
Ils témoignent
- Elisabeth Jouannaux, directrice académique du Master international trade & marketing accessible en alternance de la grande école de management Kedge Bordeaux/Marseille
- Clément Moreux, responsable du recrutement de Padam Mobility
- Antoine Voyer, consultant en charge de l’étude* du cabinet de conseils Kyu
- Nicolas Guillaume, directeur des opérations Ile-de-France sur les fonctions techniques et sales/marketing pour le cabinet de recrutement LHH (Lee Hecht Harrison) Recruitment Solutions
- Bachir Boucherit, manager chez Fed Supply, l’entité dédiée aux fonctions supply chain, transport et logistique.
- Erwan Jean-Louis, senior consultant enterprise technology & performance pour la société de conseils Deloitte
Transport routier : un secteur malaimé mais mieux considéré depuis le Covid
Comme tous les secteurs, le transport routier (fret et voyageurs) peine à recruter. La faute à la pénurie de candidats bien sûr mais aussi à une image de monde du camion ou du bus âpre et payant mal, dont il commence à se débarrasser depuis que la crise sanitaire a mis en lumière son utilité stratégique pour le pays.

« Le transport routier attire peu mes étudiants, constate Elisabeth Jouannaux, directrice académique du Master international trade & marketing accessible en alternance de la grande école de management Kedge Bordeaux/Marseille. Mais ils prennent peu à peu conscience de son importance suite aux crises du Covid et de la guerre russo-ukrainienne. » Il y a en effet possibilité d’y mener des missions à impact autour de ses transitions écologique (lutte contre l’autosolisme, décarbonation des livraisons de colis et du transport de passagers, etc.) et numérique notamment. Reste que parmi les 36 000 entreprises du secteur, seule une minorité affichent ce type d’ambitions. Pour les candidats en recherche d’un job à impact, faire le tri prend du temps.
Exemple : Padam Mobility recrute sur des jobs à impact
La société d’ingenierie Padam mobility (filiale de Siemens Mobility) propose des bus à la demande via une application. Le système fonctionne dans les agglomérations de Lyon, Nantes, Lille ou Orléans. Elle propose des salaires de l’ordre de 40 000-45 000 euros brut/an aux jeunes diplômés Bac +5 pour des postes de développeurs ou de commerciaux. La promesse ? Elle propose des jobs à impact puisqu’elle agit pour la décarbonation des transports en commun. Et comme ce motif ne suffit pas, elle cumule d’autres atouts : une mutuelle payée à 70 % par l’employeur, 25 jours de congés payés et 11 jours de repos, un télétravail quasi-total avec l’obligation de venir au bureau 2 jours par… mois et la possibilité de disposer d’un bureau de coworking quand le nombre de salarié atteint 3 dans une ville donnée.

Padam Mobility a « recruté 10 cadres entre mai 2020 et avril 2021 pour 50 cadres entre mai 2021 et juin 2022, précise Clément Moreux, le responsable du recrutement. Nos recherches de cadres sont difficiles mais le fait que nous soyons une entreprise à mission dotée d’un bon processus de recrutement font que nous souffrons moins que les autres pour trouver des développeurs back end, des « team leaders » ou des commerciaux. Ces trois métiers constituent, dans cet ordre, le top 3 de nos embauches ».
Des milliers de recrutement en attente
Selon le tout récent baromètre* des tensions en recrutement des transports routiers du cabinet de conseils Kyu, le secteur du transport routier salarie quelque 625 000 personnes dont 10 % de cadres. Ce secteur « se caractérise par une intensification des tensions au recrutement nettement plus rapide que dans les autres secteurs d’activité, précise l’étude. L’indice de tension du secteur est de 63 % plus important que la moyenne nationale sur la période 2018-2020 alors qu’ils étaient similaires en 2015 ».
Ces tensions sur le recrutement s’expliquent aussi par des besoins croissants du secteur en main-d’œuvre, comptabilisés par l’étude de Kyu : les offres d’emploi cadre dans le secteur routier ont augmenté de 34 % entre le premier semestre 2021 et celui de 2022.
« Les employeurs recherchent des responsables affrètement transport, des responsables en logistique, des chefs d’équipe, des responsables ressources humaines ou en QSE/HSE, explique Antoine Voyer, le consultant en charge de l’étude.

