Tristan, 54 ans : « Je vis l’enfer du recrutement à la française »

Gwenole Guiomard

SERIE « FRANCHEMENT » épisode 20 – Cadremploi poursuit ses rencontres intimistes avec des cadres en transition. C'est le cas de Tristan*, cadre de 54 ans, qui vit en Alsace. En ce moment agent immobilier, il cherche un autre travail plus rémunérateur. Il passe des dizaines d’entretien d’embauche mais aucun ne débouche sur une proposition de poste. Trop diplômé, trop vieux, trop cher ou pas assez cher (sic), trop qualifié… Tristan a voulu nous alerter sur ce monde kafkaïen du recrutement de cadres expérimentés qui ne cadrent pas avec les besoins du marché français. Mais qui pose le cadre ? Retrouvez, en fin d’article, d’autres témoignages de cadres, sans filtre.

Tristan est une sorte de couteau suisse. Il possède de multiples compétences qu'il a développées tout au long de sa carrière. Il raconte dans notre série FRANCHEMENT son vécu de la recherche d'emploi.

Tristan, 54 ans : « Je vis l’enfer du recrutement à la française »
Tristan est une sorte de couteau suisse. Il possède de multiples compétences qu'il a développées tout au long de sa carrière. Il raconte dans notre série FRANCHEMENT son vécu de la recherche d'emploi.

Un candidat modèle

Tristan est le candidat rêvé de tout (bon) DRH. Il ne rechigne pas à la tâche acceptant des postes en-deçà de ses compétences. Il n’hésite pas à non plus à se former. Il suit actuellement un master en administration des entreprises (MAE). Sans doute ce qui se fait de mieux en la matière, académiquement parlant… Il est aussi mobile. Il postule à qui mieux mieux, rappelle les employeurs, leur demande des explications. Bref, il chouchoute son employabilité.

Se former pour évoluer

Seul souci : il ne trouve pas de poste à sa mesure. « J’ai débuté ma carrière comme comptable après un Diplôme supérieur en comptabilité, explique-t-il. Depuis, je me forme régulièrement. J’ai ainsi décroché un Master 2 en marketing puis des cursus en RH et en banque. »

C’est mon credo : me former le mieux possible pour proposer à mes clients le meilleur service possible.

Obtenu à la fin des années 80, le diplôme de comptabilité a permis à Tristan de débuter comme responsable comptable. Il a ensuite évolué comme chef de rayon pour décrocher un poste de directeur d’un magasin de 30 salariés. Il a pu y développer des compétences en compta, gestion du personnel, approvisionnement. Bref, l’intégralité de la gestion d’une PME. « J’étais payé 32 000 euros brut par an à l’époque ». Puis Tristan a évolué comme responsable commercial d’une enseigne de la distribution spécialisée dans la région Lyonnaise.

 

Des compétences multiples

 « J’y ai appris à gérer de multiples magasins, à m’occuper du personnel, à donner des conseils, gérer une force de vente, développer un réseau de franchisés ». Au fil du temps, Tristan a ensuite exercé ses talents comme responsable commercial d’un distributeur de mobilier de bureau ou d’un viticulteur bourguignon. In fine, il a rejoint, en 2019, l’immobilier.

Pour un recruteur français, par essence frileux, cela fait beaucoup de sinuosités. Mais aussi beaucoup de compétences. Et des preuves de résilience. Avec des arrêts, des changements, des échecs, des liquidations, des fermetures de boite. Tous ces savoir-faire auraient été très valorisés aux USA ou en Grande-Bretagne. Mais pas en France.

 

Une recherche active

Depuis 2020, et la baisse de l’activité immobilière touristique, Tristan est en recherche active. « Je perçois quelque 3 000 euros par mois, précise-t-il. Mais c’est très aléatoire. C’est parfois plus. C’est souvent moins ».

Attiré par l’humain et le management, il a toujours aimé cela, il souhaite maintenant gérer un centre de profit ou se tourner vers le conseil en recrutement. Le tout dans une période bénie des dieux pour les candidats puisque, comme le précise une étude Rexecode de mars 2022, 75 % des chefs d'entreprise déclarent rencontrer actuellement des difficultés de recrutement, dont 35 % des difficultés sévères. Mais pour Tristan, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Trop diplômé, trop vieux…

« Mes contacts n’aboutissent pas. Avec deux principales critiques. J’aurais trop d’expériences et je couterais trop cher. Mais, moi, ces postes m’intéressent. Je veux les prendre pour pouvoir ensuite évoluer. On me répète alors que je serai sous-payé pour mes qualifications. Mais de quoi se mêlent-ils ? Si je postule, c’est que je suis au courant des salaires proposés. Il y a beaucoup de préjugés chez ces recruteurs. Je sais aussi que c’est une façon polie de dire que j’ai 54 ans. Or, ce n’est pas une insulte d’avoir mon âge. Et encore, je suis en poste. C’est bien pire pour les demandeurs d’emploi.

Les préjugés ont la vie dure

Tristan constate que les employeurs préfèrent laisser un poste vacant plutôt que de laisser sa chance à un sénior et le former. « Ils cherchent un mouton à 5 pattes, c’est-à-dire un jeune diplômé avec expérience. Cela n’existe pas. Résultat : ils perdent des commandes. Ils ont aussi peur de prendre un salarié plus vieux que son manager. Pourtant, je n’ai jamais éprouvé de difficultés à m’adapter à un supérieur quel que soit son âge, son sexe ou son milieu… ».

Tout son parcours le prouve. « J’apprends de tout le monde, ajoute-il. Les recruteurs exigent donc que les candidats sortent de leur zone de confort mais refusent de sortir de la leur… Ils n’ont pas envie de se casser la tête. »

Pas assez cher !

Ses expériences d’entretien d’embauche rappellent des récits d’autres cadres ayant dépassé les 50 printemps. « J’ai, par exemple, posé ma candidature pour un poste de responsable de production. La RH m’a retenu mais c’est le n+1 qui a opposé un veto car j’avais déjà eu des postes à responsabilités. J’aurai pu lui faire de l’ombre, m’a précisé le recruteur. J’ai aussi candidaté pour un poste de responsable de centre de profit. C’était dans mes cordes. » Sauf que pendant l’entretien, la RH a voulu joué au « Juste prix ». A la question sur les prétentions salariales, Tristan est resté raisonnable : « J’ai demandé 50 000 euros brut par an ». La RH a finalement pris quelqu’un d’autre car l’entreprise avait prévu… 70 000 euros pour ce poste.

Selon elle, j’aurais manqué de confiance en moi et me serais dévalorisé pendant l’entretien. C’est hallucinant. Je demande à ce que l’on donne sa chance à un sénior comme moi. Je préconise d’arrêter d’embaucher avec de tels préjugés et de former. Je maintiens, moi, en continu mes compétences. Je suis mob ile, pas trop gourmand en salaire. Que faut-il de plus ! 

* Tristan ne s'appelle pas Tristan mais il a préféré garder l'anonymat afin de témoigner plus librement.

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Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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