La filière papier-carton prévoit 700 recrutements de cadres chaque année : faut-il postuler ou pas ?

Gwenole Guiomard

SECTEUR QUI RECRUTE – Chaque année, la filière papier-carton proposera 4000 postes d’ici 2030, dont 700 destinés aux cadres. Mais les candidats ne se bousculent pas. Entre son image d'industrie à l'ancienne et les défis liés à sa transition écologique, difficile de décider s’il faut y aller ou pas. Grâce à des interviews de recruteurs et de fins connaisseurs de cette activité, nous avons décortiqué les atouts et les défauts de cette filière afin de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'y faire carrière. A vous de vous faire votre idée.

Avec l'ambition de recruter 700 cadres par an jusqu’en 2030, la filière papier-carton fait les yeux doux aux talents, y compris aux reconvertis.

La filière papier-carton prévoit 700 recrutements de cadres chaque année : faut-il postuler ou pas ?
Avec l'ambition de recruter 700 cadres par an jusqu’en 2030, la filière papier-carton fait les yeux doux aux talents, y compris aux reconvertis.

Ils témoignent

  • Isabelle Margain, directrice de l’Afifor (Association filière formation de l’industrie papier carton) et Directrice emploi-formation de la branche
  • Emmanuel Maingard , délégué fédéral en charge de la branche papier carton à la CFDT
  • Sébastien Silvestre, directeur de l’Esepac, l’école supérieure du packaging
  • Carlos Tunon, secrétaire général de la Filpac-CGT, fédération de l’industrie du livre, du papier, du carton et des agences de communication, et salarié des papeteries "Canson"
  • Catherine Goujon, responsable marketing de la société Stratus packaging groupe
  • Caroline Anquetil, déléguée générale de l’Unidis (Union intersecteur papiers cartons pour le dialogue et l’ingénierie sociale
  • Christel Troxler, DRH de Stratus packaging
  • Un délégué syndical central CFDT travaillant dans le secteur papier-carton pour une entreprise de plus de 300 personnes
  • Marie-Noëlle Amiot, directrice générale de Thiolat
  • Isabelle Valentin, députée, co-auteure du rapport d'information sur la filière du recyclage du papier
  • Camille Galliard-Minier, députée, co-auteure du rapport d'information sur la filière du recyclage du papier

Source : le site de l'industrie papier-carton

Comprendre la filière papier-carton : un secteur en pleine mutation victime de son ancienne réputation

Avec un chiffre d'affaires de 20,3 milliards d'euros, l'industrie papier-carton française se situe à la troisième place européenne, derrière l'Allemagne et l'Italie. Le secteur compte 1 280 entreprises et 63 500 salariés en France qui occupent 70 métiers. Mais il souffre d'une réputation en demi-teinte :

  • Il a dû faire face à la désindustrialisation qu’a subie la France depuis les années 1980. Entre 2005 et 2020, la filière française du papier-carton a perdu près de 20 000 emplois tandis que les Allemands renforçaient leurs effectifs.
  • Il subit frontalement la baisse de la lecture de journaux sur papier, la réduction des prospectus, du suremballage mais aussi la numérisation des documents administratifs (2023-2025), la baisse des impressions sur papier dû au télétravail... De nouvelles habitudes qui affectent la production papetière, même si les besoins en emballage carton pour la vente en ligne a explosé.
  • A cette image d'industrie en déclin s’ajoute une vision (fausse) du papier-carton pollueur.

Conséquence : les employeurs ont besoin d'embaucher mais ils peinent à attirer des candidats.

Quelles offres d’emploi dans la filière papier-carton ?

Voici les entreprises qui recrutent dans le papier-carton en ce moment

Isabelle Margain

« La situation est très critique avec des entreprises ne trouvant pas de candidats particulièrement sur les postes techniques occupés par des techniciens et ingénieurs, déplore Isabelle Margain, directrice de l’Afifor (Association filière formation de l’industrie papier carton) et, à ce titre, directrice emploi-formation de la branche. Un exemple : nous avons proposé, en septembre 2022, 72 offres d’apprentis-ingénieurs papetiers. Seuls 22 contrats ont été signés. Les autres places n’ont pas été pourvues ». C’est, peu ou prou, la même situation quand il s’agit d’attirer des techniciens, agents de maîtrise et cadres. C’est encore pire pour les ouvriers.

