la hiérarchie pour les salariés. Presque au même niveau, on retrouve le manque de liberté dans l’organisation et la prise de décision, ainsi que le manque de reconnaissance. Finalement, le fait de travailler au bénéfice d’autres personnes n’arrive qu’en 4e position, alors que cette question pécuniaire du travail à son seul bénéfice, est logiquement en tête des bienfaits de l’indépendance.
Comme si les jeunes salariés avaient une image du travail indépendant quelque peu faussée. Comme si le besoin de reconnaissance pouvait être apportée par l’indépendance, en travaillant seul, comme prestataire de service pour une boîte qui n’a pas forcément le réflexe de reconnaitre le travail de ses clients. Du moins pas plus que celui de ses salariés.
Le beurre de l’indépendance et l’argent du beurre du salariat
S’ils veulent être indépendants mais pas tout à fait, que recherchent véritablement les jeunes de moins de 35 ans ? C’est en écoutant ceux qui veulent prendre la poudre d’escampette et quitter leur CDI qu’on obtient quelques réponses. L’Apec leur a demandé quelles perspectives leur donneraient envie de rester et, pour 45% d’entre eux, c’est la flexibilité, beaucoup plus que la rémunération, qu’ils ne citent qu’en seconde position, avec 13 points de moins. Suivent en vrac, un meilleur accès à la formation, une participation aux décisions, et un raccourcissement de la hiérarchie.
Du côté des entreprises, une nécessaire adaptation ?
Autant de critères qui rappellent, bien évidemment, les dogmes de l’indépendance. En fait, il semblerait que les jeunes de moins de 35 ans ne souhaitent qu’une chose, mais c’est déjà beaucoup : les avantages du freelanciat cumulés à ceux du salariat.
On leur rétorquera qu’on ne peut demander l’impossible. Mais dans leur lutte actuelle contre la pénurie de candidats, les entreprises sont sans doute tenues à cet impossible. Elles doivent en tous cas tenir compte des 4 profils de jeunes cadres et de leur rapport différent au salariat :
* Etude "Jeunes cadres et salariat : une forme d'emploi qu'ils apprécient mais aimeraient voir évoluer", Apec Mars 2023
Deux terrains d'enquête ont permis de réaliser cette étude :
- Enquête en ligne (octobre 2022) auprès d'un échantillon de 650 jeunes cadres représentatif des cadres du secteur privé de moins de 35 ans en termes de sexe, d’âge, de secteur d’activité, de taille d’entreprise et de région.
- Enquête en ligne réalisée en novembre ou décembre 2022 auprès d’un échantillon de 1 000 ou 2 000 cadres, représentatif des cadres du secteur privé en termes de sexe, d’âge, de secteur d’activité, de taille d’entreprise et de région.
Journaliste économique et social, Michel Holtz scrute les tendances de l’emploi, du management et de la vie professionnelle des cadres, toujours à l’affût des nouveaux outils et des dernières transformations de la vie au travail.