Laurent Da Silva : « Les entreprises qui avaient gelé leurs recrutements sont dans les starting-blocks »

Sylvia Di Pasquale

« On se croirait dans Hibernatus ». Laurent Da Silva ose la comparaison entre le marché de l’emploi des cadres et le film avec Louis de Funès. Selon le directeur général du cabinet Badenoch+Clark et vice-président de l’Apec, le recrutement des cols blancs est en plein dégel, après une période d’hibernation. Tout comme le héros du film d’Edouard Molinaro. Un réveil des embauches qu’il explique par une vague d’optimisme sur le terrain du côté des candidats comme des entreprises.

Laurent Da Silva, directeur général du cabinet Badenoch+Clark et vice-président de l’Apec

Laurent Da Silva : « Les entreprises qui avaient gelé leurs recrutements sont dans les starting-blocks »
Laurent Da Silva, directeur général du cabinet Badenoch+Clark et vice-président de l’Apec

Un rebond inattendu de la confiance

Cadremploi : L’emploi des cadres devrait connaître un « léger rebond » cette année selon l’Apec (voir notre article sur les profils hyper courtisés en 2021 révélés par l'Etude Apec). Est-ce que vous vous y attendiez ?

Laurent Da Silva : « Nous nous attendions à une année très difficile et ce n’est pas ce qui est en train de se profiler. Sur le terrain, on sent un regain d’optimisme assez étonnant de la part des entreprises et des candidats. C’est une excellente nouvelle quand on sait que le marché de l’emploi cadres fonctionne beaucoup à la confiance. Les entreprises ont enfin un peu de visibilité et les candidats se disent « le pire est derrière nous ».

On a un bon cocktail qui donne beaucoup d’élan.
Laurent Da Silva

Pourtant la pandémie sévit toujours. Comment expliquez-vous cet élan ?

L.D.S. : Dans les pays plus avancés dans la vaccination comme l’Angleterre et les Etats-Unis, on constate un boom incroyable – et le mot n’est pas trop fort – des intentions d’embauche. On y reparle déjà de « guerre des talents » et de « pénurie de compétences ». En France, nous anticipons ce redémarrage grâce à la vaccination qui accélère.

Une situation déjà tendue sur certains profils de cadres

Peut-on déjà parler de reprise des recrutements de cadres ?

L.D.S : C’est comme si les entreprises se réveillaient d’un long sommeil de 14-15 mois. On se croirait dans Hibernatus d’Edouard Molinaro où Louis de Funès se réveille après des années d’hibernation dans la glace. Les entreprises qui avaient gelé leurs recrutements sont désormais dans les starting blocks, prêtes à appuyer sur l’accélérateur le plus vite possible. Tous nos clients peaufinent leurs besoins en recrutement, ils retravaillent leur marque employeur ou se réorganisent en intégrant le télétravail. C’est l’ébullition dans les services RH.

Retrouve-t-on la situation d’avant-crise concernant les recrutements de cadres ?

L.D.S : Sur les fonctions les plus demandées, la situation de pénurie est même pire qu’avant la pandémie, selon moi. Tous les recrutements gelés depuis 14 mois vont se réactiver en même temps. Les entreprises vont toutes avoir des urgences que nous ne pourrons pas lisser dans le temps, alors nous nous apprêtons à devoir gérer de gros volumes. Et côté candidats, ils sont à nouveau très sollicités. Le volume de réponses aux annonces est en train de faiblir car les candidats les plus convoités sont déjà sur-sollicités, c’est en tous cas ce qu’ils nous disent. 

Les entreprises vont toutes ouvrir les vannes en même temps, autour de l’été.

Quelles fonctions cadres sont déjà très demandées ?

L.D.S : Dans l’informatique et le digital, la pénurie est structurelle. On manquait de candidats avant et pendant la crise et ça va continuer après. De façon plus conjoncturelle, les business developers qui doivent aider les entreprises à accélérer leurs ventes, sont très convoités depuis un mois. Les métiers de la finance sont attendus pour optimiser les conséquences de la crise et réfléchir à de nouveaux modèles économiques. L’Apec souligne également les besoins en ingénieurs R&D/études que nous observons aussi sur le terrain, je pense notamment au secteur des batteries pour l’industrie automobile qui cherche à recruter des spécialistes dans des fonctions qui émergent à peine. Les fonctions RH sont également très sollicitées.

Les cabinets de recrutement ont besoin de renfort

Est-ce que votre cabinet recrute des consultants ?

L.D.S : oui, nous recrutons 50 consultants chez Spring et 25 chez Badenoch+Clark afin d’accompagner nos clients dans leur reprise. Nous ne voulons pas louper le rebond !

Pourquoi les entreprises passeraient-elles par un cabinet pour recruter ?

L.D.S : Parce que ce marché de l’emploi post-pandémie n’est pas le même qu’avant et qu’elles ont besoin de conseils pour le comprendre. C’est à cela que nous servons aussi, à les éclairer sur leur stratégie d’acquisition de talents. Certes, il y a une pénurie de profils comme dans le monde d’avant mais on ne les attire pas de la même façon. Les critères qui conduisent les candidats à changer de poste et à choisir tel employeur plutôt que tel autre ont changé. De plus, certaines entreprises viennent de terminer un plan de sauvegarde de l’emploi. Elles ont eu des départs et doivent maintenant réembaucher peut-être même plus vite que prévu.

Certes, il y a une pénurie de talents comme dans le monde d’avant mais on ne les attire pas de la même façon. Les critères d'attractivité ont changé.
Laurent Da Silva

Jeunes diplômés et séniors doivent rester patients

Quel message adressez-vous aux jeunes en recherche d’emploi sur ce marché qui ne semble pas leur ouvrir grand les bras selon les perspectives de l’Apec ?

L.D.S : Effectivement, en période de redémarrage intense, les entreprises ont tendance à préférer les valeurs refuges, à savoir les profils immédiatement opérationnels. Il faudra donc un peu de patience aux plus jeunes mais je leur dis de garder espoir car les plans d’aide gouvernementaux nous aident à leur tendre la main. Le seul problème, c’est que l’on va se retrouver avec deux promotions au lieu d’une sur le marché, et avec des talents qui n’ont pas pu partir faire leurs premières armes à l’étranger. Mais encore une fois, il leur faut rester confiants et persévérants car, vue l’éclaircie que nous observons, ils ne devraient pas trop différer leur entrée sur le marché de l’emploi.

Face aux pénuries de talents, les séniors seront-ils un plan B pour les recruteurs ?

 L.D.S : Je suis moins optimiste pour les séniors qui ne se seront pas adaptés aux mutations digitales de leur métier. En tant qu’intermédiaire de l’emploi, nous sommes aussi exigeants que nos clients entreprises sur ce critère. Et ce n’est pas une question d’âge mais bien une question d’adaptation, quel que soit son niveau d’expérience.

 

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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