
C’est l’histoire d’un jeune homme bien sous rapport. Qui écoute tous les conseils. Qui coche un maximum de cases. Mais qui se heurte à un mur.
Double diplôme et maîtrise de l’anglais
Dans un pays qui vénère les doubles compétences, il a ainsi décroché, au début du XXIe millénaire, un diplôme universitaire en biologie doublé d’un Master d’une grande école de management.
Les recruteurs veulent des salariés polyglottes ? Qu’à cela ne tienne. A 24 ans, David part, CV sous le bras et 1000 euros en poche, peaufiner son anglais à l’étranger. Après quelques petits boulots et une fois l’anglais acquis, il décroche un poste de chef de produit marketing lui permettant d’utiliser sa double compétence science + management. A la clef : 2 500 euros net par mois. Il y est resté 4 ans. Avant de rentrer en France, le jeune homme a profité de la crise de 2008 pour peaufiner ses expériences par un road trip aux Etats-Unis. Belle entame de carrière.
Commercial export pendant 12 ans en région
David revient alors dans sa région natale. Il est embauché dans une industrie florissante et s’installe dans une ville de 50 000 habitants. Là encore, son pari d’associer études scientifiques et expertises managériales s’est avéré gagnant. Jusqu’en 2020, il a utilisé ses connaissances en biologie, sa science du commercial et son bilinguisme en anglais pour exercer le métier de commercial export. Direction l’Europe, la Chine, l’Indonésie ou le Brésil.
Mon employeur de l'époque était content de moi. J’ai débuté à 29 000 euros brut par an et percevait 55 000 euros fin 2020. Une belle progression. Un job passionnant mais fatiguant devenant plus compliqué suite à mon divorce et la garde alternée de mes enfants. J’ai dû diminuer mes déplacements.
Le choc d’un licenciement puis une reconversion
2020 arrive et ce sinistre vendredi avec un rendez-vous anodin, à 17 heures, avec la direction.
La rencontre devait, selon moi, aborder la question d’un recrutement, raconte-t-il. Mon dirigeant voyait cela autrement. Il m’a expliqué que mes choix de vie portaient préjudices à sa société. En clair, je m’étais selon lui “mis un boulet aux pieds avec mes enfants”. … J’ai eu un mois pour partir.
Un choc. Et des mois à s’en remettre.
Début 2021, le quadragénaire se remotive. Il décide de réfléchir à une reconversion. Rester cadre en entreprise mais basculer vers un secteur où il pourra concilier la garde alternée et ses obligations de père célibataire avec son job au quotidien. Adieu les longs déplacements à l’étranger, il veut décrocher un emploi près de chez lui qui ne nécessite pas de se déplacer trop loin. Il choisit le secteur immobilier et plus précisément de la promotion immobilière. Pas le plus simple mais le plus rentable, comme nous l’expliquions dans cette enquête « Se reconvertir dans l’immobilier : les bons plans et les impasses ».
Pour se donner toutes les chances, il se lance dans une formation diplômante qu’il finance avec ses propres deniers.
Un secteur très fermé qui n’ouvre pas la porte aux reconvertis
Et il commence à démarcher les entreprises de sa région en parallèle. Une expérience de commercial de dix ans, une formation diplômante en cours, un diplôme d’une grande école, une expérience à l’international, un anglais parfait. Avec ces atouts, cela devait se passer sans problème. Une centaine de candidatures plus tard, David déchante
Je ne comprends pas, souffle-t-il. Je suis hyper motivé. J’accepte de baisser mes prétentions financières. 30 000 euros brut par an me conviendrait pour débuter. Mais personne ne me répond. Un cabinet de recrutement, de guerre lasse, m’a lâché qu’il n’était pas conseiller en orientation.
Les rares employeurs ayant accepté une discussion avec lui expliquent qu’il n’a pas l’expérience requise.
Et dire que les annonces mettent en avant la recherche d’une soi-disant personnalité. Moi, je suis plus que motivé. Je me forme. Et rien. J’ai pourtant l’impression de m’être donné les moyens de réussir. Je veux me lever tôt le matin, traverser la rue pour trouver un boulot. Mais rien.
Des employeurs incapables de détecter un potentiel
David pointe l’hypocrisie des employeurs de ce secteur qui n’alignent pas les faits avec leurs discours :
Certains employeurs font de la publicité précisant qu’ils vont former des jeunes à leur métier faute de candidats. Alors, moi, je postule pour ces mêmes sociétés mettant en avant le capital humain, le bien-être de leurs salariés. Je vois surtout des entretiens où l’on me pose des questions sur ma famille, sur mon lieu de naissance. Le tout en 20 minutes chrono. Pourtant mes compétences sont duplicables. Ma formation suivie en ce moment est de qualité. Les recruteurs préfèrent-ils les gens en poste ?
A 6 mois de la fin de ses droits au chômage et dans une période où les entreprises se plaignent de la pénurie de candidats, David pointe du doigt leur inadaptation à la crise des compétences :
Ce n’est pas vrai que les Français ne veulent pas bosser. Ils sont surtout face à des entreprises qui ne savent pas détecter un potentiel et donner sa chance à un profil qui n’est pas strictement identique à ceux qu’ils ont toujours recrutés. Je ne suis pas le clone qu'elles espèrent mais ma capacité à m’adapter se lit dans ma reconversion. Je n’ai pas choisi la facilité, cette reconversion n’est pas accessible à tout le monde. Mais mes interlocuteurs ne semblent pas le voir. Je veux bosser mais personne ne souhaite me donner ma chance.
* Le prénom et certains éléments biographiques ont été changés à la demande de l'intéressé afin de préserver son anonymat.

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.