Les maladies liées au travail sont sous-déclarées et en augmentation en France

Julie Falcoz

ETUDE - On peut tomber malade à cause de son travail sans que cette maladie relève d'une "maladie professionnelle". On parle dans ce cas d'une "maladies à caractère professionnelle" (ah les pudeurs de notre belle langue française). La dernière étude de Santé publique France révèle que ces pathologies, comme les troubles musculo-squelettiques (TMS) et la souffrance psychique, sont à la fois les plus répandues et les moins signalées par les salariés, y compris chez les cadres. Explications.

Selon Santé publique France, certaines maladies professionnelles sont sous-déclarées. Réactions de Saverio Tomasella, docteur en psychologie et Lydia Martin, docteur en psychologie et psychologue du travail chez Alan.

Les maladies liées au travail sont sous-déclarées et en augmentation en France
Selon Santé publique France, certaines maladies professionnelles sont sous-déclarées. Réactions de Saverio Tomasella, docteur en psychologie et Lydia Martin, docteur en psychologie et psychologue du travail chez Alan.

Ils témoignent

  • Saverio Tomasella, docteur en psychologie
  •  Lydia Martin, docteur en psychologie et psychologue du travail chez Alan.

TMS et souffrance psychique

Santé publique France vient de publier un rapport sur la surveillance des maladies à caractère professionnel (MCP). Entre 2012 et 2018, 40 000 salariés français ont été vus par 1 375 médecins du travail à travers le dispositif MCP pour un état des lieux de leur santé. Il en ressort que les principales MCP signalées sont les troubles musculo-squelettiques (TMS) et la souffrance psychique (surmenage, épuisement, dépression, burn-out…). 

Quelles différences entre une "maladie professionnelle" (MP) et une "maladie à caractère professionnel" (MCP) ?

  • Une maladie professionnelle (MP) est reconnue comme telle si elle figure sur l'un des tableaux annexés au Code de la Sécurité sociale. Elle correspond à une affection causée par l'exposition à des risques professionnels spécifiques dans le cadre de l'activité professionnelle. Les MP sont sont prises en charge par la Sécurité sociale.
  • En revanche, une maladie à caractère professionnel (MCP) est causée ou aggravée par les conditions de travail du salarié atteint mais ne figure pas sur la liste des maladies professionnelles. Elle fait l’objet de procédures de reconnaissance différentes.

Santé Publique France observe que les signalements de ces MCP augmentent. Mauvaise nouvelle, c’est encore insuffisant puisque environ 75 % des TMS n’ont pas fait l’objet d’une déclaration en maladie professionnelle, “principalement en raison de la méconnaissance de la procédure par le salarié avant la consultation avec le médecin du travail et d’un bilan diagnostic insuffisant”, précise l’étude. 

Les cadres sont soumis à une forte pression professionnelle. Pour réussir, ils doivent supporter un stress quotidien durable. Sachant que depuis 2008, beaucoup de postes n’ont pas été remplacés, ils sont obligés d’accepter cette pression et de faire au mieux. Petit à petit, ils ne sont plus capables d’être à l’écoute des signaux de leur corps. Mal de dos ou fatigue, ils n’y sont pas attentifs et tiennent jusqu’à ce que le corps lâche.
Saverio Tomasella, docteur en psychologie

Sans surprise, les TMS sont beaucoup plus répandus chez les ouvriers en raison des facteurs biomécaniques (mouvements répétitifs, posture, travail avec force). En ce qui concerne la souffrance psychique, qui concerne davantage les cadres, les facteurs organisationnels, relationnels et éthiques (FORE) représentaient 99 % des agents incriminés, et près de la moitié d’entre eux relevaient de l’organisation fonctionnelle du travail. Même si ces résultats sont à nuancer en raison d’une possible sous-déclaration chez les ouvriers.

"Parmi les FORE, on identifie ce qui relève de l'organisation du travail, d’un manque de confiance en la direction et entre collègues. Et aussi la souffrance éthique qui implique de faire un travail qui va à l’encontre de ses valeurs”, explique Lydia Martin, docteur en psychologie et psychologue du travail chez Alan.

