Julia, 33 ans : « J'ai démissionné pour rejoindre un secteur en crise »

Sylvia Di Pasquale

SERIE « FRANCHEMENT » épisode 4 – Julia Hardouin dit qu’elle fait confiance à la vie. Elle a démissionné en plein confinement pour rejoindre un secteur en crise mais elle n’est pas insouciante. Disons qu’elle parie sur la renaissance du secteur de l’événementiel, certes sinistré mais en pleine réinvention. Avec la crise, certaines entreprises doivent se transformer et Julia a des idées. Beaucoup d’idées et des méthodes qu’elle a apprises en douze ans de salariat et d’une création d’association. Elle raconte sans filtre ses convictions et son cheminement.
Julia, 33 ans : « J'ai démissionné pour rejoindre un secteur en crise »

Le déclic : un poste de rêve

« Un chasseur de têtes m’a appelée juste avant le Covid. Je le connaissais puisqu’il m’avait déjà chassée quelques mois auparavant. J’étais alors directrice marketing dans une société de conseil en immobilier depuis 5 ans et je n’étais pas vraiment décidée à partir. Mais disons que je commençais à avoir fait le tour de mon poste donc je restais en veille. Cette fois, c’était pour un poste de directrice « conférences, partenariats, contenus » pour un gros salon international, le Mipim, organisée par Reed Midem. C’est un peu le Davos de l’immobilier, une institution pour ses 30 000 visiteurs.

Le déclic, ça a été le contenu du job : il correspond pile à ma passion à savoir rencontrer des gens inspirants, les faire intervenir, leur permettre d’échanger. En parallèle de mon précédent job, j’avais monté une association (Work is beautiful) qui me permettait d’organiser des conférences, avec le rêve secret que ça devienne un vrai boulot. C’est ma façon de contribuer à faire que – comment dire – le monde soit un peu plus intelligent, que les idées circulent, d’aller dénicher quelqu’un qui, sur le papier, parait peut-être un peu loufoque mais qui vous estomaque, dès qu'il partage sa façon de penser.

C’est aussi le challenge intellectuel qui m’a plu dans ce poste : les gens viennent au Mipim pour se voir, être vus, réseauter dans les cocktails, pas forcément pour les conférences inspirantes. On m’attend pour en faire un argument de plus pour les y attirer.

Je ne viens plus pour la même mission qu’avant le confinement.

L’entretien d’embauche : un binôme décisif

J’ai passé seulement deux entretiens et ils m’ont permis de découvrir le binôme que forment mes boss. D’un côté mon N+1, très structuré dans sa pensée et carré dans sa façon de s’exprimer. Puis mon N+2, un Italien – ce détail a de l’importance. Il marche au ressenti, parle avec les mains, échange de façon plus informelle. Il m’a spontanément demandé mon avis sur plein de sujets. C’est ce binôme qui m’a convaincue que je m’y retrouverai.

La décision : une prise de risque délibérée

C’est sûr que ma décision n’a pas été facile à prendre. J’ai hésité bien sûr, on en a beaucoup discuté : je quittais un job confortable pour rejoindre un secteur sérieusement ébranlé. Le Mipim devait avoir lieu en mars, il a été reporté en juin puis annulé. Nous avons lancé une expérience online en plein confinement et nous donnons rendez-vous à nos clients en septembre pour un événement parisien. Mais le salon aura lieu l’an prochain en mars.

Tout le business model de cette institution est en réinvention. Je ne viens plus pour la même mission qu’avant le confinement. Malgré le Covid, mon employeur a maintenu sa promesse d’embauche, il n’a pas changé d’avis. « Plus que jamais, on va avoir besoin de vous, c’est un poste stratégique », m’ont-ils dit. Oui, ça va être compliqué, oui, c’est risky, oui, j’ai une période d’essai à un moment où on ne peut même pas prévoir ce qui va se passer la semaine prochaine. Mais j’ai décidé d’être zen parce que j’ai toujours eu beaucoup de chance dans ma vie pro. Et j’ai tendance à faire confiance à la vie.

J'ai dû annoncer ma démission en plein confinement, par téléphone.

