
Le productivisme au détriment de la qualité de vie au travail
Quand il rejoint le groupe Aqualande spécialisé dans la sélection, la reproduction, l’élevage et la transformation de truites, en octobre 2020 en tant que directeur industriel, Damien Sicot est halluciné par « les cadences de production hors-norme. Les employés travaillaient très /trop vite ce qui induisait des taux d’accidents du travail et d’absentéisme également hors norme ». Il a donc commencé à orienter l'entreprise vers une approche respectueuse de la qualité de vie au travail de l’ensemble des 800 salariés (dont 500 personnes à la transformation) du site de de Roquefort (Landes).
Ces 15 dernières années, l’entreprise a connu une très forte croissance. Elle était dans une logique de traitement de volumes. Donc dans une organisation très productiviste. Une logique de kilo de poissons/heure/personne. On devait changer de prisme. J’ai proposé de produire moins vite pour aller plus vite et produire mieux. Autant vous dire que l’on m’a pris pour un fou au départ.Damien Sicot, directeur industriel d'Aqualande
Mise en place d’une démarche qualité mixant réorganisation industrielle, managériale et environnement de travail
Convaincu qu’il est possible de produire moins vite avec une meilleure qualité de vie au travail pour ses collaborateurs, afin de produire mieux, Damien Sicot et son équipe s’attèlent en 2020 et 2021 à un chantier autour de leur organisation industrielle.
Objectifs majeurs : renforcer les pratiques managériales de l’entreprise pour accroître ses performances, et améliorer le bien-être de ses collaborateurs.
J’ai commencé par sortir les managers de leur environnement pour leur faire découvrir et prendre conscience qu’il existait d’autres modèles d’organisation performants. Nous nous sommes par exemple rendus sur les sites de production de Sodebo.
Puis, de concert et sur un temps volontairement long (de septembre 2020 à juin 2021), l’équipe s’est consacrée à la définition de ce qui doit être « quitté », « gardé » ou « obtenu ».
Il a été ainsi décidé de créer de nouvelles fonctions, en transformant des fonctions et en redimensionnant les équipes afin de permettre aux encadrants de manager en profondeur. Les chefs d’équipe ont été nommés responsables d’équipe et encadrent désormais 15 à 25 personnes contre 45 à 50 auparavant.

Piloter des équipes fixes et non plus tournantes et de taille plus réduite permet une meilleure écoute des difficultés rencontrées au quotidien. Et donc une réduction évidente d’erreurs potentielles.
A partir d’un référentiel de management co-construit en interne, Aqualande a évalué ces managers de proximité afin de mesurer les écarts entre leurs compétences managériales et ce qui était attendu dans le nouveau référentiel.
Puis, l’entreprise a formé ces managers aux nouveaux attendus de leur fonction. Une à deux fois par an, ces responsables d’équipe doivent désormais observer sur le terrain les comportements de travail de chaque opérateur afin de repérer les bons gestes et les mauvais et mettre en place des actions correctives qui auront un impact sur toute la chaine de valeur de la production.
Des rituels d’animation se tiennent chaque matin.
Pendant 5 minutes, ils échangent sur la sécurité, les délais, la qualité et les motivations des collaborateurs. Il s’agit de redonner du sens à leur travail en se posant les bonnes questions : a-t-on bien travaillé hier ? Quels sont les succès ? Les problèmes ? Les axes d’amélioration pour aujourd’hui ?
Des managers qui jonglent entre « temps réel » et « temps différé »
Pour optimiser la qualité de la production, Damien Sicot tenait à ce que chaque salarié ait un rôle défini et s’y attelle sans être pollué par des sujets qui ne relèvent pas de sa fonction. Plus question que la moindre question remonte systématiquement au responsable de secteur ou au coordinateur de zone. Chacun son périmètre de responsabilités et les chèvres (enfin les truites) seront bien gardées !
Pour préparer l’entreprise aux enjeux de demain, les managers doivent donc aujourd’hui faire clairement la distinction entre du « temps réel » et du « temps différé ».
Les top managers doivent par exemple passer plus de temps à penser demain qu’à être dans l’opérationnel. Pour les managers de proximité, c’est l’inverse.
En tant que directeur industriel, sa mission est de « penser demain et pas le quotidien ».
Travailler moins vite pour travailler mieux, le bilan
En un an,
- le nombre d’accidents de travail chez Aqualande a diminué de 33 % avec un taux de fréquence qui passe déjà de 51 à 34.
- les réclamations clients ont diminué de 14 %
- le taux de service s’est amélioré : sur les deux marques, Landvika et Ovive, il passe d’environ 90,6 % en 2021 à 98,5 % au premier semestre 2022.
- Le recours aux heures supplémentaires a chuté de 345%.
Au premier semestre 2022, Aqualande a réalisé des production records, sans heures supplémentaires et sans samedi travaillé, du jamais vu. La productivité globale augmente de 5 % : les équipes travaillent moins vite, donc mieux.
- 350 opérateurs ont bénéficié d’un coefficient supérieur donc d’une augmentation de salaire.100 sont restés au même échelon.
« 50 personnes qui n'étaient pas au bon coefficient au vu de leurs aptitudes ont été rétrogradées avec maintien de salaire. Avec moins d’heures supplémentaires (8000 HS fin 2022, contre 25 000 HS avant), les salariés ont perdu en jours de récupération mais ils ne travaillent plus le samedi. On doit tout de même réfléchir à l’organisation du temps de travail. L’idée d’une semaine de 4 jours est à discuter avec les partenaires sociaux mais cela n’est pas la priorité du moment », conclut-il.

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.