
Des études de langues et d'économie d’abord
Sylvie*, la soixantaine, est une précurseuse. A la fin des années 80, licence d’anglais et master de sciences politiques en poche, elle décide de s’expatrier pour un « Master of sciences » dans une prestigieuse université anglophone.
« Bien m’en a pris, commente-elle, aujourd’hui de son poste de CTO dans une PME française. Après mon cursus en économie, j’ai ainsi pu débuter dans une petite boîte de la tech en Angleterre. Ils m’ont laissé ma chance, moi qui ne connaissais absolument rien à l’informatique. Un collègue m’a formé au code, j’ai adoré ». Et vogue la galère.
On était sous Thatcher puis Blair. Elle a travaillé dix ans en Grande-Bretagne.
Je n’aurais pas pu progresser comme cela en France. J’ai travaillé dans l’informatique sans diplôme dans cette spécialité. Je suis devenue développeuse puis consultante en informatique. Je me suis formée en permanence et j’en connaissais autant que les jeunes diplômés ingénieurs. Tout commençait alors. Je suis arrivée dans ce monde par hasard mais, très vite, j’ai été persuadée que j’allais y passer toute ma vie professionnelle. J’ai commencé avant l’arrivée d’internet et j’ai acquis des connaissances au fur et à mesure…
Retour en France, le pays de la diplômite
Dans les années 2000, après avoir mis au monde un enfant, la jeune femme décide de rentrer en France pour se rapprocher de ses parents et proposer une éducation francophone à sa descendance. Elle tente de chercher du travail, mais elle se heurte à des employeurs hexagonaux obsédés par le diplôme et très méfiants.
Vu mon niveau, on me demandait un diplôme d’ingénieur que je n’avais pas… J’ai postulé dans de nombreuses SSII. Elles ont toutes refusées. L’atterrissage a été difficile. J’ai calculé que je n’ai pas été augmenté lors des 10 premières années de mon retour en France. Rien… Alors que mon ascension professionnelle avait été fulgurante en Angleterre.
Premier salaire à 6 chiffres
Heureusement, une société lui donne sa chance et elle reprend sa progression de carrière passant de directrice technique à « Global head of technology » pour quelque 110 000 euros brut par an. On est alors en 2013 et Sylvie décide de rejoindre l’aventure des start-up en tant que CTO. Mais la vie dans ces jeunes entreprises est compliquée et elle préfère chercher ailleurs en 2021.
Nous passions plus de temps à essayer de vendre notre boite, à chercher des investisseurs qu’à développer nos technologies. J’avais 58 ans et je percevais alors 130 000 euros brut par an.
Démission après 7 ans dans les start-up
Dans un pays, la France où, selon la Dares*, entre 55 et 64 ans, seul un sénior sur deux (56 %) dispose d’un emploi aujourd’hui, où, selon le Cereq**, 30 % des salariés séniors « attendent » sereinement la retraite, Sylvie a donc démissionné.
Sans prendre trop de risques, selon elle : la période était déjà très favorable aux profils de managers de la tech comme le sien. Des boîtes l’avaient déjà approchée et elle avait aussi contacté des cabinets de chasse de tête. Mais c’est par son réseau qu’elle a trouvé son poste actuel.
Un ami m’a mis au courant d’un poste se libérant dans sa boîte. Cet employeur m’a choisie alors que le chasseur de tête que j’avais contacté – il avait aussi cette mission dans son portefeuille - n’avait pas jugé bon de me la proposer… Mon salaire de départ était de 120 000 euros brut par an. Deux ans plus tard, à 60 ans, j’en perçois 150 000. »
La main tendue aux autodidactes, comme elle
Sylvie regrette l'obsession du diplôme à ces postes.
C’est postes sont trop limités à des ingénieurs… C’est dommage car l’informatique nécessite aussi des connaissances dans d’autres domaines comme l’économie ou les langues. A un certain niveau de management, il faut appréhender rapidement ce que font les autres et comprendre comment fonctionnent les services ressources humaines, marketing ou ceux de la finance. Mes études en sciences politiques et en économie me servent tous les jours et j’embauche très régulièrement des profils en reconversion dans le code.
Le manque de femmes dans la tech, c’est culturel
Selon Sylvie, les femmes françaises ont trop d’apriori négatif par rapport au métier de développeur.
C’est culturel. J’ai des équipes d’ingénieurs au Maroc qui sont majoritairement des femmes. En France, c’est plus difficile de les attirer car elles ont le cliché du « geek » en tête. Une image qui ne correspond plus à la réalité. Aujourd’hui, les postes sont occupés par des jeunes gens bien habillés… C’est un métier génial permettant d’influencer nos sociétés. Les dirigeants d’Amazon, d’Apple, de Microsoft ou de Google dirigent le monde… D’où d’excellents salaires et des conditions de travail de qualité.
Des conditions de travail privilégiées
« Aujourd’hui, les employeurs veulent que leurs salariés reviennent travailler au bureau. Sauf pour les spécialistes de la tech qu’on autorise toujours à bénéficier du télétravail. Ces derniers ont plus de latitudes et disposent de pouvoirs que les autres n’ont pas ».
CTO, à l’aube de la retraite, Sylvie participe toujours à des conférences. Certaines ont pour mission de favoriser le travail des femmes. Cela lui sert-il à quelque chose ? « Oui, conclut-elle. Je fais partie d’un groupe de femmes CTO. Cela me permet d’améliorer mon réseau. Mais il faut aussi participer aux autres rendez-vous plus masculins comme les rencontres de CTO. Le mieux est alors de multiplier les points de vue. C’est par exemple un homme qui m’a conseillé de négocier régulièrement mes hausses de salaire ».
Pour aller plus loin * et **
* A sa demande, la personne interviewée a préféré garder l'anonymat.

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.