Bernard, 57 ans : « J’ai été injustement licencié pour faute grave après 23 ans de maison »

Michel Holtz

SERIE « FRANCHEMENT » épisode 22 – Cadremploi poursuit ses rencontres intimistes avec des cadres en transition. C'est le cas de Bernard*, cadre supérieur de 57 ans. Après 23 ans à gravir les échelons d’une grande entreprise, il a été licencié du jour au lendemain de manière plutôt violente. Aujourd’hui, il est en colère mais tente de se reconstruire, sachant qu’il doit retrouver un emploi et travailler quelques années encore. Retrouvez, en fin d’article, d’autres témoignages de cadres, sans filtre.
Bernard, 57 ans : « J’ai été injustement licencié pour faute grave après 23 ans de maison »

En se remémorant ses années passées, Bernard réalise une chose : si c’était à refaire, il ne consacrerait pas autant de temps à sa carrière. Une carrière presque entièrement dédiée à cette grande entreprise du BTP. « J’y suis entré en 1998, au moment de la coupe du monde de foot » se souvient le quinquagénaire.

 

Une ascension fulgurante au début

Avocat de formation, il accepte un CDD au sein de la grande entreprise. Le poste est intéressant : il remplace la responsable des contentieux partie en congé de maternité. Un poste idéal pour Bernard, après une première expérience au sein d’un cabinet spécialisé en recouvrement de créances, et une deuxième au sein du service juridique d’un assureur.

Vite remarqué, le jeune homme se voit proposer un autre CDD au retour de celui qu’elle remplaçait, puis un CDI pour le poste dont il rêvait : la direction du service contentieux qui vient de se libérer. Il l’occupera pendant dix ans. Pionnier dans son domaine « à une époque où l’entreprise n’avait pas encore un “devoir de vigilance“ comme aujourd’hui », il élargit son champ d’activité à la RSE et travaille en soutien avec les équipes juridiques et RH.

Rien ne semble arrêter le jeune homme ambitieux. En 2010, son champ d’activité s’élargit encore et il est nommé Responsable de la conformité et du contrôle interne. Avec son équipe d’une dizaine de personnes, il suit les obligations législatives, réglementaires ou déontologiques et élabore les règles à respecter afin d’éviter à l’entreprise tout risques de sanctions judiciaires et financières ou de dégradation de son image.

 

Une réorganisation et un début de dégradation

Mais en 2016, l’heure est à la transformation de l’entreprise. L’organisation est chamboulée et Bernard voit son service éclaté. « La DRH m’a donné deux mois pour me trouver un nouveau poste en interne ».

Il va s’occuper de RSE, encore une préoccupation qui, en cette année 2016, n’a pas l’importance qu’elle peut avoir aujourd’hui. Mais rapidement, Bernard se rend compte que son poste est convoité par un homme plus puissant que lui dans la nouvelle hiérarchie de l’entreprise : le responsable du développement durable. Un an plus tard, il va finir par l’obtenir, et Bernard est mis au pied du mur. Nouvel entretien avec les RH, et nouveau conseil de la part de son interlocuteur qui sonne comme un ultimatum : il a deux mois pour se trouver un nouveau poste.

Une fois encore, Bernard active son réseau interne, et une fois encore, un nouveau poste s’offre à lui : une fonction de responsable de projet au sein de la direction juridique. Mais cette fois-ci, il n’y reste que quelques mois : « Je ne m’entendais pas avec mon responsable direct ».

 

Manque de soutien interne

Le voilà en quête d’un autre poste mais, faute de soutien au siège, il décide de quitter la maison mère pour prendre un poste dans une filiale. Le voilà qui change de locaux et se retrouve à la tête d’un des services juridiques d’une filiale.

Les débuts sont difficiles. « Dans mon dos, les collaborateurs disaient que j’étais un parachuté du siège et ils me testaient en permanence ». Pourtant, les relations finissent par s’apaiser et lors du premier confinement, l’équipe reste soudée malgré la mise en télétravail forcée. Mais trois mois plus tard, l’ambiance se dégrade. Bernard a trouvé le coupable : « mon adjoint me glissait des peaux de banane en douce ».

 

Nuages personnels et dégringolade

Quelques mois plus tard, les nuages professionnels s’accumulent. Quant à sa vie personnelle, elle vire au drame. L’un de ses parents décède et son fils est hospitalisé pour un Covid grave. Bernard doit s’absenter plusieurs semaines.

Quand il reprend le chemin du bureau, l’ambiance est lourde, jusqu’à cette convocation à la RH, la veille de son départ en congé, à l’été 2021. « L’une de mes collaboratrices avait monté un dossier contre moi », mais Bernard était confiant car il pensait son dossier vide.

Jusqu’à la lecture de la fameuse convocation : un entretien préalable à licenciement. Il tombe des nues, et plus encore lorsqu’il apprend la sentence : faute grave pour « comportement managérial inadapté » avec mise à pied conservatoire.

Il est donc prié de quitter l’entreprise le jour même.  « j’ai demandé des faits, j’ai essayé de contre-argumenter mais je voyais bien que cela ne servait à rien. » Une fois l’entretien terminé, on l’accompagne vers son bureau, afin qu’il récupère ses affaires personnelles. « Le DRH, qui était présent, a reconnu que c’était violent. Vingt-trois ans à travailler pour la même boîte et j’en suis reparti entre deux vigiles, c’est inhumain ! »

Avocat et reconstruction

Évidemment, Bernard a saisi un avocat. Évidemment, ils ont tenté de faire requalifier son licenciement pour faute grave en « insuffisance professionnelle » afin d’éliminer la faute grave.  Mais l’entreprise a refusé et depuis des mois, les avocats de l’entreprise font trainer l’affaire qui est toujours en négociation.

Depuis cet entretien traumatisant, il a encaissé le choc et tenté de se reconstruire, même s’il avoue « être en colère ». Entre les ateliers Apec, les séances de coaching et la recherche d’emploi active, il pense à tout ce temps passé, parfois perdu, et à tout ce qu’il a fait, ou plutôt, à ce qu’il n’a pas fait.

Cela pourrait vous intéresser :

 

Tout compte fait

« Si c’était à refaire, je passerais moins de temps au boulot, comme les petits jeunes que je voyais dans mon service. L’important pour eux, c’est de garder du temps pour vivre à côté du travail et je réalise seulement aujourd’hui qu’ils ont bien raison. Ce que je conseille aussi, c’est de développer son réseau à l’extérieur de l’entreprise très tôt dans sa carrière ! ça évite de croire qu’on peut faire carrière dans une même boîte pendant toute sa vie professionnelle. Les associations par métier notamment permettent d’échanger avec ses pairs. Ça ouvre l’esprit, on voit qu’il existe d’autres univers professionnels et donc on réfléchit au coup d’après plus sereinement. Tout ce que je n’ai pas fait ».

Et tout ce que des milliers de cadres négligent de faire, en risquant de se retrouver dans la même situation que Bernard.  

 

* Le prénom a été modifié afin de préserver l’anonymat

 

Michel Holtz
Michel Holtz

Journaliste économique et social, Michel Holtz scrute les tendances de l’emploi, du management et de la vie professionnelle des cadres, toujours à l’affût des nouveaux outils et des dernières transformations de la vie au travail.

Vous aimerez aussi :