Reste que, d’ici à 2030, le secteur va devoir faire face à des départs en retraite et à une augmentation des besoins en main d’œuvre. L’Afifor estime que 4 000 salariés seront à trouver par an dont 700 cadres.  

Des salaires au-dessus de la moyenne dans le papier-carton

Employeurs comme employés considèrent cependant que le secteur ne manque pas d’atouts. Le premier est lié aux salaires conséquents qui s’y pratiquent. Dans cette branche de l’économie, le salaire moyen est de 42 000 euros brut par an. C’est beaucoup, avec de jeunes ingénieurs, selon l’étude 2022 de l’IESF, débutant à 38 000 euros brut par an en moyenne.

Sébastien Silvestre

« Nos diplômés trouvent très facilement du travail, illustre Sébastien Silvestre, directeur de l’Esepac, l’école supérieure du packaging où l’on forme en apprentissage des futurs chefs de projet en développement emballage via le Master ingénierie de conception packaging. On en diplôme 80 par an alors que le marché pourrait en absorber le double. Avec 55 % de femmes diplômées, 400 offres par an pour 80 sortants, les salaires d’embauche de nos diplômés sont de l’ordre de 36 500 euros brut par an. Ils sont alors concepteur emballage ou responsable en développement packaging. Dans 10 ans, en moyenne, ils percevront de l’ordre de 67 000 euros brut par an pour finir à 80 000 euros brut par an spécialement en Ile-de-France. Au-delà, mais c’est plus rare, ils intégreront la direction d’un site, d’une usine ou une direction générale ».

Ce que corrobore Carlos Tunon, secrétaire général de la Filpac-CGT, fédération de l’industrie du livre, du papier, du carton et des agences de communication, lui-même salarié des papeteries « Canson ». « Un jeune cadre débutant dans notre secteur perçoit de l’ordre de 35 000 à 40 000 euros brut par an. Nous sommes au-dessus des minima de branches ». 

Pour Emmanuel Maingard, le délégué fédéral du syndicat CFDT en charge de la branche papier-carton, il ne faut pas dresser un tableau trop idyllique. « Sans déconseiller de venir travailler dans le secteur papier-carton, je tempèrerai cette vision . Certains employeurs payent bien et propose des accords internes de qualité. Mais, globalement, si le secteur a du mal à embaucher, c’est qu’il n’offre pas des conditions de travail attractives pour les jeunes. Nous éprouvons ainsi de grosses difficultés à négocier les salaires, la formation, les conditions de travail au niveau de la branche. Si je devais choisir, poursuit-il, j’enverrai plutôt mon enfant vers le secteur pharmacie que vers celui du papier-carton ».

Les conditions de travail dans le papier-carton sont-elles attractives ?

Souffrant d’un déficit d’image, d’une pénurie de candidats et, parfois, de pratiques managériales d’un autre âge, le secteur a dû faire son aggiornamento pour attirer les cadres.

Une culture de la promotion interne

Catherine Goujon

La carte-maîtresse de la filière papier-carton pour attirer des candidats : les évolutions de carrière possibles. A l'instar du parcours de Catherine Goujon : elle a commencé comme assistante commerciale chez Stratus packaging groupe (spécialiste de l’étiquette imprimée) avec un BTS en poche Quelque 20 ans plus tard, elle en est devenue la responsable marketing. « La progression de carrière fait partie des valeurs de notre employeur », commente-t-elle.

Un tiers d’employeurs "à l’ancienne"

Carlos Tunon

Les conditions de travail dépendent aussi des entreprises. « Je conseillerai à un proche d’intégrer notre secteur, ajoute Carlos Tunon, de la Filpac-CGT. Deux-tiers des employeurs sont de qualité. Mais un tiers pose problème avec leur armada de petits chefs, de méthodes brutales, d’anti-syndicalisme où l’on utilise des cadres comme des citrons, les pressant tant qu’il y a du jus et les rejetant ensuite... Ceci précisé, dans les deux-tiers de qualité, la promotion interne est une réalité. Notre secteur donne sa chance à ceux qui travaillent même si je note une recrudescence des burn-out chez les cadres, liés à une charge de travail de plus en plus importante ».

