
Elles témoignent
- Isabelle Barth, professeure agrégée des universités en science de gestion (université de Strasbourg) et conférencière
- Manuelle Malot, directrice de l'Edhec NewGen Talent Centre
- Flore Villemot-Crozet, DRH de The Boson Project
- Amélie Favre Guittet, dirigeante du cabinet de conseil RH Madircom.
Seul un tiers des jeunes cadres souhaite manager
Une récente étude* sur les débuts de carrière des nouvelles générations comportait un rappel cinglant et un chiffre intriguant.
Le rappel cinglant, c’est le désamour pour le management chez les jeunes cadres (de moins de 6 ans d’expérience) :
- seuls 29% d’entre eux sont motivés par l’idée de manager une équipe
- 44% veulent avant tout développer une expertise.
Un autre chiffre nous semble plus intriguant : chez les jeunes cadres (moins de 6 ans d’expérience) qui ont goûté à la vie en entreprise,
- 27% d’entre eux se disent attirés par l’animation d’équipe mais sans lien hiérarchique.
Autrement dit, ces jeunes disent « manager des egos, non merci. Manager des projets, banco ».
Entre désillusion vis-à-vis du "management à l'ancienne" et envie de se développer sans gérer les egos des autres, cette génération semble redéfinir ce qu'est une carrière réussie.
Les raisons du divorce entre management vertical et jeunes cadres
Les résultats de cette étude ne sont pas une grande surprise mais enfonce bel et bien le clou d’un désintérêt certain des diplômés de grandes écoles pour le management à la papa (si on veut forcer le trait).
A cela, plusieurs explications.
🔵 Le management n’est plus la seule voie de promotion

« On peut faire l’hypothèse que le management a perdu de son prestige, du moins dans sa représentation. Le management n’est plus le seul moyen d’avoir une promotion aujourd’hui », observe Isabelle Barth, professeure agrégée des universités en science de gestion (université de Strasbourg) et conférencière.
Et Manuelle Malot, directrice de l'Edhec NewGen Talent Centre, l’école pilote de l’étude, de renchérir :

Une carrière ne se juge plus à l’aune du nombre de personnes encadrées, d’un budget à gérer plus important, ni de la progression salariale. Pour ces jeunes, une carrière est une multiplication de projets qui vont leur permettre de se développer personnellement et professionnellement, leur donner confiance et les amuserManuelle Malot, directrice de l'Edhec NewGen Talent Centre
🔵Le management est synonyme de dilemme insoluble
Ce désamour des jeunes cadres pour des postes de managers s’explique aussi par l’image que leur renvoie leur manager actuel.
« Ils voient leurs managers directs englués dans des injonctions paradoxales insolubles. Ils doivent piloter la performance financière et économique de leurs équipes tout en veillant à leur bien-être. Ils doivent gérer et faire monter en compétence un collectif alors que le télétravail se généralise. Ils doivent appliquer des stratégies avec lesquelles ils ne sont pas nécessairement d’accord. Le tout sans ressources, ni moyens supplémentaires. Les jeunes n’envient pas la place de leur manager de proximité », analyse Flore Villemot-Crozet, DRH de The Boson Project.
🔵Le management des egos n’attire pas
Et puis le management vertical impose aussi de prendre en compte les problèmes personnels des membres de l’équipe, donc des interactions interpersonnelles plus forte.

Au quotidien, les jeunes n’aiment pas les conflits ni les confrontations, ils ont du mal à gérer leurs propres émotions, alors prendre en compte celles des autres… Conscientes du problème, les écoles de commerce notamment proposent de plus en plus de cours sur le développement de la confiance en soi, les soft skills interpersonnelles.Amélie Favre Guittet, dirigeante du cabinet de conseil RH Madircom.
Un quart des jeunes cadres préfère le management non hiérarchique
Si la grande majorité des jeunes cadres diplômés des grandes écoles renâclerait à avoir un pouvoir hiérarchique sur une équipe, un quart d’entre eux est en revanche partant pour animer des teams, bosser en réseau mais sans lien de subordination aucun. Du management "horizontal" en quelque sorte.
Là encore, cette attitude trouve plusieurs explications selon nos expertes.
🔵 Impact opérationnel immédiat

D’abord, il y a pour eux le sujet du plaisir à faire. Ils veulent avoir un impact opérationnel immédiat, voir leurs dossiers avancer. Piloter des équipes projets leur confère un petit côté artisan..Flore Villemo- Crozet, DRH de The Boson Project.
🔵 Influence d'expertise
Ensuite, avec l’équipe projet, ils vont réfléchir et co-construire des solutions. Ils veulent embarquer une équipe à travers de la création de valeur et pas grâce à un statut.
Pour eux, le projet est un lieu d’expérimentation managériale qui mise davantage sur les résultats que sur le reporting et les process. Ils y cultivent une certaine expertise d’influence.Manuelle Malot.
🔵 Chef de bande
En mode projet, ces jeunes se voient déjà driver des équipes qui leur ressemblent, souvent des personnes qu’ils pourront choisir pour leur expertise sur tel ou tel sujet. Des chefs de bande en quelque sorte.
Sans lien hiérarchique entre eux, les jeunes managers de projet ne se sentent pas responsables des autres participants ni de leur développement. Et c’est ce qu’ils recherchent.Flore Villemot-Crozet.
🔵 Responsabilité partagée
De plus, le management de projet responsabilise tout le monde.
« Si le dossier n’avance pas, le manager ne s’en sent pas personnellement responsable, mais la responsabilité est partagée avec toute l’équipe »
constate Amélie Favre Guittet.
Enfin, et c’est lié aux précédentes explications, ces jeunes pros craignent la solitude du manager à l’ancienne. Pas question pour eux de se retrouver isolés dans leur tour d’ivoire. Une expérience ne vaut d’être vécue que s’ils prennent part à un collectif.
Les entreprises doivent-elles et peuvent-elles s’adapter à ces nouvelles aspirations ?
Les aspirations de ces futures générations de « manager » peuvent-elles être entièrement satisfaites sur le terrain ? Les organisations doivent-elle et peuvent-elles répondre à ces nouvelles aspirations ? Qui managera les boîtes dans les 10 ans à venir ?
Tout dépend de l'analyse que feront les organisations de ces comportements émergents.
Même si l'on voit quelques organisations supprimer des niveaux hiérarchiques et mettre en place des structures dédiées au mode projets, les postes de management vertical restent encore majoritaires dans les entreprises. Et ces rôles restent toujours le meilleur moyen de se faire repérer pour les étapes d’après.
*L’étude G16 Careers a été conduite par l'Edhec NewGen Talent Centre, avec les associations de diplômés du G16 Careers des écoles suivantes : Agro-Uniagro, Arts et métiers, Centralesupelec, Edhec, EM Lyon, Ena-Insp, Ens, Ensae, Escp, Essec, Estp, Hec Paris, Iae Paris, Isae Supaero Ensica, Mines Intermines, École Navale, École Polytechnique, Ponts, Sciences Po, Telecom. 2 099 réponses de diplômés de moins de 6 ans d’expérience ont été analysées.
Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.