
- Le flex office, corollaire du télétravail
- Le flex office, une perte de territoire ?
- Les risques : délitement du collectif et micro-management
- Chez BPCE, le choix du flex office accompagné
- Christophe Pareau, product manager, ex-salarié d’une entreprise en flex office : «Le flex office a certainement favorisé la déshumanisation de l’entreprise »
Ils témoignent
- Sandrine Vialle Lenoël, psychosociologue et psychanalyste
- Valentina Urreiztieta, directrice du pôle conseil & formation du cabinet Empreinte Humaine
- Sophie Février, directrice de l’immobilier au sein du groupe BPCE
- Christophe Pareau, Product manager au sein de la PME toulousaine Eurécia
Le flex office, corollaire du télétravail
16 % des entreprises ont déjà adopté le flex office et 55 % envisageraient de le faire, selon une étude menée en février 2021 par la société Deskeo. La première raison invoquée ? La réduction des coûts immobiliers, citée par 77 % des répondants. Suivis de l’amélioration de l’expérience humaine (60 %) et d’une meilleure gestion entre vie professionnelle et personnelle (60 %).
Le principe du flex office
Afin de réduire le nombre de poste de travail, aucun bureau n’est attitré, chaque salarié s’installe où il le souhaite quand il arrive. Chacun dispose d’un casier où ranger son matériel, il doit donc vider lui-même son bureau quand il repart (« clean desk »). Dans ce nouveau mode d'organisation de l'espace de bureau, les salariés alternent entre télétravail et présentiel selon un rythme choisi ou imposé par l’entreprise.

« Il y a une dizaine d’années, lorsque les premiers groupes du CAC40 ont franchi le pas, c’était essentiellement pour répondre à la faible occupation des bureaux liée, d’une part à la réduction du temps de travail, d’autre part au nomadisme de certaines équipes, notamment commerciales », se souvient Sandrine Vialle Lenoël, psychosociologue et psychanalyste spécialisée dans la prévention des risques professionnels. Depuis la généralisation du télétravail suite à la crise du Covid-19 mais aussi les efforts déployés par les organisations pour réduire leur empreinte carbone, un nombre croissant d’entreprises sont tentées de réduire leurs espaces de travail et de les épurer au maximum. D’autant que l’immobilier est leur second poste de dépense après la masse salariale, d’après Deskeo.
Le flex office, une perte de territoire ?
Si le flex office présente son lot d’avantages pour les entreprises, il soulève plusieurs sujets sensibles du côté des salariés.

« Le télétravail se heurte à la pyramide de Maslow, qui représente la hiérarchie des besoins des salariés. L’un des étages concerne le besoin d’appartenance, qui est forcément plus difficile à combler lorsque le salarié est à distance ou n’a plus d’espace à lui. L’attachement à une entreprise passe beaucoup par l’espace physique », indique Valentina Urreiztieta, directrice du pôle conseil & formation du cabinet Empreinte Humaine.
L’engagement des salariés vis-à-vis de leur entreprise peut donc être fragilisé par cette organisation du travail, pour peu qu’elle soit vécue comme une perte de territoire. Certains spécialistes vont même jusqu’à dire qu’en dépersonnalisant leurs locaux, les entreprises cultivent l’idée selon laquelle les salariés sont de simples pions sur un échiquier. « Cela peut donner l’impression d’être remplaçable », admet Sandrine Vialle Lenoël.
Par ailleurs, travailler sur une table impersonnelle et devoir ranger tous les jours ses affaires de travail sont des sources de mécontentement supplémentaires pour les cadres qui se sentent déjà déconsidérés dans leur travail, selon le baromètre OpinionWay & Empreinte Humaine de juin 2022. Encore plus pour l’ancienne génération pour qui « avoir un bureau était un signe de réussite », rappelle Valentina Urreiztieta.
Les risques : délitement du collectif et micro-management
Force est de constater que les entreprises qui sont passées au flex office dressent un bilan plutôt mitigé de leur expérience. Seul un tiers des employeurs se déclarent satisfait, selon l’étude de Deskeo de février 2021. Ce qui faillit le plus souvent, c’est le manque d’accompagnement. « Le flex office va à l’encontre du collectif. Cependant, il peut être compensé par de bonnes pratiques managériales qui le favorisent. Malheureusement, les managers sont rarement suffisamment préparés à la dynamique de groupe et ne savent pas porter le collectif. Or, il peut se déliter très vite dans ce contexte de travail », constate Sandrine Vialle Lenoël.
Pire : « le fait d’avoir des collaborateurs éparpillés dans l’open space favorise le micro-management et va jusqu’à mettre certains salariés en situation de mal-être, donc en danger », explique Valentina Urreiztieta.
Pour que le flex office compense les jours de télétravail et préserve la cohésion au sein de l’équipe, encore faut-il qu’il soit synonyme de moments partagés. « Les tâches ne doivent pas être les mêmes en flex office qu’en télétravail. Au bureau, il faut favoriser les échanges avec ses collègues et résoudre les problèmes tandis qu’à la maison, mieux vaut privilégier les tâches concentratives », insiste Sandrine Vialle Lenoël.
Chez BPCE, le choix du flex office accompagné

