- Une meilleure indemnisation pour certains accidents du travail et maladies professionnelles ?
- Une accélération des contestations d’inaptitude ?
- La possibilité d’allaiter son bébé au travail simplifiée ?
- Une meilleure indemnisation suite à une rupture conventionnelle ?
- Une atteinte à la dignité en cas de mis en danger du salarié ?
- La responsabilité du donneur d’ordre mise en cause lors d’atteintes à la santé et la sécurité ?
Le rapport 2023 de la Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, publié le 15 juillet dernier, aborde six sujets qui pourraient avoir un impact sur le monde du travail, notamment en matière de santé et sécurité.
Une meilleure indemnisation pour certains accidents du travail et maladies professionnelles ?
Les maladies professionnelles et accidents du travail donnent droit à une rente versée par la Sécurité sociale. Mais lorsque la responsabilité de l’employeur dans cette maladie ou accident est avérée et reconnue devant le tribunal, on parle de faute inexcusable de l’employeur.
Actuellement, le Code de la Sécurité sociale prévoit que les victimes d’accident du travail ou maladie professionnelle perçoivent une rente majorée en cas de faute inexcusable de l’employeur. En plus de celle-ci, la victime peut demander à l’employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, le versement de dommages et intérêts pour la réparation de certains préjudices : « préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle » (article L-452-3 du Code de la Sécurité sociale). Or, « ce que critique la Cour de cassation depuis des années, c’est que ce système ne permet pas une réparation intégrale du préjudice subi parce que la liste est limitée à certains préjudices », explique l’avocate Diane Buisson, associée du cabinet Redlink.
La juridiction demande donc la suppression de l’article 452-3 de la Sécurité sociale pour le remplacer par un article qui stipule : “Indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation de l’ensemble des préjudices qui ne sont pas indemnisés pour l’intégralité de leur montant par les prestations, majorations et indemnités prévues par le présent livre.” « L'idée sous-jacente est aussi que la rente est calculée en fonction de critères, de taux, et cætera, fixés par la Sécurité sociale et qui, selon la Cour de cassation, ne réparent pas forcément en intégralité le préjudice réellement subi », ajoute l’avocate.
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La juridiction formule cette demande depuis 2010, mais cela n’a toujours pas été suivi d’effet. En 2023, elle est donc allée plus loin avec deux arrêts allant à rebours de la jurisprudence jusque-là en vigueur. Ainsi, « la Cour de cassation a accepté de réparer un préjudice qui était déjà réparé par la Sécurité sociale », explique l’avocate. Contrairement à ses recommandations, purement déclaratives, ces arrêts devraient avoir un impact sur le droit. « Cela fait jurisprudence, c'est-à-dire que les tribunaux judiciaires et cours d'appel, même s’ils n’y sont pas obligés, sont censés suivre ces arrêts et accéder aux demandes des salariés sur l'indemnisation », commente Diane Buisson.
Ce changement de jurisprudence est « un peu une façon de contraindre le législateur à légiférer » note l’avocate. Car pour l’instant, celui-ci « n’a pas l’air enclin à suivre la Cour de cassation parce que cela augmenterait la note qui peut déjà être assez élevée pour les employeurs et alourdirait le montant des dommages et intérêts auxquels ils seraient condamnés », observe Diane Buisson.
Elle estime cependant que « normalement il y a en droit public un principe qui est celui de la réparation intégrale du préjudice. Dès lors qu’on considère que le texte actuel contrevient à ce principe, je trouve l’évolution très légitime, ce n’est pas révolutionnaire. Evidemment, ce ne sera pas automatique, ce sera au salarié d’apporter la preuve de son préjudice ».
Une accélération des contestations d’inaptitude ?
Quand un salarié n’est plus en état médical d’assurer son travail, de façon définitive, un médecin du travail peut le déclarer inapte à son poste, ce qui oblige l’employeur à lui proposer un reclassement sur un autre poste, ou, si ce n’est pas possible ou que le salarié refuse, à le licencier (pour inaptitude professionnelle ou non-professionnelle selon la cause). Si, au bout d’un mois, le salarié inapte n’a été ni reclassé ni licencié, l’employeur est tenu de lui verser l’intégralité de son salaire, jusqu’à l’issue de la procédure. Mais l’employeur a le droit de contester l’inaptitude devant le conseil de prud’hommes s’il estime qu’elle n’est pas fondée. Il doit pour cela faire appel à un médecin inspecteur du travail qui va confirmer ou annuler l’avis du médecin du travail.
Or, la Cour de cassation a constaté une pénurie de médecins inspecteurs du travail, ce qui peut allonger les procédures de plusieurs mois, et donc prolonger le versement du salaire de l’employé. Une recommandation indiquait que dans ces cas-là, il est possible de recourir à un médecin expert mentionné dans une liste de la cour d’appel. Mais cela n’a aucune valeur juridique. « Comme cela n’est pas conforme à la loi, cela donne un argument soit aux employeurs, soit aux salariés pour contester l’avis de ce médecin, parce que ce n’est pas lui qui aurait dû le faire. Ce n’est sécurisant pour personne », explique Diane Buisson.
La Cour de cassation a donc été obligée de casser plusieurs décisions des prud’hommes, parce qu’elles avaient été prises en suivant l’avis d’un médecin expert et non d’un médecin inspecteur du travail. Elle recommande donc d’inscrire dans la loi la possibilité de faire appel à un médecin expert. « A mon sens, c’est légitime, parce que pour analyser l’état de santé du salarié, il n’y a pas besoin d’être médecin inspecteur du travail, juge Diane Buisson. Je pense que la recommandation pourrait être suivie, ce n’est pas compliqué à changer et cette loi a déjà été modifiée plusieurs fois, cela pourrait être fait rapidement ».
