Rupture conventionnelle : c’est encore le moment de négocier, ce sera bientôt (peut-être) plus difficile

Sylvie Laidet-Ratier

DROIT DU TRAVAIL – La rupture conventionnelle est sur la sellette. Le gouvernement étudie sa révision. Si vous songiez à négocier votre départ sans en passer par une démission, il est temps d'accélérer afin de pouvoir activer vos droits à l’assurance chômage ! Explications.

La Première ministre Elisabeth Borne a demandé à son gouvernement de réfléchir à une révision du dispositif de rupture conventionnelle. Copyright (c) 2023 Victor Velter/Shutterstock.

Rupture conventionnelle : c’est encore le moment de négocier, ce sera bientôt (peut-être) plus difficile
La Première ministre Elisabeth Borne a demandé à son gouvernement de réfléchir à une révision du dispositif de rupture conventionnelle. Copyright (c) 2023 Victor Velter/Shutterstock.

Alerte sur les ruptures conventionnelles

Ce sont nos confrères de La Tribune Dimanche qui, le 26 novembre dernier, sortaient l’info : le gouvernement réfléchit à durcir les conditions d’octroi d’une rupture conventionnelle (RC).

Ce dispositif qui existe depuis 2008, permet à un salarié et à un employeur de se séparer à l’amiable sans avoir à se justifier (contrairement à un licenciement). Et le salarié est éligible aux allocations chômage. Un deal « gagnant-gagnant » sur le papier créé en 2008 pour flexibiliser le travail à la demande des entreprises. .

Pourquoi les ruptures conventionnelles sont dans le viseur du gouvernement

Facile à mettre en œuvre, le nombre de ruptures conventionnelles a explosé : plus de 500 000 RC ont été signées en 2022 contre 300 000 en 2013, selon la Dares.

Le service de statistiques du ministère du Travail ajoute même que plus de neuf salariés sur dix « sortis » des effectifs dans le cadre d’une rupture perçoivent une allocation chômage dans la foulée.

Il n’en fallait pas plus pour placer ce dispositif dans le viseur du gouvernement qui se trouve confronté à une hausse du chômage : +0,2% entre le deuxième et le troisième trimestre 2023 pour atteindre 7,4%. Le hic, c’est que l’exécutif vise le plein emploi pour 2027. Alors, les ministres sont priés de trouver des solutions.

Complexifier le recours à la rupture conventionnelle afin de protéger les séniors

Bruno Le Maire a confirmé les intentions du gouvernement sur le sujet en précisant à RTL que « toutes les options étaient sur la table ». Et pour tenir la promesse du plein emploi, il faudra « des modifications profondes des défauts de notre modèle social ». Olivier Dussopt, son homologue aux manettes du ministère du Travail, a confirmé cette piste de travail en lui donnant un objectif un peu différent :

Il ne faut pas que les ruptures conventionnelles deviennent une voie de délestage des séniors à l’approche de la retraite. C’est pourquoi il fait les évaluer et limiter les effets pervers.
Olivier Dussopt, ministre du Travail

Rappelons qu’en septembre dernier, le gouvernement a déjà relevé de 20 à 30% le forfait social payé par l’entreprise sur les indemnités de départ dans le cadre d’une rupture conventionnelle. Augmentant de facto le coût de cette rupture du contrat de travail.

Évidemment, les syndicats sont vent debout contre ce projet de modification des ruptures conventionnelles.

 A SUIVRE : Le gouvernement doit de nouveau se réunir le 15 décembre prochain dans le but de mettre sur la table toutes les pistes envisageables pour faire baisser le taux de chômage.

Impact sur la santé mentale des salariés si l'accès aux ruptures conventionnelles se durcit

Soyons francs : pour les salariés, négocier une rupture conventionnelle est souvent un moyen d’abréger leurs souffrances à leur poste (avec la garantie des allocations chômage) ou de prendre un chèque avant de rejoindre un autre job. Et pour l’employeur un moyen de “se débarrasser” à moindres frais des salariés qui coûtent chers et en particulier des séniors… sans avoir à motiver leur décision (à la différence d’un licenciement).

Les deux parties doivent néanmoins être consentantes. Mais les entreprises peuvent tout à fait mettre la pression sur leurs collaborateurs pour qu’ils acceptent ce type de rupture du contrat de travail.

Si la rupture conventionnelle venait à être plus difficile à activer, que se passerait-il ? Pour l’avocate en droit du travail Michèle Bauer qui a réagi sur Actu-juridique.fr, il parait évident que « les salariés en souffrance prolongeront leurs arrêts de travail jusqu’à la déclaration d’inaptitude. Ils seront licenciés pour inaptitude, leur licenciement coûtera à l’État tout comme une rupture conventionnelle. Les avocats reviendront aux bonnes vieilles recettes : la mise en œuvre d’un licenciement « bidon » suivi d’une transaction ». Et d’ajouter : « si l’objectif du gouvernement est de contraindre le salarié à rester en poste ou démissionner, il n’est pas certain qu’il y parvienne ainsi ».

Impact sur les salaires si l'accès aux ruptures conventionnelles se durcit

Sans le back-up « chômage », les salariés qui parviennent à négocier une rupture conventionnelle avant d’enchainer sur un autre emploi, vont peut-être réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une mobilité externe. Ce qui risque de créer un effet domino sur les salaires :

  • Si le turnover ralentit notamment chez les cadres, la fluidité du marché du travail risque d’être ralentit (elle l’est déjà)
  • D’où impact sur la fameuse pénurie de compétences disponibles : moins de candidats mobiles pour toujours autant de postes à pourvoir (malgré un ralentissement annoncé récemment par l’Apec) dans les entreprises
  • = une équation idéale pour faire grimper les prétentions salariales des candidats à la recherche de garanties supplémentaires car obligés de démissionner.

Pas sûr que les entreprises soient prêtes à surenchérir !

VIDEO La rupture conventionnelle expliquée par le ministère du Travail et une contrôleuse du travail

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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