Pauline Vessely, sociologue : « En entreprise, la convivialité ne naît pas spontanément »

Aurélie Tachot

INTERVIEW – Une entreprise ne naît pas conviviale, elle le devient. C’est en substance le constat de Pauline Vessely, docteure en sociologie, qui a fait de cet ingrédient-clé du collectif de travail son sujet de prédilection. Dans le milieu professionnel, la convivialité doit pour l’instant être provoquée pour exister. Et recruter des gens sympas puis les plonger dans des espaces de travail agréables est loin de suffire pour qu'elle s'enracine. La sociologue qui dirige le pôle R&D au sein de l’entreprise Social Bar a répondu à nos questions sur le rôle de la convivialité dans la socialisation, notamment au travail.

La convivialité en entreprise, ça se travaille. Pauline Vessely, docteure en sciences humaines étudie sa déhiscence ,dans un bar notamment. Ses recherches aident une ESS pour laquelle elle travaille à vendre des prestations afin "accélérer" cette convivialité dans les entreprises qui en ont besoin.

Pauline Vessely, sociologue : « En entreprise, la convivialité ne naît pas spontanément »
La convivialité en entreprise, ça se travaille. Pauline Vessely, docteure en sciences humaines étudie sa déhiscence ,dans un bar notamment. Ses recherches aident une ESS pour laquelle elle travaille à vendre des prestations afin "accélérer" cette convivialité dans les entreprises qui en ont besoin.

Suffit-il aujourd’hui d’une sushy-party avec ses collègues ou d’installer des poufs colorés pour rendre son entreprise conviviale ? Pour Pauline Vessely, docteure en sociologie, la réponse est non ! Dans le milieu professionnel, la convivialité doit être stimulée de façon subtile. La sociologue dirige le pôle R&D au sein de l’entreprise Social Bar, une sorte de “fabrique” de rencontres entre gens qui ne se connaissent pas. L’entreprise aimerait en ouvrir une vingtaine sur ce modèle d’ici 5 ans et vend des prestations aux entreprises.

 

Pourquoi avoir choisi la convivialité comme sujet de recherche ?

Pauline Vessely : Ce qui m’intéresse c’est d’étudier le rôle des « liens faibles », c’est-à-dire des liens peu intenses et/ou peu récurrents, qui caractérisent souvent ceux qu’on tisse avec nos collègues. Selon moi, ils n’ont de faibles que le nom, car ils sont extrêmement structurants pour la société mais aussi pour l’entreprise. Ce sont eux qui font qu’un groupe devient un collectif de travail. La crise du Covid-19 l’a mis en perspective, lorsque le travail à distance s’est imposé et que les relations humaines se sont transformées. Ce qui me plaît, c’est également de mener des recherches sur un terrain inexploré : la convivialité a été, par le passé, soulignée par la littérature scientifique, mais peu traitée sous l’angle de la socialisation. Le lien social est pourtant un ingrédient clé du bonheur au travail !

 

En 1869, Pierre Larousse, dans son Grand Dictionnaire, définissait la convivialité comme « le goût des réunions joyeuses et des festins »

L’entreprise est-elle un lieu convivial ?

P.V. : Lorsqu’on parle de convivialité en entreprise, on fait souvent référence aux bureaux eux-mêmes, surtout depuis la généralisation du télétravail. Or, avoir des espaces de travail agréables n’est pas suffisant pour rendre l’entreprise conviviale. D’autant que l’entreprise est une structure sociale qui est normée, au sein de laquelle les individus ont des relations formelles. Même si de nouveaux modèles émergent, prônant un management plus horizontal, les liens hiérarchiques sont encore très présents. La libéralisation du travail, la culture du profit ainsi que l’utilisation des outils numériques peuvent, eux aussi, être des freins à la convivialité. Puisqu’elle n’est pas spontanée, il faut donc l’impulser. D’autant qu’elle impacte significativement la productivité des salariés.

Ce sont ces « petits riens » qui font du lien

Recruter des gens sympas, ça ne suffit pas à rendre une entreprise conviviale ?

