L'aéronautique recrute à nouveau, faut-il postuler ?

Gwenole Guiomard

SECTEUR QUI RECRUTE - Alors que le secteur broyait du noir l'an passé, l’aéronautique recrutera 6 000 cadres en 2022 et beaucoup plus en 2023. Après un gros trou d’air, la chasse aux talents est donc réouverte. Pas moins de 15 000 salariés (donc 40% de cadres) devraient être embauchés en 2022, les salaires repartent à la hausse et les reconversions sont plus que jamais possibles. La crise est-elle vraiment passée ? Faut-il postuler ? Enquête et interviews d'experts du secteur afin de vous faire votre propre idée.
L'aéronautique recrute à nouveau, faut-il postuler ?

Ils témoignent

  • Philippe Dujaric, directeur des affaires sociales et de la formation du Gifas,
  • Gilles Garczynski, directeur des talents et des cadres dirigeants de Safran
  • Bernard Ribere, consultant en stratégie industrielle pour ABR consultants Toulouse et président du groupe professionnel aéronautique et espace des anciens d’Arts et Métiers
  • Agnès Damette, présidente de Logitrade
  • Vincent Massé, responsable de Michael Page Sud-Ouest
  • Vincent Roiron, responsable de la région sud-ouest pour le cabinet de recrutement Expectra

Sur le front des embauches du secteur aéronautique, tous les pronostics des experts ont volé en éclat. En janvier 2021, l’ensemble de la profession prédisait un futur des plus noirs. « Il n’y aura pas de retour à la normale avant 2023 voire 2025 », annonçait, façon Cassandre, Guillaume Faury, le PDG d’Airbus. Un an plus tard, force est de constater que ces mauvais augures avaient tort.

 

Aéronautique : des prévisions d’embauche au niveau d’avant-Covid

Philippe Dujaric
Nous nous sommes trompés dans nos prévisions mais mieux vaut une erreur dans ce sens-là
Philippe Dujaric, le directeur des affaires sociales et de la formation du Gifas,

Le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales réunit quelque 400 entreprises et près de 200 000 salariés. Et Philippe Dujaric de préciser : « Notre secteur avait recruté 7 000 salariés en 2021 mais devrait en embaucher 15 000 en 2022 dont 40 % de cadres. Nous avions embauché près de 20 000 salariés en 2019, avant la crise sanitaire. En 2023 et 2024, nous espérons revenir à ces recrutements d’avant Covid ». A cela, il faudra ajouter le recrutement de 5 000 à 6 000 apprentis par an.

Gilles Garczynski

Joignant le geste à ses paroles, les gros donneurs du secteur communiquent aujourd’hui pour attirer le chaland. Ainsi, Safran va, « en 2022, recruter 2 250 ingénieurs et cadres en France contre 900 en 2021, précise Gilles Garczynski, le directeur des talents et des cadres dirigeants de l’entreprise. Notre volume d’embauches 2022 sera équivalent à celle d’avant-crise en 2019. Nous avons des besoins pour répondre aux montées en cadence et pour accompagner la transformation digitale de notre industrie et des services, ainsi que la décarbonation de l’aviation ».

Chez Airbus, le directeur des ressources humaines, Thierry Baril, affiche sa volonté « d’embaucher 6 000 salariés à travers le monde au 1er semestre 2022 ». Cette première vague devrait être suivie par une autre session d’embauche au second semestre 2022.

 

Aéronautique : les raisons d’un redémarrage

Comment passer des prévisions les plus sombres à la situation euphorique actuelle ? Un fin observateur du secteur avance quelques pistes. « Trois raisons expliquent ce très fort redémarrage des embauches dans notre secteur », débute Bernard Ribere. Ce consultant en stratégie industrielle pour ABR consultants Toulouse préside le groupe professionnel aéronautique et espace des anciens d’Arts et Métiers. Ces « alumni » viennent de publier une passionnante étude sur « L’analyse des tendances, des emplois et des enjeux » de l’aéronautique en France.

 

Départs en retraite massifs

Tout d’abord, le secteur connait aujourd’hui de forts départs en retraite, phénomène qui a été accéléré par les départs d’anciens du fait du Covid.

Beaucoup d’ingénieurs entre 55 et 65 ans ont été invités ou ont profité de la pandémie pour quitter le secteur.
Bernard Ribere, consultant en stratégie industrielle

Révolution verte

Ensuite, les produits aéronautiques ont dû s’adapter et réinventer une aviation bas carbone pour des clients qui souhaitent des engins plus simples, plus verts, moins chers et plus rapides à construire. Tout cela implique de travailler sur de nouveaux aéronefs novateurs avec un temps de construction plus court, facilement customisables. Il faut alors embaucher de nouvelles compétences en supply chain, en informatique, en production pour mener cette révolution industrielle.

Il va falloir produire des engins en un an alors qu’il en fallait 2 avant… et la robotisation du travail va se développer.
Bernard Ribere

Avec, là encore, de nouveaux besoins en robotique et en cobotique. Le tout en maintenant un niveau de sécurité très élevé.

