Métiers en tension : les solutions du CESE pour les rendre plus attractifs

Gwenole Guiomard

RECRUTEMENTS DIFFICILES – La société civile, représentée au sein du Conseil économique, social et environnemental (Cese), hausse le ton sur les métiers en tension. Ses représentants ont récemment publié un « avis » visant à améliorer l’attractivité des métiers qui ont du mal à recruter. Focus sur 5 des 20 mesures présentées qui concernent plus particulièrement les cadres.
Métiers en tension : les solutions du CESE pour les rendre plus attractifs

C’était une volonté du Premier ministre français Jean Castex : demander un avis des membres du Cese (Conseil économique, social et environnemental) pour « identifier les leviers d’actions nécessaires » afin d’aider les employeurs qui galèrent à enfin trouver les candidats qui manquent à l’appel. Des études de la Dares et de Pôle emploi posent des chiffres sur le mal : « 6 métiers sur 10 étaient en forte tension en 2020, alors que seuls 1 sur 4 l’étaient en 2015 ».

Evolution des métiers en tension selon la cause des tensions

Liste des métiers cadres en tension en 2022

Voici une liste des métiers dont les effectifs sont importants (plus de 200 000 personnes) avec des niveaux de tension supérieurs à 1 recensés par la Dares.

Source : tableau des données intégrales des tensions de la DARES, 2019

 

Dans ce projet d’avis, le CESE formule 20 préconisations que l’on a regroupées en cinq grandes familles :

Solution 1 : Renforcer le rôle des branches professionnelles

Pour Sophie Thiéry, la présidente de la commission travail et emploi pour le Cese, membre de la CFDT et salariée d’une Mutuelle santé, les branches professionnelles doivent intervenir pour « expliquer aux employeurs, essentiellement les PME démunies de services RH, comment favoriser leur attractivité et développer des emplois de qualité qui fassent sens. Ce peut être en leur expliquant comment jouer sur les politiques de rémunérations, réguler les contrats courts, aider aux gardes d’enfants, améliorer les conditions de travail et lutter contre les discriminations ».

 

Ce message est reçu cinq sur cinq par Pierre Verzat, président de Syntec-Ingénierie, la fédération de l’ingénierie dont les membres emploient 380 000 salariés dont la moitié exerce leur fonction en PME. Cette branche compte recruter 80 000 salariés en 2022 dont 80 % de cadres. « Le rôle de notre branche professionnelle est effectivement d’améliorer la qualité de la vie au travail, commente Pierre Verzat. Nous développons cela en systématisant, par exemple, le télétravail. Les négociations sont en cours mais c’est acté. Nous discutons maintenant sur le nombre « équilibré » de jours de télétravail. Nous développons aussi les compétences de nos collaborateurs via des formations financées par notre Opco Atlas. La vraie difficulté est d’attirer les talents dans nos entreprises. La France diplôme 40 000 ingénieurs par an et nous en avons besoin de 50 000 à 60 000 ». Syntec ingénierie travaille aussi sur la féminisation des ingénieurs via, par exemple, une action « Alice ou les pouvoirs de l’ingénierie » diffusée dans les écoles. « L’idée est d’élargir la base de recrutement des ingénieurs », ajoute Pierre Verzat. Du côté des employeurs, la bouteille est loin d’être aussi pleine. « Je ne me vois pas contacter ma branche professionnelle. Je ne m’adresse pas à eux et ils ne s’adressent pas à moi, résume Pascale Le Carpentier de Leusse, présidente de Protecop. Cette PME située dans l’Eure, 48 salariés à Bernay, est spécialisée dans la fabrication des protections destinées aux forces de l’ordre, aux armées. Elle réalise 60 % de son chiffre d’affaires à l’international et a embauché, en 2021, 5 cadres. Elle devrait en recruter tout autant en 2022. Notre attractivité passe en fait par notre présence sur les réseaux sociaux, par les marchés que l’on conquiert et par notre notoriété. Mais aussi par le fait que nous devions proposer aux cadres des salaires de 20 % supérieur à la concurrence francilienne, des promotions rapides, de plus grandes responsabilités ». Thomas Lemasle est, lui, dirigeant de Oé (oeforgood.com), un négociant en vin façon « nouvelle économie/foodtech », bio et engagée pour la sauvegarde de notre planète. Il salarie, par ailleurs, 20 collaborateurs. « Je n’ai pas éprouvé de mal à recruter, sur Lyon, les 4 à 5 cadres que j’ai dû embaucher en 2021. Je ne pense connaitre d’autres difficultés pour recruter les cadres, 5 également, dont nous aurons besoin en 2022. Je conseille aux employeurs de faire comme moi : nous sommes certifiés B Corp (www.bcorporation.fr). Cela attire. Nous sommes aussi une entreprise à mission. C’est beaucoup d’engagement. Nos candidats recherchent du sens à leur travail. Ils postulent pour faire partie de notre « activisme ». Il n’y a pas une seule journée sans que je ne reçoive une candidature spontanée d’un commercial, par exemple, voulant apporter sa pierre à notre aventure ».