 

Un secteur fer de lance de l’économie circulaire

Autre atout de poids en 2023, le secteur est l’un des plus vertueux en matière d’économie circulaire. Selon l’Afifor, le papier-carton est issu, à 80 %, de matières premières recyclées. Elle permet ainsi de réutiliser des déchets.

Caroline Anquetil

« De plus, le papier carton utilise des ressources nobles issues de forêts exploitées de manière responsable », ajoute Caroline Anquetil, la déléguée générale de l’Unidis, (Union Intersecteur Papiers Cartons pour le Dialogue et l’Ingénierie Sociale), l’organisation patronale s’occupant de la politique emploi formation de la branche papetière.

Un secteur formateur

Enfin, le secteur forme ses salariés. « Nous venons d’embaucher notre responsable qualité du site de Hem (Nord), détaille Christel Troxler, la DRH de Stratus packaging, 460 salariés et un recrutement de 40 collaborateurs salariés dont 5 cadres en 2022. A 33 ans, elle est titulaire d’un Bac +4. On lui a proposé un parcours d’intégration de 3 semaines à la découverte de l’entreprise, ses métiers, nos façons de fonctionner. C’est important pour nous. On lui a ainsi transmis nos savoirs, nos valeurs ». Ensuite, il y aura un 2e parcours qui dure également 3 semaines pour la former à sa mission spécifique.

 Des possibilités de reconversion

Dans un secteur recherchant activement des collaborateurs, les candidatures de salariés en reconversion sont les bienvenues.

Un exemple ? Chez Thiolat, une PME blésoise (Blois/Loir-et-Cher) de 150 salariés, le nouveau directeur de production embauché début juillet 2023 n’est pas issu du sérail.

Marie-Noëlle Amiot

« Il a fait ses classes dans la mécanique et le secteur automobile, explique Marie-Noëlle Amiot, la directrice générale de Thiolat. Nous allons ensuite le former pendant un mois avant sa prise de poste. Pour venir travailler dans notre secteur, il est donc indispensable d’avoir envie d’apprendre ».

Pour intégrer ce secteur papier-carton sans expérience professionnelle, la tâche est facilitée aux employés-ouvriers. Ce sera plus compliqué pour les cadres.

Mais c’est cependant de plus en plus facilité. Il faudra mesurer qui sont les employeurs du secteur dans son bassin d’emploi et se rapprocher de l’Afifor qui relaye les CV auprès de ses membres en leur expliquant tout l’intérêt d’embaucher un « reconverti ».

« Il existe chez nous une culture qui « laisse sa chance » aux futurs collaborateurs. Certes, cela demande de les former mais de toute façon nous y sommes obligés », pointe Isabelle Margain, la directrice de l’Afifor. « Ceci précisé, modère un observateur bien informé préférant ne pas être cité, les passerelles d’un secteur à l’autre restent cependant rares et difficiles ».

Selon un rapport parlementaire, le papier-carton pourrait être l’étendard  de l’économie circulaire

Le secteur recrute. Mais attention, selon le Rapport d'information déposé en janvier 2021 par la mission d'information sur la filière du recyclage du papier  et rédigé par les députées Isabelle Valentin et Camille Galliard-Minier, « la France se place dans le peloton de tête des pays européens pour le recyclage de papiers et cartons, avec un taux de plus de 79 %. Mais sa filière industrielle est en crise bien qu’elle repose sur des bases solides : des acteurs mobilisés, une recherche innovante et un outil industriel de qualité.

Ce tableau sombre pourrait donner l’image d’une industrie finie, destinée à disparaître. La conviction des rapporteures en est toute contraire : « la filière du papier recyclé peut demain être l’un des atouts majeurs de la politique de l’économie circulaire en France si des mesures bien choisies sont prises. Elle en est déjà l’un des symboles : « faire du papier avec du papier ». Elle a les atouts pour en devenir demain l’un des étendards. Les recommandations déclinées dans ce rapport sont autant de préconisations destinées à consolider cette filière et à l’inscrire dans l’élan de réindustrialisation de la France lancé par le Gouvernement à travers France Relance ».

Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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