Ils témoignent
- Cléo Gouiffes, consultante sénior de la division achat et supply chain du cabinet de recrutement Robert Walters
- Christine Bouquet, chargée de missions RH pour le logisticien-pilote de flux ID Logistics France 4
- Sébastien Perdereau, responsable de la practice achat supply chain pour Michael Page et administrateur de France Supply chain, le syndicat professionnel de la fonction.
- Philippe Bertin, président directeur général Estivin
- Pierre Lupoglazoff, chef de projet « Eve » à l’Ademe
- Yazid Sinaceur, responsable du développement RH Eqiom
Logistique : un secteur qui peine à amorcer sa transition écologique
C’est une petite phrase lâchée par un chasseur de tête qui ne veut surtout pas être cité :
Les services logistiques sont en urgence économique, pas écologique…
Secouées par des difficultés d’approvisionnement, des coûts de matières premières en hausse ou des composants en déshérence, la logistique tente de parer au plus pressé. La majorité des entreprises du secteur court après le chiffre d’affaire, pas après un transport plus vertueux écologiquement parlant. Dans un discours donné en janvier dernier lors d'un congrès annuel des entreprises éco-responsables du secteur, le président de l'Ademe estimait que le programme "Engagements volontaires pour l'environnement" (EVE) avait permis « d’engager en 2021 plus de 600 entreprises dans la transition énergétique, soit l’équivalent de 546 000 tonnes équivalent CO2 d’évitées ». Une goutte d'eau dans un océan de carbone produit par près de 150 000 entreprises du secteur.
« Green » logistique ou logistique « verte », de quoi parle-t-on ?
Ce terme désigne toutes les actions mises en place par les entreprises du secteur logistique et supply chain afin de lutter contre le réchauffement climatique. La logistique verte doit trouver l’équilibre entre l’efficacité économique et écologique. Cela passe par exemple par :
- La réduction du carburant consommé par les véhicules de transport en attendant de trouver des solutions viables pour réduire la dépendance aux énergies fossiles ;
- L’installation de solutions informatiques afin d’optimiser la gestion des entrepots et de limiter l’utilisation des ressources ;
- La baisse des émissions de gaz à effet de serre dans les centres logistiques notamment ;
- L’utilisation de matériaux renouvelables pour le transport et l’emballage ;
- Etc.
Des embauches en forte hausse
Dans la logistique et la supply-chain, le candidat est en position de force.
« C’est un marché en très fort développement, » valide Cléo Gouiffes, consultante sénior de la division achat et supply chain du cabinet de recrutement Robert Walters. Cette tension va la pousser à embaucher 2 consultants pour cette practice d’ici la fin 2022. « Entre le premier trimestre 2021 et le premier trimestre 2022, les volumes d’offres d’emploi de cette fonction ont cru de 27 % avec des pointes à + 100 % pour le poste de responsable Supply Chain ou de + 70 % pour celui de chef de projet d’amélioration Continue ». De nouveaux postes apparaissent également comme celui de Sales & operation planning.
« Les recrutements dans le secteur sont très bons, poursuit Sébastien Perdereau, responsable de la practice achat supply chain pour Michael Page et administrateur de France Supply chain, le syndicat professionnel de la fonction. Si je prends comme référence l’excellente l’année 2019, en supply chain-logistique, l’activité de mon cabinet est de 30 % supérieur au premier trimestre 2022 par rapport au premier trimestre 2019 ». Cela devrait perdurer. Le cabinet Michael Page ne note pas de baisse d’activité liée à la guerre russo-ukrainienne. Au contraire, les employeurs développent des plans de recrutement sur ces fonctions de l’ordre de 12 mois. Alors qu’il est assez rare en matière de recrutement d’avoir une visibilité dépassant les 2-3 mois.
Des salaires en hausse de 10 % en un an
La tension sur le recrutement des logisticiens entraine des hausses de salaire spectaculaires. Le cabinet Robert Walters estime cette croissance à + 10 % entre le premier trimestre 2021 et celui de 2022. Avec cette pénurie de talents, les employeurs doivent proposer des rémunérations très attractives pour faire venir les nouvelles générations de Bac +5, pas obligatoirement attirées par une fonction dont le bilan carbone reste encore noir.