Solution 2 : Améliorer la capacité des PME à bien recruter et bien fidéliser

Pour Sophie Thiéry, la présidente de la commission travail, « les employeurs ont pris l’habitude de disposer de nombreux candidats pour un seul poste avec la possibilité de trouver leur mouton à 5 pattes. Ce n’est plus le cas ». Les employeurs doivent donc améliorer leurs techniques de recrutement pour identifier les compétences, les lacunes et les potentiels des bons candidats. Cela demande de décorréler la progression professionnelle du diplôme initial. « Les CCI, les Opco, l’Apec, les cabinets de recrutement peuvent ainsi aider à améliorer les pratiques de recrutement. La diversité dans le recrutement est une vraie clef pour abaisser la tension que connait notre marché du travail », ajoute Mme Thiéry. Maryvonne Labeille, dirigeante du cabinet de conseils en recrutement Labeille conseil et vice-présidente de Syntec conseil fédérant la profession de conseil en recrutement ne peut qu’être d’accord avec cette proposition du Cese. « Le rapport est très intéressant, commente-t-elle. Le conseil en recrutement intervient déjà sur ces thèmes. Nous accompagnons des dirigeants pour les convaincre de ne pas s’attacher des cadres ayant exactement les mêmes caractéristiques que le précédent. Ce « clônage » n’a pas d’avenir. Cela ne fonctionne plus. Mais il faut expliquer cela à nos clients n’ayant pas cette ouverture d’esprit et à la majorité qui ne souhaite recruter que des clônes… ». Ceci précisé, Eric beaudouin, président de Oasys et président de Syntec conseil en évolution professionnelle estime que les PME sont « plus ouverts à embaucher des profils différents, plus divers. Cela s’explique aussi par le fait qu’ils reçoivent moins de candidatures spontanées, soient peu présents dans les journaux, dans les salons avec des services publics qui ne les aident pas ». « Ces politiques sont à mener urgemment, ajoute Saïd Hammouche, président de Mozaïk RH, un cabinet de conseils contribuant à promouvoir la diversification des recrutements. Quand le taux de chômage des cadres en France baisse, il avoisine les 3,5 % aujourd’hui, il n’évolue pas pour les « cadres » des « quartiers populaires qui connaissent des taux de chômage de l’ordre de 35 %. Les préjugés des employeurs sont importants pour les habitants des banlieues mais aussi pour ceux des zones rurales, des diplômés d’université. C’est une hérésie économique de ne pas faire le pas de côté pour recruter « autrement » mais je dois constater qu’il n’y a pas de prise de conscience pour repérer ces « autres » talents qui sont mobiles, parlent plusieurs langues, qui sont diplômés. Pourtant, quand on s’y préoccupe, cela fonctionne. Notre cabinet a monté avec Vinci le recrutement de 200 stagiaires dans les métiers du génie civil. On détecte des alternants de niveau Bac +5 pour Sanofi ou des conseillers en gestion de patrimoine pour BNP. Nos résultats sont excellents. Le rapport du Cese montre qu’il y a consensus à recruter de façon « diversifié ». Il suffit que les employeurs s’y mettent. S’ils s’en donnent les moyens, s’ils sont aidés, cette politique fonctionnera. Si ce choix n’est pas fait, la pénurie de cadres perdurera ».