Côté cabinet de recrutement, un sentiment de manque de candidats prévaut : « le transport terrestre se trouve dans un contexte de tension voire de pénurie de cadres, confirme ainsi Nicolas Guillaume, directeur des opérations Ile-de-France sur les fonctions techniques et sales/marketing pour le cabinet de recrutement LHH (Lee Hecht Harrison) Recruitment Solutions. Cette structure, une division d’Adecco, réalise environ 20 % de ces missions en transport. Cela correspond globalement à une situation de plein emploi sur le marché des cadres avec un taux de chômage à 3 % ».
Pour l’étude Kyu, 3 métiers font partie du top 10 des métiers du transport les plus en tensions en 2021 tous secteurs confondus : il s’agit de la fonction
- ingénieurs méthodes de production et du contrôle/qualité,
- cadres du transports
- cadres administratifs, techniques et financiers.
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Des salaires en hausse
Cette pénurie engendre des augmentations de rémunérations conséquentes. La 20e édition du baromètre Expectra des salaires cadres illustre ce manque de candidats. Avec un salaire des cadres qui a progressé modérément de 2,2 % en 2022 (2 % en 2021 et 2,3 % en 2020), « le secteur du transport et de la logistique bénéficie de la plus forte revalorisation salariale avec une hausse de 3,8 % en moyenne nationale », indique l’étude sortie le 5 septembre 2022.
Mieux encore, « parmi toutes les rémunérations analysées, celle du technicien de planification enregistre la plus forte augmentation au niveau national à 6,8 % suivi de près par le responsable logistique (+ 5,9 %) et l’approvisionneur (+ 5,7 %) ».
Exemples de rémunération dans le transport routier
Dans ce milieu du transport routier :
- Un développeur jeune diplômé est ainsi payé quelque 45 000 euros brut par an dès sa sortie de diplôme.
- Un commercial émargera, lui, à 40 000 euros brut par an avec un variable de l’ordre de 5 000 à 10 000 euros. « En début de carrière, précise un jeune diplômé Bac +5, rentré dans ce monde du travail en 2019, mon premier salaire a été de 42 000 euros brut par an. Trois ans plus tard, en septembre 2022, ayant intégré le conseil, je touche 54 000 euros par an. Et si je souhaite changer d’employeur, il suffit que je réponde à une offre que je reçois toutes les semaines ».

- « Nous recrutons avant tout des affréteurs, des exploitants transport et des agents de transit route, ajoute Bachir Boucherit, manager chez Fed Supply, l’entité dédiée aux fonctions supply chain, transport et logistique. Ainsi, je viens de clore une mission d’agents de transit route pour une société de transport terrestre. Il percevra, avec 3 ans d’expérience, 30 000 euros brut par an mais un responsable transport e-commerce, 10 ans d’expérience avec une compétence dans le management, a décroché un poste à 50 000 euros brut par an ».
Dans ce secteur, la carrière idéale pourrait débuter par
- un poste opérationnel de type gestionnaire transporteur, assistant transporteur ou chef de projet transporteur. Le jeune bac +5 en logistique et transport peut prétendre à un salaire oscillant entre 28 000 et 35 000 euros brut par an.
- Puis, il ou elle pourra décrocher un poste de manager de 1er niveau comme celui de responsable d’exploitation ou d’affrètement ou de coordinateur transport. Son salaire sera alors de l’ordre de 38 000 à 45 000 euros brut par an.
- Il évoluera ensuite vers un poste de directeur adjoint ou directeur d’exploitation pour une rémunération comprise entre 50 000 à 100 000 euros selon la taille de la business unit.
Des compétences transférables
Dans ce secteur, l’expérience du monde de la mobilité (voiture, bus, train, camion) est appréciée. « Car c’est un marché particulier ». Il faut de plus être curieux et avoir l'esprit pionnier. Car c'est un monde en devenir avec un développement possible du fait de nombreuses avancées technologiques comme la navette autonome, le smart mobility ou la possibilité de développer l’intermodalité en mixant transport routier, ferroviaire et maritime.
« Dans le transport routier, on a tout l’avenir devant nous, estime Erwan Jean-Louis, 28 ans, senior consultant enterprise technology & performance pour la société de conseils Deloitte. Il accompagne, après un Master de l’école de commerce marseillo-bordelaise Kedge en international trade & logistics réalisé en apprentissage, les entreprises de transport dans leur numérisation. Et d'illustrer :

Il va falloir transformer toutes ces entreprises, les automatiser, modifier leur manière de fonctionner. En cela, le transport routier constitue un vivier d’emploi cadres qui devront trouver des solutions pour développer un transport modal liant le routier au ferroviaire et au maritime. C’est dans ce transport routier qu’il y a le plus de choses à faire même si ce secteur parait moins attirant aux yeux des générations les plus jeunes.Erwan Jean-Louis, senior consultant Deloitte

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.