
C’est un souvenir enfoui. L’un de ces rêves d’enfant où l’on s’imagine pompier ou vétérinaire quand on sera grand. Inspirés par leur mère, infirmière dans une maison de retraite, Adeline Collin se voyait directrice d’Ehpad tandis que son frère rêvait de devenir médecin.
Les années “carré”
Mais l’inconscient se charge de compliquer les choses. « Je ne m’autorisais pas à faire le même métier que ma mère. » Alors, les souvenirs s’effacent, emportés par des études de droit. Adeline a aimé ça, le droit. Alors, après un Master 2, elle s’est jetée dans la vie active et juridique, naviguant entre l’ambassade du Guatemala et celle du Mexique, au sein de laquelle elle a préparé la COP21. Elle est passée par une association marseillaise et un cabinet notarial aussi, avant d’être salariée, pendant quatre ans, toujours comme juriste, dans une grande école d’ingénieurs, Chimie Paris Tech.
Quelque chose lui manquait. Alors qu’à l’inverse, quelque chose était de trop dans sa vie professionnelle. « Je ne me sentais pas juriste », tout simplement. Elle a besoin d’échanges, de rapports humains, de se sentir utile aux autres. Un besoin chez elle incompatible avec la distance juridique. « Je me sentais comme un rond dans un carré.»
L’épiphanie
Alors Adeline quitte son job et prend la route, ou plutôt le chemin de St Jacques de Compostelle, toute seule. « Je sais, ça fait cliché, mais ça m’a aidé. »
Elle a marché, longtemps.
Marcher, c'est retrouver son instinct primitif, sa place et sa vraie position, son équilibre mental et physique.Jacques Lanzmann
Chemin faisant, elle en a profité pour dresser deux listes. « J’aime » et « J’aime pas ». Et le premier « j’aime » qui lui est revenu à l’esprit, c’est son rêve d’enfant : elle aime la compagnie des personnes âgées. Et si elle en faisait un métier ?
Son sac à dos posé, elle a 31 ans et choisit d’en passer par un MBA de direction des structures de santé et de solidarité à l'institut Léonard de Vinci à Nanterre. Une formation en alternance, pour voir. Et elle a vu que sa place était dans une maison de retraite.
Le sens de sa vie
Mais pourquoi ce choix ? Celui du dernier refuge de nos aînés, celui d’un secteur qui a si mauvaise presse depuis le livre de Victor Castanet Les Fossoyeurs (Fayard) qui étrille certains Ehpad. C’est d’ailleurs au moment de la sortie de l’ouvrage qu’Adeline entame sa reconversion, en rien rebutée par l’affaire.
Au contraire, le livre “Les Fossoyeurs” m’a encouragée à vouloir changer les choses. J’ai envie de modifier la perception sur les Ehpad et sur les personnes âgées.
Après plusieurs stages et un premier poste en CDD, elle a aujourd’hui décroché un CDI de directrice adjointe dans une maison de retraite d’un peu plus de cent lits en région parisienne qui appartient à un groupe privé.
Un fossoyeur ? « Du tout, car même s’il est privé, il n’est pas coté en bourse, c’est une entreprise familiale ». Et Adeline est ravie de pouvoir compter sur les fonctions support du siège sur lesquelles elle peut s’appuyer..
Ce qui ne l’empêche pas d’être critique, non pas envers la structure où elle travaille en particulier, mais sur la profession de directeurs d’Ehpad, ses futurs collègues, en général. « Nous manquons d’échanges, de communications inter-Ehpad, de mise en commun d’idées innovantes tout au long de nos parcours ».
Son prochain challenge ?

Je rêve de créer un collectif autour de cette profession, et, pourquoi pas, de créer moi-même mon Ehpad un jour. Je veux contribuer à changer le regard sur ce milieu, montrer que ces maisons peuvent être de beaux lieux de vie pour les résidents et pour les soignants.Adeline Collin, directrice adjointe d'une maison de retraite
Mille et un projets
Car maintenant qu’elle a trouvé sa voie, peu de choses l’arrêtent. Le burn out qui guette les responsables d’Ehpad et leurs journées à rallonge ? Elle ne se sent pas concernée. « Il faut avant tout aimer les résidents, les personnes âgées. C’est mon cas. Même ceux qui sont difficiles ont tant de choses à nous dire ».
Les salaires loin d’être mirobolants ? Elle relativise : « J’aurais du mal à percevoir 10 000 euros de rémunération mensuelle sachant que les soignants sont payés au smic ».
C’est un métier prenant, qui peut être stressant mais qui apporte tellement.
Malgré ces embûches, et en attendant de voler de ses propres ailes, elle se sent bien dans son Ehpad privé, notant au passage que tout dépend de la direction de l’établissement. « Un mauvais directeur dans un bon groupe peut faire des dégâts. » Et inversement. Un bon patron de maison de retraite dans un bon groupe, c’est ce qu’elle a le sentiment d’avoir trouvé aujourd’hui. Et, pour relativiser les propos de Victor Castanet, elle affirme « que l’on y mange bien. J’ai même pris deux kilos depuis mon arrivée ».
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.