Les signaux d’alerte chez les cadres 

En tant que cadres, voici les signes qui devraient vous alerter : 

  • Insomnie 

“Si c’est une de temps en temps, il n’y a pas de souci mais quand elles commencent à devenir régulière depuis plus de 3 semaines, consultez. En général, c’est le premier signe indiquant que le système nerveux ne fonctionne pas correctement”, indique Saverio Tomasella. 

  • Problèmes de digestion

“Deuxième signal d’alarme : le corps est épuisé et ne digère plus”, dit-il. 

  • Des moments d’abattement

“Surtout le dimanche soir ou pendant les vacances, si vous n’arrivez plus à en profiter, posez-vous des questions”, prévient-il.

  • Irritabilité

Crises de colère, énervement… Et votre entourage qui ne vous reconnaît plus.

  • Problèmes neurologiques (tremblements, frémissement des paupières, nausées régulières…)

Les signaux d’alerte pour les managers d'équipes

N’ayez pas peur d’écouter votre intuition par rapport aux membres de votre équipe. Si vous avez un doute, c’est probablement une bonne alerte. Sinon, vous devriez être attentif aux signaux suivants : 

  • Trop de zèle

Une personne de l’équipe qui ne pose jamais ses RTT ou ses vacances, qui en fait trop tout le temps, qui est trop perfectionniste.

  • Colère et manque d’empathie

Irritabilité, sarcasme et manque d’empathie ne font pas bon ménage.

  • Pâleur

Du mieux-être au travail

Pour qu’il y ait moins de maladies professionnelles sous-déclarées, il faudrait lever le tabou :

“Ce n’est que le début. Beaucoup de maladies professionnelles ne sont pas reconnues comme telles. Puis, la médecine du travail est en train d’étouffer et donne des rendez-vous de plus en plus espacés. Aujourd’hui, les entreprises sont plus conscientes du rôle de la prévention mais, il faudrait presque une refonte du système de santé.
Lydia Martin, docteur en psychologie et psychologue du travail chez Alan.

Avant d’en arriver là, il y a quelques actions rapides à mettre en place.

“D’abord, les entreprises devraient embaucher de temps en temps une ressource supplémentaire pour soulager leurs collaborateurs. Ensuite, la deuxième action possible et peu coûteuse est de proposer des massages une fois par semaine dans les locaux. C’est très efficace ! Des ateliers peuvent être aussi proposés pour parler stress, sport ou sommeil. Je recommande également de laisser la possibilité à tous les collaborateurs d’exprimer leurs émotions : plus elles le sont, moins elles restent sur le cœur. Une boîte à émotions pourrait être remplie de petits mots (anonyme et jamais lus bien sûr). Parfait pour décharger le trop plein !”, déroule Saverio Tomasella.

Du temps et de la prévention

Avant d’en arriver aux maladies professionnelles, la prévention semble être la première clé.

“Chez Alan, nous préconisons un plan de prévention avec trois actions à mener sur toute l’année, résume Lydia Martin. Cela peut être un groupe de travail entre managers qui ont vraiment besoin d’échanger sur leurs difficultés, une régulation de la charge de travail, une remise en question de l’usage des outils numériques. L’important est que l’information ne doit pas être descendante mais bien venir du bas”.

Quant au temps, les managers en manquent cruellement pour bien faire leur travail de manager alors qu’ils sont tournés principalement vers leurs objectifs. 

“C’est aux entreprises de libérer un temps de travail dédié pour mieux manager, conclut Lydia Martin. Après la quête de la performance, elles devraient soigner le bien-être des salariés. Les deux vont de pair”.

Julie Falcoz
Julie Falcoz

Journaliste depuis 13 ans, je suis spécialisée sur des thématiques liée à l'emploi : management, recherche d'emploi, enquête sur des secteurs économiques, emploi des cadres, test de métiers...

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