Le syndrome FOMO gagne les cadres

Sylvia Di Pasquale

ETUDE RANDSTAD/IPSOS - Les cadres sont comme des lovers hésitants. Faut-il que je reste à ce poste ? Suis-je en train de rater le job de ma vie ? Et si je retournais dans mon ancienne boîte ? Ils se savent désirés sur le marché de l’emploi et semblent céder au syndrome du “Fear of Missing Out”. Analyse psycho du dernier Cadromètre 2024 de Randstad Search et Ipsos.
Le syndrome FOMO gagne les cadres

Des chiffres à lire entre les lignes

Rien de neuf sous le soleil ? Le 3e Cadromètre* mené par Ipsos pour Randstad Search semble aligner des chiffres qui ne rebattent pas les cartes : 

  • Huit cadres sur dix se disent satisfaits de leur vie professionnelle 
  • 80% se disent attachés à leur boîte actuelle
  • Près de 7 sur 10 se disent à l’écoute du marché
  • La rémunération, l’équilibre des temps de vie et l’ambiance au travail restent les critères clés pour les cadres dans le choix d’une entreprise
  • Les cadres ont de fortes attentes en termes de formation, de flexibilité au travail et d’expérience collaborateur
  • 74% se disent sur-sollicités et ressentent une surcharge cognitive au travail

Mais parmi ces datas ronronnantes, deux chiffres attirent l’attention : 

  • Les cadres se projettent moins longtemps au sein d’une même entreprise : leur fidélité est passée de 14,1 ans en 2023 à 9,7 ans en 2024
  • Deux tiers des cadres interrogés sont prêts à revenir dans une ancienne entreprise

Voilà qui est intéressant…

Le FOMO professionnel, entre anxiété et frustration

69 % des cadres se disent à l'écoute de nouvelles opportunités “même s’ils se sentent bien dans leur entreprise”, pointe le Cadromètre 2024. Mais pourquoi donc ces cadres, même satisfaits de leur situation actuelle, cherchent-ils ailleurs ? Et pourquoi leur fidélité professionnelle est-elle en chute libre ?

Se sachant désirés sur le marché de l’emploi, ils semblent céder au syndrome du “Fear of Missing Out”, le fameux FOMO, ou la peur incessante de rater quelque chose en français dans le texte. 

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Cette anxiété de ratage ne se limite pas aux réseaux sociaux ou aux sites de rencontres; il s'invite aussi dans la vie professionnelle et en particulier dans la recherche d’emploi. A travers ces chiffres, 7 cadres sur 10 expriment une peur de manquer une meilleure proposition de salaire, de meilleures conditions de travail, des missions plus intéressantes. 

Un tiers d’entre eux aspire à changer d’entreprise dans les 6 prochains mois, et pour une raison simple : le salaire.

Peur de manquer quelque chose ou frustration de ne pas en avoir assez ? A force de se retrouver à des postes, certes intéressants, mais sans perspective d’augmentation de salaire, les cadres ne se résignent plus. Et savent désormais rester en veille permanente. 

65 % des cadres s’inquiètent pour leur pouvoir d’achat. Et pour près d’un tiers d’entre eux, leur salaire ne reflète pas leurs compétences, leur investissement personnel ou leur charge de travail.

Autre besoin inassouvi qui alimente ce syndrome FOMO : la flexibilité. 37 % des cadres aspirent à plus de souplesse dans leur quotidien, tandis que 38 % souhaitent une indépendance totale dans l’organisation de leur travail.

La surcharge cognitive, un mal silencieux

Mais il n’y a pas que le salaire qui les démange. La santé mentale des cadres n’est pas un petit sujet. Trois cadres sur quatre ressentent une surcharge cognitive affectant leur bien-être mental. C’est énorme. Stress intense, difficultés à déconnecter, épuisement professionnel voire sentiment de perte de sens au travail,...  Des maux que les cadres n’acceptent plus d’endurer sans broncher. 

Ce fameux sens ne se trouve pas forcément dans les engagements RSE de l’entreprise, mais plutôt dans la capacité à pouvoir constater au quotidien l’impact de ses actions.
Laurent Polet, Professeur à l’école CentraleSupélec et essayiste, extrait de son témoignage page 15 du Cadroscope Randstad/Ipsos

Cadres divas ou employeurs sourds ? Peu importe la réponse car sur un marché du travail qui donne la main aux cadres, ces derniers ne se gênent pas pour en profiter.  Faute de solutions efficaces - des initiatives comme la régulation des flux d’emails et la réduction du nombre de réunions ne suffisent pas -, 7 cadres sur 10 cherchent à échapper par eux-mêmes à ce mal-être croissant. Et le syndrome FOMO est un symptôme dont les employeurs ne mesurent pas encore les dégâts.

On observe une forme de saturation, de fatigue liée au rythme, à la densité et à l’intensité du travail. Les cadres se plaignent de ne plus avoir le temps de faire leur travail. Pour entretenir la motivation, l’enjeu pour l’organisation est d’alléger les process, la charge de travail, afin de redonner un peu de respiration à des cadres à bout de souffle.
Laurent Polet, Professeur à l’école CentraleSupélec et essayiste, extrait de son témoignage page 15 du Cadroscope Randstad/Ipsos

Fidélité en déclin et syndrome du « cadre boomerang »

L’étude pointe une fidélité en chute libre - elle est passée de 14,1 ans en 2023 à 9,7 ans cette année. Bonne nouvelle pour les cadres (la mobilité volontaire est un réflexe de bonne santé professionnelle à dose raisonnable) mais mauvaise nouvelle pour les employeurs. Cette perte de 4 points de “fidélité” en un an montre qu’elles ont des efforts à faire en matière de rétention.

Un autre phénomène, celui des « cadres boomerang », reprend du galon.

Un cadre sur cinq est déjà retourné dans une entreprise qu’il avait quittée. C’est peu mais ça augmente. Pourquoi cette tendance ? Parce que l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs et certains employeurs, confrontés à un marché de l’emploi tendu, ont appris à soigner leur “off boarding”. Elles savent qu’un départ bien géré laisse la porte ouverte à un retour. Certaines entreprises n’hésitent plus à réintégrer d’anciens collaborateurs, déjà familiarisés avec leurs pratiques.

La fidélité des cadres à une entreprise se raccourcit, mais les bons employeurs, ceux qui savent les écouter et répondre à leurs attentes, ont encore toutes leurs chances de les retenir, voire de les voir revenir. Pour y parvenir, ils devront trouver  cet équilibre délicat entre offrir des conditions de travail optimales et répondre aux aspirations profondes des cadres, tout en gardant un œil sur leur syndrome FOMO.

* Méthodologie Cadroscope 2024

L’enquête a été menée par l’institut de sondage Ipsos auprès d’un échantillon de 1 200 cadres actifs du secteur privé, dont la rémunération annuelle fixe est de 35 k€ bruts minimum s’ils vivent en province et de 40 k€ bruts minimum s’ils vivent en région parisienne. La représentativité de l’échantillon est assurée par un quota raisonné de 100 cadres par région. Sondage réalisé en ligne entre le 1er et le 22 février 2024.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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