 

Ces phénomènes expliquent aujourd’hui pourquoi la profession va embaucher en masse ces prochaines années, sauf, évidemment une catastrophe sanitaire… Il y a le souhait, dans le secteur, de profiter de cette après-crise sanitaire pour mettre aux commandes une nouvelle génération de talents plus variés, plus tournés vers l’innovation, plus digitaux.

 

Aéronautique : quels métiers en tension ?

Le recrutement repart et, sans surprise, ce sont les ingénieurs qui vont rafler la mise.

Les métiers de la Tech

La fonction la plus en tension est celle des spécialistes tech. Ils ont pour nom de fonction cyberdéfenseur, spécialiste en Intelligence Artificielle, data scientist, ingénieur système, architecte, infrastructure

Le manque de spécialiste est tel qu’Airbus a en projet de développer une école du numérique adaptée à l’aéronautique. Selon le Gifas, les « informaticiens », au sens large, vont représenter près de 30 % des embauches actuelles. Le secteur doit se digitaliser. Les spécialistes des nouvelles technologies sont très recherchés tant chez les grands donneurs d’ordre (Airbus, Thales, Safran, Dassault) que chez les équipementiers ou les start-up de cet écosystème.

Les métiers de la recherche et développement

La 2e grande famille en tension est celle des experts en recherche et développement. L’aéronautique doit innover et les ingénieurs R&D sont très demandées et encore plus dans des spécialités liées à l’hydrogène, son stockage, les batteries ou la cryogénisation.

 

Les métiers en production et maintenance

Enfin, les métiers intervenant dans la production et la maintenance (ingénieur maintenance, ingénieur production, logisticien, acheteur, supply chain manager) sont également en tension.

Nous recherchons tous des experts en supply chain. Le bon candidat est diplômé d’une école d’ingénieurs et dispose d’une expérience dans une industrie mécanique. Pour 2022, je vais embaucher 15 cadres pour un effectif actuel de 150 salariés.
Agnès Damette, présidente de Logitrade, une société apportant une solution digitalisée en matière d’achat et d’approvisionnement à l’industrie.

Les incidences sur les salaires de l’aéronautique

Ces tensions ont des effets sur les rémunérations au sens large.

C’est sûr, cette difficulté à recruter nous pousse à moins faire la fine bouche. On doit aussi tous augmenter nos salaires d’embauche même si nous devons faire très attention. En touchant aux rémunérations des entrants, on va devoir toucher à toutes les autres… »
Un dirigeant (qui a demandé à garder l’anonymat)
Vincent Massé

Le sujet est donc des plus « sensibles ». « Les rémunérations n’augmentent pas tant que cela, tente de temporiser, façon pompier, Vincent Massé, responsable de Michael Page Sud-Ouest dont l’aéronautique représente, bon an, mal an, 20 % de l’activité. Mais sur certains postes, mes clients sont prêts à casser leur tirelire.

Ainsi, un ingénieur en cyberdéfense, 5 ans d’expérience, vient d’être embauché à quelque 100 000 euros brut par an. Soit, pour lui, une hausse de 30 % de son précédent salaire. Il y a quelques cas comme cela mais c’est loin d’être général »
Vincent Massé, responsable de Michael Page Sud-Ouest
Vincent Roiron

Autre exemple de la nécessaire « adaptation » des employeurs : « un jeune diplômé de l’Ensam, un stage et 6 mois d’expérience, vient de se faire embaucher par un sous-traitant pour 43 000 euros brut par an, précise Vincent Roiron, responsable de la région sud-ouest pour le cabinet de recrutement Expectra qui vient de lancer une marque dédiée « Expectra aéronautique » afin de satisfaire la demande en cadres et techniciens de leurs clients.

En ce moment, ajoute un autre recruteur, « les employeurs sont capables de mettre 10 000 euros de plus pour embaucher un “cador”  ».

 

Mais ils misent aussi sur la qualité de vie au travail. Des sociétés de services informatiques dédiées à l’aéronautique s’installent ainsi au centre de Toulouse et jouent sur le sens du produit final. De plus, le télétravail est systématiquement accordé aux candidats qui le demandent.

 

Reconversions professionnelles : qui peut tenter sa chance dans l’aéronautique ?

Le secteur devrait embaucher 15 000 salariés en 2022 et espère en recruter 20 000 en 2023. C’est dire que l’aéronautique devra rechercher des spécialistes dans d’autres secteurs. Ce n’était pas une pratique du secteur il y a 5 à 10 ans où les employeurs expliquaient la main sur le cœur que l’aéronautique était tellement spécifique qu’il fallait n’embaucher que des « aéronauticiens ».

Sauf que, faute de candidats, cette « mode des clones » devient difficile à tenir. Les cadres de l’automobile, de l’énergie au sens large ou du ferroviaire peuvent donc aujourd’hui postuler pour importer les bonnes méthodes de leur secteur dans l’aéronautique.

« La transformation de certains métiers chez Safran, particulièrement dans tout ce qui est lié au digital, est une opportunité pour des personnes issues d’autres milieux industriels ou de services, résume Gilles Garczynski, le directeur des talents et des cadres dirigeants de l’entreprise. Safran accompagne l’intégration des nouveaux salariés avec un parcours dédié et favorise le développement professionnel et la formation ».

Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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