Nicolas, 40 ans : « J’ai intégré les Dark Vador de la finance pour sauver notre Terre »

Gwenole Guiomard

SERIE « FRANCHEMENT » épisode 8 – Nicolas vient de quitter le monde de l’ingénierie en rénovation énergétique de bâtiment – qu'il trouvait gentillet – pour intégrer celui de la finance internationale. Vendu, Nicolas ? C’est au contraire, défend-il, le meilleur moyen de faire changer concrètement le monde sans renier ses convictions écolo. Il a certes doublé son salaire mais travaille du dimanche 15 h au samedi 14 h et sait aussi qu’il peut être viré à tout moment. Cynique, Nicolas ? Lui préfère dire qu'il est lucide et pragmatique. Pour raconter sans filtre son virage de carrière du côté obscur de la force, il a préféré garder l'anonymat.
Nicolas, 40 ans : « J’ai intégré les Dark Vador de la finance pour sauver notre Terre »

Le déclic : avoir enfin les moyens d’agir à grande échelle

 « Je suis un spécialiste des fluides destinés à chauffer ou à refroidir les bâtiments. Ma deuxième spécificité est d’être franco-européen. J’ai beaucoup vécu à l’étranger et développé la capacité de réfléchir avec une vision décalée sur mon domaine de prédilection : les bâtiments de haute qualité à faible empreinte carbone. Je travaille dans ce secteur depuis le début des années 2000 avec le sentiment d’être dans le vrai, même si cela prenait plus de temps que prévu. J’ai donc été payé très peu, quelquefois 900 euros par mois, pour travailler beaucoup dans un secteur passionnant. Au fil du temps, j’ai pris du galon pour devenir cadre dirigeant d’une filiale française à capitaux étrangers.

C’était bien mais j’éprouvais de plus en plus de lassitude à travailler sur de petits projets, sans véritable impact global.

Quand tu réalises un musée, cela prend deux-trois ans de ta vie mais cela ne change pas fondamentalement le monde qui t’entoure. Moi, j’en suis venu à considérer que la seule solution pour sauver notre écosystème était d’agir à grande échelle. Parallèlement, les grands groupes ont commencé à réaliser que le « peak oil » (pic pétrolier, c’est-à-dire le moment où le pic d’extraction de pétrole atteindrait son maximum) pouvait déjà être derrière nous et que les changements climatiques auraient des conséquences désastreuses sur leur business. En 2019, cet alignement des planètes m’a poussé à chercher ailleurs.

 

A la recherche de l’emploi utile mais... rarissime

Au lieu de partir élever des chèvres dans le Larzac, j’ai eu l’idée de chercher un job chez les requins de la finance internationale, là où est l’argent ! Car j’avais appris dans mes précédentes expériences que ces grandes sociétés d’investissement ne demandent rien de mieux que de verdir leurs bâtiments. Mais elles ne savent pas comment faire. Mon profil de touche-à-tout, de l’écologie des bâtiments à l’ingénierie, qui se propose de « décarboner » tous leurs projets immobiliers, pourrait les intéresser. Et ça a marché.

Après 7 mois à faire circuler mon CV auprès de mon réseau, j’ai décroché un entretien dans un cabinet externe puis interne. C’est une durée classique dans mon secteur du développement durable, mais la difficulté était que les gros financiers n’ont pas l’habitude d’embaucher des profils comme le mien.

En mars 2020, juste au début du confinement, j’ai signé mon contrat de travail comme référent environnemental. Je suis chargé de développer de nouveaux quartiers, de nouvelles villes, des régions et à terme des pays économes en énergie, avec des matériaux bio sourcés, une bonne acoustique, etc.

J’aime bien dire que j’ai intégré les Dark Vadors de la finance pour sauver notre Terre. Avec le but d’infléchir, « d’écologiser » des projets massifs, globaux.

 

Une intégration chez les requins

J’ai commencé mon nouveau boulot en plein confinement. A moi le grand groupe avec ses 10 000 salariés, mais en télétravail ! Une période très difficile. Je ne voyais personne. Heureusement, dès avril, j’ai été déconfiné. Au passage, en intégrant cette multinationale, mon salaire est passé de 60 000 à 100 000 euros brut par an. Cela signifie une vie plus confortable mais aussi plus de pression, plus de boulot.

Je suis à bord d’une machine de guerre où j’embauche le dimanche à 15 h pour finir le samedi à 14 h.

Cela va très vite. Je fais partie d’une équipe où tout le monde est carriériste. La solidarité n’existe pas. Je monte des équipes projets où chacun veut tirer la couverture à soi. Mon but est de verdir notre planète. Eux veulent en majorité monter tout en haut du cocotier.

Combien de temps cela va durer ? Je ne sais pas. Je peux être viré du jour au lendemain. Mais le jeu en vaut la chandelle. Je veux aller le plus loin et le plus longtemps possible. Le monde politique, la réglementation, les consommations changent. Je souhaite être au cœur du système qui fait bouger les choses dans le bon sens.

Cela implique de vivre dans un monde de requins et sur un siège éjectable.

On ne m’a jamais caché cet aspect quand j’ai intégré ce groupe. Je sais que si cela ne marche pas, je saute.

Pour paraphraser La guerre des étoiles, je suis dans l’étoile noire avec des moyens stratosphériques. J’aide Dark Vador et le pousse vers le bien, vers de bons combats, en lui montrant qu’il peut utiliser sa force autrement.

Et après ? « J’ai un plan B »

Si je suis éjecté de l’Empire, l’expérience aura été extraordinaire. Cela ne m’empêchera pas de recréer une autre boîte. Dans ce monde du développement, je ne suis pas seul. Je suis connecté et prépare déjà mon plan B pour créer un autre business. Mon marché du travail est très actif. Il y a des offres d’emploi dans le développement durable. L’échec n’est pas admis en France mais moi j’estime que c’est très bien de se casser la gueule. Cela apprend énormément. Donc, pour le moment, j’avance et on verra bien. Et si cela se passe mal chez Dark Vador, je vais en retirer tout le savoir que je peux pour monter, pourquoi pas, une boîte concurrente. C’est le jeu ».

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La rédaction de Cadremploi se mobilise pour donner la parole aux cadres qui font bouger leur vie professionnelle. Leurs doutes, leurs craintes, le déclic et finalement la satisfaction de l'avoir fait... chacun a ses raisons et ses façons d'avancer. C'est ce que tente de démontrer cet espace de liberté d'expression à propos du boulot. Comme il n'est pas toujours facile de témoigner à visage découvert pour parler de SA carrière, nous offrons la possibilité de rester anonyme. Si vous avez une belle histoire de "déclic" à raconter et qu'elle peut inspirer d'autres cadres, laissez-nous un message à [email protected]. En précisant en objet #Franchement. Un journaliste vous contactera pour recueillir votre témoignage. Merci à vous.

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Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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