Le départ : difficile mais nécessaire

J’ai quand même dû annoncer ma démission à mon président en plein confinement, par téléphone. Ça a été difficile. Pour tout le monde. Je lui ai dit que j’avais une mauvaise nouvelle, que je partais. J’ai su après qu’il ne s’y attendait pas. Même s’il sentait bien que je tournais un peu en rond depuis un an et que j’avais besoin de me challenger. J'ai adoré cette boîte, dans laquelle je me suis vraiment construite. C’était ma plus longue expérience après trois années chez Great Place To Work et un an chez PepsiCo.

Avec ce président, nous avions noué une relation particulière, beaucoup d’affection mêlée de respect mutuel, un peu paternaliste sans doute. Je pense que c’est lui qui m’a aidée à me sentir légitime en m’encourageant à donner mon avis. J’étais un véritable contre-pouvoir pour lui, quelqu'un avec qui il échangeait beaucoup et en toute liberté. Je savais que je quittais celui qui m’avait donné mon premier gros poste à 30 ans, quelqu’un que j’estime brillant et visionnaire. Mais l’entreprise, à la différence de la famille, on peut la quitter. Et ce n’est pas à 33 ans qu’il me fallait me reposer sur ma zone de confort. De cela, j'en étais convaincue.

Le nouveau job : un poste à rebâtir

Quand on arrive dans un poste comme celui que j'ai pris en juin, il faut aller récupérer des tâches dans les autres services. La nature ayant horreur du vide, chacun s’est emparé des sujets car ce poste était resté vacant pendant un an. J’ai des points hebdo avec mes N+1 et N+2, je leur fais des « billets d’étonnement » à leur demande. Puis on en discute : pourquoi telle tâche n’est pas dans mon service ? Aller les rechercher ne m’effraie pas, je trouve pertinent que ce soit mon équipe qui s’en occupe pour la bonne marche de la boîte. Ils sont 6, avec des profils très différents, plutôt séniors. Je suis la plus jeune de mon équipe. Ce sont de très grands pros, des séniors confirmés, qui sont là depuis un moment et ont travaillé sur plein de sujets différents. Je me pose beaucoup de questions sur la façon de les faire évoluer. C’est une chance, c’est très intéressant.

Je ne suis pas naïve et c’est peut-être ce qui me permet de ne pas être tordue.

Managée par des femmes : sa limite

Ce qui n’a pas marché pour le moment dans ma carrière, c’est d’être managée par des femmes. Je sais, ce n’est pas très correct de le dire alors qu’on parle beaucoup de "sororité" et de solidarité entre femmes. C’est très beau mais ce n’est pas très vrai, du moins c’est ce que j’ai vécu. Avec les hommes, j’ai senti moins de concurrence. Ils se sentent moins menacés.

Le défaut qu'elle n'a pas

Je ne suis pas tordue [rires]. L’entreprise, c’est passionnant mais c’est aussi hyper violent dans les rapports humains. Dans cet environnement, j’aime rester honnête, franche, dire les choses simplement. Je reconnais très vite les gens tordus, je m’en méfie. Dans mon précédent poste, aux côtés du président de Colliers, j’ai travaillé avec beaucoup de gens donc j’ai appris à m’adapter – c’est ce qu’on appelle le sens politique, je crois. Je ne suis pas naïve et c’est peut-être ce qui me permet de ne pas être tordue. C’est ainsi que je peux préserver ma franchise et ma liberté. Quand l’entreprise permet de l’exprimer, c’est précieux aussi. Le gros challenge d’une carrière, c’est de réussir à changer de boîte sans perdre cette liberté. C’est très difficile d’en être assurée à l’avance.

Même en entreprise, on peut être à la fois très combative et très sensible.

Son héroïne de série de fiction du moment

En ce moment, il y a une série Netflix que j'apprécie. J'aime beaucoup Killing Eve pour la complexité de cette héroïne, à la fois imprévisible, forte, sensible, sexy, intelligente…  Elle est tout à la fois et c’est ce qu’il y a de plus intéressant. Même en entreprise, on peut être à la fois très combative et très sensible par exemple. On a tous des facettes cachées. N’en retenir qu’une seule mène à la caricature. Je ne suis pas seulement la nana qui fonce, j’ai aussi beaucoup de pudeur, je suis très sensible, très empathique et il y a des choses qui peuvent me toucher très fort et me déstabiliser. Les gens qui réussissent à capter cela de moi sont rares. Mes patrons y parviennent.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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