L’avocate explique que cela sécurisera les deux parties, mais que dans tous les cas, cela reste une procédure très longue, donc coûteuse, et incertaine. « Ce n’est pas une procédure que j’utilise beaucoup. Il est rare que l’inaptitude soit annulée, il faut vraiment quelque chose de grossier pour le faire. Il peut y avoir un intérêt quand la décision est abusive, mais il faut vraiment peser le pour et le contre ».
La possibilité d’allaiter son bébé au travail simplifiée ?
Les salariées ayant un bébé de moins d’un an peuvent l’allaiter sur leur lieu de travail dans les entreprises de plus de cent salariés, où l’employeur est tenu de mettre à disposition un local prévu à cet effet. La Cour de cassation propose de simplifier ce droit, afin que toutes les salariées puissent en bénéficier.
Elle propose également une simplification des conditions imposées aux entreprises de plus de cent salariés : les textes décrivent une véritable crèche d’entreprise, qui pourtant ne peut être utilisée que pour l’allaitement, ce qui n’est « pas adapté voire contradictoire sur certains points. En effet l’article R. 4152-26 du Code du travail présuppose que les enfants pourraient séjourner dans le local tout le temps, alors que l’article R. 4152-15 dispose au contraire que les enfants ne peuvent séjourner dans le local destiné à l’allaitement que le temps de celui-ci », explique Diane Buisson. La juridiction demande également de se conformer à la charte sociale européenne, qui prévoit que l’allaitement sur le lieu de travail soit considéré comme du temps de travail effectif, ce qui n’est actuellement pas le cas dans le droit français. « Compte-tenu du droit à l'allaitement qui est de plus en plus revendiquée, ces demandes de la Cour de cassation pourraient légitimement être entendues par le législateur », juge l’avocate.
Une meilleure indemnisation suite à une rupture conventionnelle ?
En cas de rupture conventionnelle, le salarié doit percevoir une indemnité au moins égale à l’indemnité légale de licenciement. Or, dans plusieurs branches, des dispositions conventionnelles assurent une indemnité de licenciement plus favorable que le minimum légal. Mais l’indemnité de rupture conventionnelle ne doit pas obligatoirement être alignée sur cette indemnité conventionnelle.
La Cour de cassation demande donc que l’indemnité de rupture conventionnelle soit alignée sur l’indemnité conventionnelle de licenciement, quand celle-ci est plus importante que l’indemnité légale. Diane Buisson constate que « dans la pratique, on se pose toujours la question » du montant de l’indemnité de rupture conventionnelle quand l’indemnité conventionnelle de licenciement est plus favorable que l’indemnité légale, et que « souvent, les employeurs donnent déjà le montant prévu dans la convention collective ». La mesure devrait donc sécuriser les employeurs, qui n’auraient plus de doute sur le montant à verser, et résoudre quelques interrogations sur les cotisations versées. En effet, quand une indemnité versée est supérieure au minimum légal, la partie supra-légale ne bénéficie plus d’exonérations de cotisations ou d’impôts. Ce qui peut donc être le cas si l’employeur verse une indemnité de rupture conventionnelle équivalente à l’indemnité conventionnelle de licenciement qui serait plus élevée que l’indemnité légale.
Mais si cela pourrait clarifier les choses, l’avocate n’est pas sûre que la recommandation sera suivie. « Le mouvement actuel semble plutôt vouloir restreindre l’accès à la rupture conventionnelle, parce que cela génère beaucoup de chômeurs, avec par exemple la hausse du forfait social de 20 à 30% ».
Une atteinte à la dignité en cas de mis en danger du salarié ?
Un arrêt de la Cour de Cassation a estimé que des salariés travaillant au contact de l’amiante depuis plusieurs années avaient été victimes d’atteinte à la dignité. Ils avaient conclu avec leur employeur une dérogation pour continuer de travailler dans un lieu contaminé par l’amiante, pour une durée définie, mais l’employeur avait continué à les y faire travailler une fois ce délai terminé. « La Cour de cassation a accepté de les dédommager au nom de la dignité. Elle a considéré que faire travailler ses salariés au contact de l’amiante tout en sachant que c’était illégal était une atteinte à la dignité ».
Pour l’avocate, le motif invoqué pour ce préjudice est « un peu surprenant. Il est reconnu depuis des années qu’un salarié qui travaille au contact de l’amiante peut faire valoir un préjudice d’anxiété. Mais cela ajoute un nouveau chef de réparation ». Cela pourrait avoir des répercussions au-delà des seuls cas liés à l’amiante, amenés à se réduire. « On pourrait utiliser ce motif dans d’autres domaines de la santé et de la sécurité ».
La responsabilité du donneur d’ordre mise en cause lors d’atteintes à la santé et la sécurité ?
Dans un autre arrêt, la plus haute juridiction judiciaire a donné raison à des salariés qui mettaient en cause le donneur d’ordres dont leur entreprise était sous-traitante, invoquant un préjudice d’anxiété suite à la manipulation de produits toxiques. Leur employeur ayant été mis hors de cause, ils se sont retournés contre la société cliente, pour laquelle ils avaient été mis à disposition, et dont la responsabilité a été reconnue. La Cour de cassation a en effet estimé que « même si ce n'est pas l'employeur en direct, dès lors qu’elle coordonnait les travaux, c'était à elle de faire en sorte que les salariés soient en sécurité pour leur santé », précise Diane Buisson. Si ce genre de décisions n’est pas encore très répandue, ce n’est pas une première. « Vous avez déjà de gros chantiers avec beaucoup de sous-traitants, et l’entreprise en charge de la coordination est aussi en charge de la sécurité. Cela permet aux salariés de faire valoir leurs droits quand leur employeur ne peut pas être mis en cause »
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