Quelques exemples de salaires de cadres dans la logistique en 2022 :
- Le budget pour embaucher un responsable transport national était de 75-80 000 euros brut par an début 2021. Il est au-dessus de 90 000 euros brut par an aujourd’hui…
- Un chef de projet logistique dans le retail, pour une entreprise francilienne, vient de décrocher un poste à 70 000 euros variable compris. Il a un peu plus de 30 ans.
- Une gestionnaire de flux vient, elle, d’être embauché à 65 000 euros brut par an. Elle a 3 ans d’expérience, pas encore trentenaire, et touche donc plus que le salaire médian des ingénieurs français en 2021 (58 900 euros selon la dernière étude IESF).
Visez les métiers « à impact »
Dans ces fonctions, quasi l’ensemble des métiers pourront développer une dimension RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Mais tous les employeurs n’en font pas. Pour les candidats rebutés par le retard du secteur en matière de décarbonation, la bonne idée consiste à négocier le contour de son poste.
Les candidats peuvent, et doivent, être force de proposition. Les entreprises sont à l’écoute et c’est maintenant, en entretien de recrutement, qu’il faut leur proposer des solutions plus innovantes, plus vertes. Elles sont preneuses.Cléo Gouiffes, consultante sénior de la division achat et supply chain du cabinet de recrutement Robert Walters
Métier à impact : chef de projet supply-chain
Le chef de projet supply chain constitue aussi un maillon important de la décarbonation du transport. Il redéfinit les flux pour qu’ils soient plus efficaces, et afin qu’ils intègrent une économie circulaire de réutilisation des palettes, des déchets verts et autres systèmes pour éviter les transports inutiles.
Métier à impact : Sustainable supply chain manager
« Je vois aussi apparaitre de nouveaux métiers liant supply chain et RSE, ajoute Sébastien Perdereau, de Michael Page. Nous avons produit une enquête sur ces fonctions. La demande est encore faible mais ces nouveaux métiers ont pour nom Sustainable supply chain manager qui intervient sur la conception des produits, des emballages, la localisation des fournisseurs, le choix des modes de transport, la livraison. Ce poste est encore peu développé mais on le rencontre de plus en plus souvent chez des « pure players » de la logistique et du transport sous l’intitulé « Responsable RSE/Développement durable » avec en plus parfois la casquette HSE (hygiène sécurité environnement) ».
Les autres métiers à impact
D’autres postes « green » émergent comme ceux d’acheteurs durables, de responsables du lean management ou de chefs de projets sur des questions environnementales pour mettre en place une « green » solution pour le transport sur le dernier kilomètre, ou de nouveaux bâtiments écologiques…
Les critères pour repérer les logisticiens vertueux
Pas facile de repérer l’employeur prônant une logistique « environnementale ». Il y ceux qui communiquent sur le sujet, comme cet acteur du e-commerce qui robotise, automatise et a besoin d’une logistique la plus efficiente, et donc, la plus verte possible.
« Nous recherchons des responsables de site, des logisticiens, des directeurs de filiale, illustre Philippe Bertin, président directeur général du logisticien agroalimentaire Estivin (350 salariés, 5 recrutements de cadres prévus en 2022), récompensé par l’Ademe en 2021-22 pour sa « coopération entre acteurs ». Pourquoi venir chez nous ? Par ce que nous développons une logistique « intelligente » qui permet de réduire d’environ 15 % le nombre de kilomètres effectués par nos camions. C’est bon pour la planète ».
