
De l’audace avant toute chose
Le parcours de Constance Chappey est un cauchemar de coach de carrière à la française. Chez elle, pas de stratégie managériale, pas de projet mûrement réfléchi, pas de formations en vue d’obtenir son job de rêve en trois coups…
« Hier, je m’occupais de jeunes migrants. Aujourd’hui, je suis coordinatrice RSE, sourit-elle. Mon nouveau job consiste à proposer des outils et transmettre des conseils aux restes des équipes pour construire et aménager des bureaux les plus durables possibles. Je “source” donc de nouveaux matériaux de construction à partir de déchets, de seconde main et je recherche des fournisseurs plus « écologiques ». L’idée est que nous puissions collectivement produire et proposer à nos clients des structures disposant d’une empreinte carbone la plus faible possible ».
La mission de Constance Chappey fait partie de la famille des jobs à impact. Ceux que recherchent activement certains jeunes et moins jeunes salariés de l’hexagone.
Constance Chappey a, elle, proposé à ses dirigeants de créer cette fonction… Certes, la jeune femme, 40 ans, est salariée d’une entreprise « libérée » avec une gouvernance partagée, une transparence des salaires, une sollicitation permanente de l’avis des collaborateurs sur la marche de l’entreprise. La société propose, aussi, via l’association « Les bureaux du cœur », un logement, dans ses bureaux, à une personne en situation précaire pour des périodes de 6 mois mais aussi deux journées d’engagement par an pour des salariés souhaitant, au frais de l’entreprise, s’engager dans une association. Ceci peut expliquer cela. Mais son parcours, que les DRH auraient qualifiés il y a dix ans de « compliqué » – comprendre on ne va certainement pas l’embaucher –, ne plaide pas en sa faveur.
Des diplômes de touche-à-tout, déjà
Née dans la banlieue de Lille (Roncq), la jeune femme, père médecin, mère directrice de crèche, connait une enfance « aisée » ponctuée par un Deug d’espagnol, une licence en sciences de l’éducation et un diplôme d’éducatrice spécialisée.
« J’ai eu envie de travailler dans le social, précise-t-elle. Mais avant, carpe diem, elle en a profité pour faire un tour du monde pour s’arrêter à Barcelone. « On était en 2007. J’ai posé mes valises dans la capitale catalane comme éducatrice de mineurs isolés étrangers. Je percevais 1300 euros net par mois. L’argent n’a jamais été une motivation. J’ai poursuivi ma carrière en France, Bobigny, au sein de la Croix rouge. Je touchais 1600 euros net par mois toujours en appui de mineurs isolés. J’étais engagé, impliqué mais m’y suis brûlé les ailes dans un secteur difficile, extrêmement tendu, connaissant un fort afflux de jeunes. J’étais révoltée contre les politiques menées en France par rapport à ces mineurs en grande difficulté, par rapport à leurs conditions de prise en charge. Je n’ai pas pris assez de distance. J’ai donc décidé de tout arrêter pour me lancer dans la réalisation de documentaires à caractère social. J’ai pris des cours du soir avant de démissionner puis me suis lancée en indépendante avec la ferme conviction que j’allais y arriver. J’ai frappé à plein de portes, rencontré des amis d’amis jusqu’au moment où j’ai commencé à décrocher des petites missions consistant à réaliser des vidéos institutionnelles. Je suis parti au Niger dans ce cadre. Mais aussi aux USA. De 2013 à 2016, j’en ai vécu, réussissant à dégager quelque 2000 euros par mois mais je faisais parfois plus de « commercial » pour trouver des « clients » que de réalisation.
Virages
J’ai alors bifurqué, en 2017, vers le cinéma pour des postes de régisseuses. J’ai ainsi participé à des films comme « L’empereur de Paris ». C’était passionnant de reconstituer une ville du 19e siècle. Je suis ensuite passée de la régie à la décoration sur des longs métrages. Les équipes étaient sympas. J’adore chiner. Le cinéma payait bien. Je pouvais compter sur quelque 3000 euros net par mois. C’est alors que j’ai rencontré un collègue qui m’a expliqué qu’une société, conceptrice et aménageuse de bureau, Yemanja recrutait…
L’employeur recherchait des profils divers. « J’ai été embauché même si un CDI ne me faisait pas envie. Mais le côté entreprise libérée, le poste de chef de projet, une grande liberté dans mon travail m’a finalement convaincu. En mars 2019, je suis devenue salariée de mon entreprise actuelle avec pour missions de concevoir avec un architecte d’intérieur des espaces, rechercher des prestataires pour les construire, faire du suivi de budget, choisir le bon mobilier. Bref, je n’étais pas très loin de ce que je réalisais dans le cinéma ».
Depuis, Constance Chappey exerce ses talents pour Yemanja pour un salaire avoisinant 2500 euros net par mois. « Un peu moins que dans le cinéma mais régulièrement, explique-t-elle. De toute façon, mon moteur n’est pas financier. Le sens de mes actions est motivé par un seul désir : mon envie de me lever tous les matins pour venir travailler ».
Des envies de changement
Reste que le démon du changement a repris la jeune femme. « Je voulais modifier mes missions. Et j’ai repéré une nouvelle demande de mes clients. Ces derniers désirent moins polluer, intégrer leurs bureaux dans leur politique RSE et leur baisse des émissions des gaz à effet de serre. Aujourd’hui, les gros donneurs d’ordre du bâtiment sont soumis aux obligations d’intégrer des labels et certifications « BBC -bâtiment basse consommation », « Breeam- Building Research Establishment Environmental Assessment Method » et autre « Leed- Leadership in Energy and Environmental Design ». L’idée n’est pas de dénaturer les bâtiments mais de trouver des solutions pour moins polluer. J’ai donc eu l’idée de créer un poste pour proposer à nos clients des aménagements écoresponsables. J’ai proposé ce changement et cela a été accepté. Ce poste boucle la boucle de mon parcours qui a débuté dans l’humain, sujet éminemment lié à la cause environnementale ».
L’entreprise, terreau d’engagement

Alors, même si sa conscience écologique est arrivée sur le tard, apporter sa pierre à la réduction des gaz à effet de serre et contribuer à la baisse du réchauffement de la planète donnent encore plus de sens à son travail. « L’entreprise est un lieu essentiel pour agir en ce domaine, estime-t-elle. Aujourd’hui, j’ai un enfant et je travaille au 4/5e pour 2800 euros net par mois. Mon nouveau job n’a pas eu d’effet sur mon salaire. De toute façon, je suis partisane d’un salaire unique en entreprise. Mon conseil pour passer d’un métier A à un métier B ? Il ne faut pas se décourager, ne rien lâcher même si c’est parfois vertigineux. Cela permet de rencontrer des individus qui font le métier que vous voulez faire. On se nourrit aussi de ses différentes expériences et il est toujours possible de se former pour se professionnaliser. C’est bien sûr plus facile à faire en interne. Mais il existe une multitude de webinaires sur de très nombreux sujets. Moi, je n’ai jamais eu le bon profil mais je me suis toujours préoccupée de l’humain et me suis appuyée sur des Humains avec des valeurs humaines et des organisations privilégiant le côté humain, leur marque employeur. Résultat : en m’alignant sur mes valeurs, en n’allant pas à l’encontre de ce que je suis, mon profil plait ».

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.