Licenciée à cause d’une photo sur son compte Messenger privé (et c'est légal)

Sylvie Laidet-Ratier

DROIT DU TRAVAIL - Dans deux arrêts du 4 octobre dernier, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme qu’un employeur peut se servir de photos issues d’un compte Messenger privé (ou autres réseaux sociaux) pour motiver un licenciement au nom du « droit à la preuve ». Évidemment sous certaines conditions. Décryptage avec Laura Ballester, avocate associée du cabinet Adeona Avocat.e.s.

Pour Cadremploi, Laura Ballester, avocate associée du cabinet Adeona Avocat.e.s., décrypte le licenciement d'une salariée à travers deux arrêts de la Cour d'appel qui invoquent le "droit à la preuve".

Licenciée à cause d’une photo sur son compte Messenger privé (et c'est légal)
Pour Cadremploi, Laura Ballester, avocate associée du cabinet Adeona Avocat.e.s., décrypte le licenciement d'une salariée à travers deux arrêts de la Cour d'appel qui invoquent le "droit à la preuve".

C’est quoi le principe du droit à la preuve dans les textes ?

Accrochez-vous :

Tiré des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (droit à un procès équitable et droit au respect de la vie privée et familiale), le principe du droit à la preuve consiste à accepter la production d’un mode de preuve a priori non admissible, en mettant en balance les intérêts que le secret protège et les autres intérêts en jeu, c’est-à-dire dès lors qu’une telle atteinte à la vie privée est proportionnée au regard des intérêts antinomiques en présence. 

Voilà pour les grands mots !

Quelle application du droit à la preuve dans les faits ?

Le droit à la preuve vient d’être tout récemment appliqué dans deux arrêts de la Cour de cassation datant du 4 octobre 2023 :

Ils portent sur le licenciement pour faute grave de deux infirmières, à qui leur employeur (un hôpital) reprochait, entre autres motifs, d’avoir participé à une séance photo en maillot de bain sur leur lieu de travail et pendant leurs horaires de travail.

via GIPHY

(Greys Anatomy - ABC)


Ces faits avaient été révélés par l’une de leurs collègues aide-soignante. Egalement membre de ce même groupe privé « Messenger », elle avait été choquée par les photos postées sur ce groupe et les avait transférées à son employeur comme preuves. Il s’agissait donc bien de conversations privées normalement protégées et dont l’employeur ne pouvait jusqu’à présent pas se saisir dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

[La Cour d’appel] a en outre énoncé que dans la mesure où ces photos avaient été prises sur le lieu de travail et à destination d'une ancienne collègue de travail, elles relevaient de la sphère professionnelle et étaient légitimement produites aux débats et révélaient un comportement contraire aux obligations professionnelles de la salariée.
Extrait arrêt 22-18.217

« Dans cette affaire, les juges ont considéré que, bien que ces photos portaient en effet atteinte à la vie privée de la salariée, leur utilisation était proportionnée à l’objectif de protection des patients. La photo sur Messenger a donc été retenue comme preuve pour justifier du licenciement des deux infirmières. Nous sommes là dans un contexte particulier : l’hôpital. Je ne suis pas certaine qu’une photo de salariés déguisés en train de faire la fête dans une salle de réunion d’une grande entreprise postée dans un groupe privé WhatsApp ou encore Messenger, entraine les mêmes conséquences. En revanche, si sur cette photo, on peut repérer des signes distinctifs permettant d’identifier l’entreprise, alors l’employeur pourrait arguer d’une atteinte à son image de marque. Et ladite photo pourrait être retenue comme preuve », commente Laura Ballester, avocate associée du cabinet Adeona Avocat.e.s.

Une photo de votre compte privé Messenger (ou autres réseaux sociaux) peut-elle être utilisée par votre employeur à votre encontre ?

Deux réponses à cette question :

  • Votre employeur peut tout à fait utiliser vos photos postées sur des boucles de message privés, pour enclencher une procédure disciplinaire à votre encontre. A condition qu’il se conforme aux textes en vigueur sur le droit à la preuve (cf plus haut).
  • Sachez aussi que si ces groupes d’échanges (Messenger, WhatsApp, etc.) sont installés sur un téléphone portable professionnel, il n’y a plus d’échanges privés qui tiennent. Tout ce qui se passe sur ces appareils pro relève de la sphère professionnelle. Et peut donc servir de preuve, sauf à ce que chaque message soit clairement identifié comme personnel.

Vous voilà prévenus !

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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