P.V. : Ça y contribue mais ça ne suffit pas ! Car il faut que toutes les personnalités puissent exprimer leur part de sympathie ou, du moins, leur désir de partage. C’est ce cadre que les entreprises ont besoin de co-construire avec leurs salariés. D’ailleurs, lorsqu’elle souhaite impulser cette culture de la convivialité, nous leur conseillons d’embarquer l’ensemble de leurs collaborateurs, c’est-à-dire de les laisser trouver des rituels qui feront demain la convivialité. Le processus ne doit donc pas être descendant. Un salarié doit se sentir libre d’organiser un temps d’échange s’il souhaite partager ses lectures préférées par exemple. Ce sont ces « petits riens » qui font du lien, à la différence des séminaires ou des sessions de « team building », qui sont plutôt vocation à fédérer des équipes.

 

En quoi consiste l’intervention du Social Bar au sein des entreprises ?

P.V. : Le Social Bar est un activateur de convivialité. Son but, c’est de déclencher les rencontres sociales. Nous intervenons au sein des entreprises pour les aider à allumer cette étincelle et ainsi construire une identité collective. Pour y parvenir, nous nous appuyons sur des dispositifs qui favorisent, sans forcer, les interactions. Cela peut être des défis, des quizz, des blind tests... De cette manière, les individus dépassent la méfiance qu’ils ont vis-à-vis des autres et se mettent à échanger. Nos faits d’armes, c’est d’avoir réussi à animer un Olympia plein à craquer et avoir fait s’affronter au chifoumi deux ministres en exercice ! Nous avons également créé une école pour former des « agents de convivialité » susceptibles d’intervenir dans des séminaires, des team buildings...

 

La convivialité reste-t-elle authentique lorsqu’elle est « provoquée » ?

P.V. : C’est l’une des craintes de certains de nos agents : que cette convivialité devienne forcée, donc qu’elle sonne faux. Sur ce sujet, nous nous sommes aperçus que lorsqu’elle était impulsée avec enthousiasme, elle restait spontanée. Quoiqu’il en soit, en lançant cette école, notre objectif n’était pas de créer des robots qui récitent des phrases toutes faites ! C’était plutôt de former des agents de convivialité aux métiers de l’accueil et du service tout en les encourageant à rester eux-mêmes et à s’approprier cette notion de convivialité. De fait, lorsqu’ils interviennent au sein des entreprises, ils n’ont pas pour objectif que tous les collègues de travail deviennent amis. Leur ambition est simplement de faire naître des liens sociaux entre eux.

Question à une experte : la fonction « d’agent de convivialité » au sein des entreprises, vous y croyez ?

 

Réponse de Laurence de Fontenay, ex-DRH du groupe Randstad, aujourd’hui coach de dirigeants pour Connecting Minds.

 « À l’heure où les entreprises ont du mal à recruter, la convivialité, qui peut sembler un sujet « léger », est en réalité un élément majeur de la marque employeur. Aujourd’hui, les entreprises sont en concurrence non pas sur les aspects techniques comme le contenu de leurs postes mais sur des éléments intangibles comme l’ambiance de travail et la convivialité ! C’est d’ailleurs ces sujets-là qu’évaluent les collaborateurs sur les plateformes d’avis comme Glassdoor. Je pense que la fonction d’agent de convivialité a donc sa place en entreprise, à condition que le sujet soit abordé de manière transverse, non pas de manière segmentée comme la RSE. Cette personne pourrait intervenir de manière ponctuelle, pour animer des réunions et des séminaires, par exemple. Son rôle serait de transmettre la culture de la convivialité en interne. Créer cette fonction, qui viendrait en appui des managers et des RH, permettrait par ailleurs aux entreprises d’annoncer une intention, d’envoyer un message fort à leurs équipes. C’est d’autant plus important que les jeunes générations quittent plus facilement une entreprise lorsqu’ils ne s’y sentent pas bien. Selon moi, la convivialité est donc non seulement un levier de bien-être mais aussi un facteur d’engagement qui impacte significativement le turnover. »

Aurélie Tachot
Aurélie Tachot

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.

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