Il est aussi intéressant, pour repérer, les entreprises vertueuses en matière d’écologie, de s’appuyer sur des trophées ou des prix. Le programme organisé par l’Ademe est à suivre tout particulièrement :
« Nous avons distingué 15 entreprises en 2021, annonce Pierre Lupoglazoff, chef de projet « Eve » (engagement volontaire pour l’environnement) à l'ADEME, un programme visant à aider la filière transport et logistique à réaliser des économies d’énergie et limiter l’émission des gaz à effet de serre. Pour repérer une entreprise à même de développer une logistique vertueuse écologiquement, je mesurerais en quoi l’employeur a été certifié par un tiers indépendant attestant d’une performance environnementale comme le label Ecovadis, la certification iso 26 000 pour le développement durable, la 14 001 pour le management de l’environnement ou l’iso 50 001 pour la maitrise de l’énergie. Ce sont des signes que l’employeur est engagé dans une démarche de développement soutenable ».
« Pour repérer un employeur « vert », il faut poser des questions en entretien, ajoute Yazid Sinaceur, responsable du développement RH chez le spécialiste des matériaux de construction et de valorisation des déchets Eqiom (1500 salariés et 56 recrutements cadres de prévu en 2022), entreprise primée EVE pour sa « démarche d’économie circulaire ». Et demander à l’employeur ses impacts sur l’environnement et comment elle les diminue. Nous, nous leur donnons des preuves, du concret avec des camions roulant plus écologiquement. Aujourd’hui, les candidats sont à convaincre. Avant, c’était l’inverse ».
Moi, si j’étais candidat dans ce secteur à la recherche d’un métier qui ait du sens, je privilégierais les postes dans l'industrie.Sébastien Perdereau, de Michael Page/France Supply chain
« Tout le monde, dans ces secteurs industriels, est concerné par les questions environnementales, insiste Sébastien Perdereau. Les employeurs recherchent des spécialistes sur l’ensemble de la chaine de valeurs : de l’élaboration de la promesse client au mode de transport « green » en passant par la recherche de produits - matières premières composants ou emballages. Conclusion : le Sustainable Supply Chain Manager peut intervenir à tous les niveaux. Son influence est considérable.
Je me renseignerais aussi pour savoir si l’employeur se donne les moyens de développer sa politique RSE. Il faut notamment interroger les opérationnels en poste, vérifier comment les directions sont objectivées sur leurs résultats en matière de décarbonation. Chez Michael Page, nous avons créé un label des « postes à impact positif ». On signale donc à nos candidats la dimension RSE d’un job. On mesure tous les jours que ces derniers postulent davantage à ce type d’annonce ». Un jour ou l’autre, les employeurs devront suivre…
Logistique et supply chain : exemples d’employeurs qui recrutent
ID logistics France 4 montre patte verte mais a du mal à attirer les candidats
« Le recrutement est devenu plus difficile depuis le début 2022, confirme Christine Bouquet, chargée de missions RH pour le logisticien-pilote de flux ID Logistics France 4 (70 salariés, un tiers de cadres, 6 cadres recrutés en 2021, parmi lesquels :
- Acheteur
- Responsable projet
- Responsable des opérations
- Pilote prestataire rail
Nous conduisons une démarche sociétale. Cela se traduit, par exemple, par une volonté d’abaisser de 5 % l’empreinte carbone de nos fournisseurs. Mais mes candidats sont de plus en plus exigeants sur le télétravail, les conditions de travail, l’éthique, le sens du job proposé. Il y a tellement de poste ouvert en France que des candidats se désistent régulièrement alors que l’entretien d’embauche a été fixé. Ils ont déjà décroché un autre job ».
Des employeurs en mode silence
- Des employeurs comme Geodis, ayant pourtant décroché un prix « environnementaliste » (lire ici les lauréats des trophées EVE) n’ont pas eu le temps de répondre à nos questions.
- Même position du logisticien FM Logistics qui, pourtant, communique sur son engagement « pour le bien-être de ses collaborateurs ».
- De nombreux employeurs du secteur sont prêts à évoquer les postes qu’ils recherchent, moins à expliquer en quoi ils permettront de faire une planète plus verte.
Bref, le secteur embauche mais il faudra être patient pour tomber sur l’employeur vertueux qui défend une logistique et une supply chain plus "vertes".
Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.