Solution 3 : Concilier temps de vie professionnelle-vie personnelle 

Le Cese estime, dans son avis, que le mauvais équilibre temps de travail (important), temps personnel (compliqué) contribue à « tendre » le marché du travail des cadres. « Il s’agit, par exemple, de permettre aux femmes de mieux et plus intégrer le monde du travail, précise Pierre-Olivier Ruchenstain, le rapporteur de l’avis, directeur de la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) et membre du CESE groupe entreprise. Or ces dernières s’arrêtent très souvent pour élever leurs enfants. Des solutions de garde doivent être mis en place à des prix moins élevés. Aujourd’hui, cette garderie coûte, par enfant, de 150 à 1000 euros par mois. Les pouvoirs publics doivent subventionner pour que le reste à charge soit minime ».

Solution 4 :  Améliorer le pouvoir d’achat.

Pierre-Olivier Ruchenstain propose aussi qu’une « série d’avantages collectifs soit non soumis à l’impôt comme les tickets restaurants au-delà de 5,69 euros ou les frais de santé dont le reste à charge est de 213 euros par an en moyenne française ». Cette question financière permettant de mieux attirer les cadres est la raison même de l’entreprise « Benefiz », une plateforme digitale aidant les employeurs à valoriser les avantages sociaux que les PME peuvent proposer à leurs salariés. « Je ne peux que souscrire aux propos du Cese consistant à orienter le débat sur le pouvoir d’achat des salariés et les avantages sociaux auxquels ils pourraient avoir droit mais qui ne sont pas exploités, faute de connaissance, par les dirigeants des PME, estime Christophe Triquet, le dirigeant de « Benefiz ». C’est une manière intelligente de distribuer du pouvoir d’achat aux salariés en les fléchant sur les thèmes importants que sont la santé, l’alimentation, les aléas de la vie et la retraite. De plus, cela permet d’économiser de 20 à 30 % des sommes en préférant un avantage social au salaire. Si je prends l’avantage le plus important, l’intéressement, les économies sont conséquentes pour le cadre et pour son employeur. Si l’on propose 100 euros brut à un collaborateur, cela coûte 140 euros à l’employeur et le salarié percevra, in fine, dans sa poche, 55 euros. Si l’on paye via le truchement de l’intéressement, cela coûtera 100 à l’employeur et l’employé en percevra 91 euros dans la poche… ». Mais pour cela, il faut informer employeur et employé et arriver à trouver une juste harmonie entre le salaire et ces avantages sociaux. Il faut comprendre ces mécanismes, disposer de ressources en interne pour les expliquer et les mettre en place… « Et là, ce serait aux branches professionnelles d’évangéliser les patrons, leur expliquer la puissance de ces avantages sociaux », ajoute Christophe Triquet.

Solution 5 : Rapprocher les logements des lieux de travail.

« Un Français sur 4 refuse un emploi du fait de l’éloignement de son logement, commente Pierre-Olivier Ruchenstain. Il faut rapprocher les lieux de vie et les lieux de travail ». Le Cese préconise alors de créer des logements de fonction pour, par exemple, les cadres de la fonction publique. « Est-il normal qu’une infirmière, après son travail, doivent encore rouler pendant 90 minutes pour rentrer chez elle ? ». Certains employeurs commencent à s’y mettre. C’est le cas de cette PME orléanaise du secteur agronomique qui a offert à un jeune ingénieur 3000 euros de bonus « déménagement » avec, en sus, un conseil pour repérer les « bons coins » de la ville. C’est aussi cette grande école lilloise qui a fait visiter la ville à toute la famille pour les aider à faire le bon choix. Le salaire du cadre a aussi aidé à opter pour la capitale des Flandres. On lui proposait 100 000 euros brut par an…

Qu’est-ce que le Cese

Le Cese regroupe des représentants des syndicats de salariés, des organisations patronales et de nombreuses associations. Ils représentent la société civile. Son rôle n’est que consultatif, contrairement à l’Assemblée nationale et au Sénat qui ont un pouvoir législatif.

L’avis du 12 janvier 2022 sur les métiers en tension a été rapporté par Pierre-Olivier Ruchenstain (groupe entreprises) au nom de la commission travail présidée par Sophie Thiéry (groupe CFDT).

 

Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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