Ludovic Bessière : « Certains secteurs sinistrés continuent cependant de recruter »

Sylvie Laidet-Ratier

PAROLES DE PRO – Dans sa récente étude sur l’impact des recrutements post-crise, le cabinet Hays met en lumière certains métiers peu affectés par la crise. Malgré les chiffres du chômage qui s’envolent et les PSE qui s’enchainent, il y donc encore des postes à pourvoir pour les cadres. Ludovic Bessière, directeur Hays France & Benelux et observateur du marché de l'emploi des cadres, explique ce paradoxe.
Ludovic Bessière : « Certains secteurs sinistrés continuent cependant de recruter »

Les fonctions qui recrutent malgré la crise

Cadremploi : Dans votre récente étude « Crise Covid-19 : quel impact sur le recrutement en cette rentrée 2020 ? », vous indiquez que certains métiers tirent mieux leur épingle du jeu que d’autres. Quels sont-ils ?

Ludovic Bessière : « Les métiers de la finance d’entreprise/comptabilité mais aussi l’audit et l’expertise comptable ont assumé le rôle de médecins des entreprises durant la crise. Maintenant, ces fonctions consolident leurs positions. Le numérique/IT continue de recruter notamment dans les entreprises qui n’avaient pas assuré leur digitalisation avant la crise. Celles-là embauchent car elles veulent être prêtes, au cas où.

Les métiers qui recrutent dans l'industrie

Dans l’industrie, l’étude pointe du doigt des besoins de gestionnaires de stocks, prévisionnistes de ventes, approvisionneurs, coordinateurs logistiques, gestionnaires transport, responsables maintenance, responsables qualité… Mais dans quelles industries précisément ?

L.B. : Dans les industries qui ont été impactées favorablement par la crise. Je pense notamment à l’agroalimentaire mais aussi aux laboratoires pharmaceutiques. Les besoins dans l’industrie immobilière repartent également. Par exemple sur des postes en lien avec la promotion, les études et la négociation foncière. L’aéronautique recherche aussi des financiers.

L’aéronautique, touché de plein fouet par la crise et qui annonce des licenciements, recherche donc en même temps des financiers ?

L.B. : en effet, certains collaborateurs sont aussi partis de leur plein gré. S’ils occupaient des postes importants voire stratégiques dans les directions financières, il faut bien les remplacer. Les secteurs de l’hôtellerie et du tourisme sont eux aussi sinistrés et pourtant, ils continuent à embaucher des fonctions support.

Sur quels types de fonctions support embauchent les secteurs de l’hôtellerie  et du tourisme selon vous ?

L.B. : par exemple sur des postes de yield management afin d’optimiser le taux de remplissage des hôtels, avions, etc.

Comment se faire remarquer par les algorithmes quand on veut changer de secteur ?

Comment les candidats venus de secteurs sinistrés (hôtellerie, tourisme, automobile) peuvent-ils "duper" les algorithmes qui risquent de ne pas les repérer vus qu’ils ne sont pas du secteur ?

L.B. : ils doivent réaliser une cartographie de leurs compétences et en tirer des mots clés qui peuvent servir de sésame sur d’autres secteurs d’activité. Par exemple, indiquer la maîtrise des normes IFRS ou de tel ERP… Liker le contenu posté par des influenceurs du nouveau secteur visé est aussi un bon moyen de se faire repérer par les algorithmes. Toujours sur LinkedIn, suivre des # bien précis permet de remonter dans la liste des candidats potentiels.

Cette crise n'a pas complètement figé les velléités de mobilité des cadres

Le cas des juniors et des séniors

Comme avant la crise, peut-on encore parler de pénurie de candidats ?

L.B. : On pensait que comme en 2008, cette crise allait figer les velléités de mobilité des cadres. En fait, ce n’est pas exactement le cas. Les juniors n’ont pas trop de crainte et nous n’avons pas de mal à les convaincre de se rendre en entretien. Pour les seniors en poste, il faut être beaucoup plus convaincant et leur garantir que le projet d’entreprise en face est ultra solide.

Quid des embauches des seniors en recherche d’emploi ?

L.B. : le management de transition est particulièrement approprié aux seniors qui ont une expertise bien ciblée. En effet, les entreprises recherchent des solutions rapides pour sortir d’une situation de blocage. Un senior ayant cette expertise est le candidat idéal car opérationnel et immédiatement disponible. Les séniors en recherche d’emploi doivent nécessairement définir leur offre de service spécifique afin d’attirer l’attention des employeurs. Un DRH généraliste a par exemple récemment reformulé son CV en mettant en avant sa valeur ajoutée en matière de réorganisation. Il vient d’être embauché dans une start-up ayant ce besoin immédiat et ponctuel.

Les process de recrutement sont-ils aujourd'hui plus longs qu'avant ?

L.B. : non pas spécialement plus longs. Sur certains postes junior, notamment en comptabilité, cela peut même allait assez vite. Deux à trois semaines comme avant en fait.

L'impact de la visio dans les entretiens d'embauche

La généralisation des entretiens en visio, ça change quoi pour les candidats ?

L.B. : 30 à 40% des entretiens se font encore aujourd’hui en présentiel en respectant les consignes sanitaires. Mais c’est vrai que quasiment tous les premiers entretiens se déroulent en visioconférence. Les candidats sont désormais rodés, ils s’isolent au calme. Pour nous recruteurs, cela nous permet de contacter davantage de candidats.

Espérer une progression salariale de 20 à 30% en changeant d’entreprise est aujourd’hui quasi impossible.
Ludovic Bessière, directeur au sein de Hays France et Benelux

Surenchère salariale malvenue

Sur des profils rares, conseillez-vous aux candidats de négocier leur salaire à la hausse en cas de mobilité externe  ?

L.B. : évidemment qu’il ne faut pas s’interdire de changer d'entreprise pour faire un gap salarial mais je déconseille de faire de la surenchère . Cela ne marche plus. Aujourd’hui encore plus qu’hier, les entreprises sont guidées par des objectifs de rentabilité. Elles ont des grilles de salaire dont elles peuvent rarement sortir. Et puis, il serait mal vu de profiter d’une situation de pénurie pour faire exploser sa rémunération. On a pu voir cela sur des postes de développeurs mais aussi d’expert-comptable. Les cabinets ne plient pas car il en va de leur rentabilité. S’ils accèdent à des demandes de rémunérations hors marché, ils seront moins compétitifs que leurs concurrents. Donc recruter oui, mais pas à n’importe quel prix. Espérer une progression salariale de 20 à 30% en changeant d’entreprise est aujourd’hui quasi impossible.

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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