- Pourquoi serait-on inquiet de retrouver notre liberté au moment du déconfinement ?
- Les personnes qui ont perdu ce goût du lien social sont-elles nombreuses ?
- Un manager peut-il détecter les angoisses de ses collaborateurs ?
- Le manager est-il le mieux placé pour aider ses collaborateurs ?
- Peut-on être en déni d’angoisse ?
- Transformer ses peurs en élan vitaux, est-ce possible ?
- Les baromètres de climat social lancés en sortie de confinement sont-ils utiles ?
- Comment créer des moments d’écoute en entreprise ?
- Comment remet-on une équipe en route ?
« Transformer l’angoisse du déconfinement en source de vitalité ». C’est le curieux titre qu’a choisi Laurent Fraisse pour le webinar qu’il co-animera lundi prochain*. Il y invite décideurs, managers et plus globalement ceux qui se sentent fragilisés depuis la fin du confinement. Forcément, le mot « angoisse » intrigue. Une étude l’atteste : 44 % des salariés se sentaient en détresse psychologique pendant le confinement et 20 % des managers aussi. J’ai voulu comprendre comment lui est venue l’idée de ce webinar, à qui il s’adresse et les bénéfices à en attendre.
Pourquoi serait-on inquiet de retrouver notre liberté au moment du déconfinement ?
Laurent Fraisse : c’est pendant le confinement que j’ai fait ce constat contre-intuitif. Dirigeant, manager, RH, salarié, amis… j’en ai appelé des centaines au fil des jours et j’ai constaté que tous n’appréhendaient pas le déconfinement de la même façon. Et cela ne dépendait ni de leurs fonctions ni des conditions matérielles de leur enfermement. Ce qui fait la différence, c’est la manière dont ils ont vécu le lien aux autres pendant que nous étions enfermés. Ceux qui ont vécu le confinement avec simplicité et légéreté, ont gardé ce goût du lien social. Mais pour d’autres personnes, la vulnérabilité, l’isolement, la solitude, les ont plutôt révélées à leurs blessures intimes, celles mémorisées dans le corps et dont on n’a pas forcément conscience. Le déconfinement ouvre une période d’incertitude et d’inconnu. On comprend que l’idée de sortir et de s’exposer aux liens sociaux est vue comme un risque pour ces personnes. Rester chez soi est rassurant, sortir les expose alors qu’elles se sentent fragiles sans forcément comprendre ce qui leur arrive.
Les personnes qui ont perdu ce goût du lien social sont-elles nombreuses ?
LF : C’est difficile à dire. Disons que, parmi la centaine de personnes à responsabilités avec qui j’ai pu échanger, une bonne moitié a perdu ce goût des autres et souvent sans se l’avouer… Les réunions virtuelles qui se sont multipliées ont fait illusion. Elles les ont certes reliées mais aussi épuisées psychiquement. Ce sont les limites du digital. Les Zooms, Meet et autres réunions virtuelles ont forcé le cerveau à analyser l’image, recomposer les mots et parodié des relations sociales qui sont restées finalement superficielles.
Un manager peut-il détecter les angoisses de ses collaborateurs ?
LF : C’est très compliqué dans le cadre professionnel. Répondre à la question « comment ça va ? » par des confidences sur ses véritables angoisses, non ce n’est pas facile pour un collaborateur. Il peut préférer le cacher. Peur d’être jugé, évincé à cause de ses faiblesses… les enjeux sont trop importants pour sa carrière, Donc même un N+1 empathique peut passer à côté, surtout quand le collaborateur n’a pas conscience de son état.
Tant qu’on n’a pas pris le temps d’écouter, on ne peut pas ré-enclencher un collectif fort et puissant.Laurent Fraisse, coach et dirigeant du réseau ICF
Le manager est-il le mieux placé pour aider ses collaborateurs ?
LF : c’est tout le paradoxe. L’entreprise demande aux managers d’atteindre des objectifs et de veiller sur la santé mentale de son équipe. Donc de travailler sur les émotions mais tous ne sont pas des psychologues. Pour les aider, il faut leur permettre de proposer des moments d’écoute afin de sentir s’il y a des signaux à risque ou pas. Tant qu’on n’a pas traversé cette étape-là, selon moi, on ne peut pas enclencher un collectif fort et puissant.
Peut-on être en déni d’angoisse ?
LF : c’est le cas chez ceux qui n’ont pas accès à leurs sensations. Cuirassés depuis des années, ils sont dans le déni de réalité. C’est assez fascinant et très répandu.
Transformer ses peurs en élan vitaux, est-ce possible ?
LF : Fort heureusement, oui. Nous avons besoin de transcender nos angoisses pour vivre. Sinon, c’est l’auto-destruction. C’est pendant ce travail de dépassement que naît la vitalité. Faire le choix de se rouvrir aux autres, c’est libérateur. C’est bien de prendre le temps de cette transformation pour retrouver le goût du lien social.
Les baromètres de climat social lancés en sortie de confinement sont-ils utiles ?
LF : Oui mais ils ne suffisent pas. Attendre la performance d’un indicateur qui n’est qu’un processus automatique, voilà le piège. Il faut ensuite proposer des moments d'écoute.
Comment créer des moments d’écoute en entreprise ?
LF : Il faut créer des conditions pour travailler sur les sensations et les ressentis. On peut commencer par des questions sur le vécu du confinement. « Qu’est-ce qui vous a nourri pendant ce confinement ? », « qu’avez-vous envie de conserver ? », « qu’avez-vous envie de transformer ? ». Certains managers savent très bien le faire, mais pour d’autres c’est beaucoup moins évident. A ceux-là, les DRH doivent apporter une aide. Soit en leur permettant de passer la main. Soit en leur permettant de vivre par eux-mêmes une expérience d'être écouté et ce que ça provoque en soi.
Comment remet-on une équipe en route ?
LF : il faut un objectif qui va fédérer l’équipe. C’est le projet qui rassemble et qui donne du sens au fait d’être ensemble. En présentiel ou à distance. C’est de cette façon que chacun trouvera des raisons de revenir. Reste à trouver le projet qui rendra l’entreprise humaine et performante. Le « et » est essentiel.
* Webinar "omment l’angoisse du déconfinement pourrait être aussi source de vitalité"
Date : 18 mai de 17h30 à 19h
Organisateur : Le cercle Pairspectives
Animation : Laurent Fraisse et Marie-José de Aguiar
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.