Au sein du Groupe BPCE, qui a pris la décision de généraliser le flex office pour l’ensemble de ses collaborateurs il y a deux ans et demi et va ainsi économiser 40 % de ses surfaces de bureau, « le partage de l’espace n’a jamais été remis en cause », explique Sophie Février, directrice de l’immobilier. Pour autant, des irritants ont été soulevés par les collaborateurs, que le groupe a d’emblée solutionnés.
Nos salariés craignaient de ne pas trouver de places pour s’installer puisque notre ratio, dans nos sites, est de 6 postes pour 10 collaborateurs. Nous avons donc développé une application qui leur permet de voir, en temps réel, les bureaux libres et occupés, à chaque étage.Sophie Février, directrice de l’immobilier Groupe BPCE
Aujourd’hui, plusieurs espaces co-existent au sein des tours BPCE, l’enjeu du groupe étant de rivaliser avec le domicile de ses salariés : « il est possible de travailler assis, debout, seul, en groupe, de manière formelle ou informelle... Tout existe mais rien n’est attribué », résume-t-elle.
L’entreprise a également préparé ses managers à ce changement de paradigme, via des ateliers dédiés à la conduite du changement. « Nous provoquons les rencontres entre les managers afin qu’ils partagent leurs rituels d’équipes et qu’ils ne se retrouvent pas tous à faire leurs réunions d’équipes le même jour. Certes, le flex office nécessite davantage de pilotage et de concertation. Pour autant, il en vaut le coup : la parole est plus libre quand tout le monde vit dans le même espace de travail et qu’il n’y a pas de porte de bureaux à pousser », indique-t-elle.
Espaces de travail en flex office dans la tour BPCE
Christophe Pareau, product manager, ex-salarié d’une entreprise en flex office : «Le flex office a certainement favorisé la déshumanisation de l’entreprise »

« Avant d’intégrer Eurécia, je travaillais au sein d’un grand groupe d’assurance, dans une tour de La Défense, à Paris. En 2012, pour économiser des étages dans cette tour, mon employeur a décidé de passer au flex office. Avec le recul, je me rends compte qu’aucun de mes collègues n’y était vraiment préparé. Au début, j’étais moi-même déstabilisé : du jour au lendemain, je suis passé d’un bureau qui m’était attribué dans un open-space, au fait de ranger mes affaires de travail tous les soirs dans un casier. Finalement, c’était une perte de temps car je m’installais toujours à la même place, à côté de mes collègues ! Sans compter que je courrais toujours après des stylos car je n’avais plus le pot à crayons que je laissais jusqu’ici sur mon bureau. C’est d’ailleurs surtout les aspects logistiques qui me dérangeaient : retrouver un espace de travail qui n’avait pas été nettoyé la veille par son prédécesseur, devoir tous les jours régler la hauteur de son siège de bureau ou connecter son ordinateur aux écrans... Pour certains de mes collègues qui installaient des photos ou des plantes vertes sur leur espace de travail, le flex office a certainement favorisé la déshumanisation de l’entreprise. Le seul avantage que je retiens de ce mode de travail, c’est d’avoir pu rencontrer des collaborateurs autres que ceux de mon équipe, avec qui j’aurais sûrement peu échangé si nos bureaux étaient restés attribués. »

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.