Marie-Laure Collet : « J’ai rarement vu une TPE-PME me refuser un senior. En revanche, les grands groupes sont moins ouverts »

Sylvie Laidet-Ratier

PAROLES DE PRO Interview #11 – Merci le papy-boom ! La pyramide vieillissante des âges devrait, selon Marie-Laure Collet, fondatrice et associée du groupe breton Kalicea auquel appartient le cabinet de recrutement Abaka et présidente de l’Apec, encore soutenir les recrutements cadres cette année. En revanche, elle ne prévoit pas de réelle embellie pour l’emploi des seniors. Notamment dans les grands groupes empêtrés dans leur grille de salaire hyper figée. Si les candidats ne rentrent plus dans les grilles salariales de leur boîte, pour elle, ils n’ont d’autres choix que d’aller toquer à la porte d’une autre entreprise. Là, ils seront sans doute accueillis à bras ouverts, surtout s’ils portent des sujets en lien avec l’innovation RSE, digitale ou technique.

Marie-Laure Collet, fondatrice et associée du groupe Kalicea auquel appartient le cabinet de recrutement Abaka et présidente de l’Apec.

Marie-Laure Collet : « J’ai rarement vu une TPE-PME me refuser un senior. En revanche, les grands groupes sont moins ouverts »
Marie-Laure Collet, fondatrice et associée du groupe Kalicea auquel appartient le cabinet de recrutement Abaka et présidente de l’Apec.

Comment qualifier l’année 2022 pour le cabinet ?
Marie-Laure Collet : il s’agit d’une très bonne année en termes de sollicitations par les entreprises et de chiffre d’affaires. Mais les recrutements sont restés complexes. Et puis, il faut faire attention à ne pas confondre CA et marge car on passe désormais plus de temps sur les recrutements, nos honoraires n’ont pas augmenté et nos charges ont augmenté.

Et 2023 ? Quelles évolutions attendez-vous ?
M-L C : je reste très prudente sur les projections. Je sais que la conjoncture est faite de crises, de reprises et d’ajustements. Cette année va être encore nourrie par l’anxiété liée à l’inflation et au contexte géopolitique. Mais comme nous sommes en plein papy-boom jusqu’en 2030, je suis plutôt sereine. A moins d’un effondrement économique des pays occidentaux, nous saurons nous adapter à la conjoncture. Les entreprises n’arrivent toujours pas à recruter seules. Il y aura toutefois peut-être moins de volume de recrutements dans les grands groupes.

Quels secteurs vous inspirent confiance pour les recrutements 2023 ?
M-L C : les secteurs en lien avec l’innovation digitale, technologique et environnementale vont embaucher. Et ce, sur les métiers du marketing, du commerce et techniques.

Comment les attentes des candidats et des entreprises vont-elles évoluer en 2023 ?
M-L C : même si je me garderais bien de généraliser, je constate quand même que le travail auquel aspire les candidats n’est pas nécessairement celui attendu par les entreprises. Pour éviter les malentendus, chacune des deux parties doit, dès le départ, être très explicite sur ses attentes. L’entreprise doit clairement dire ce qu’elle est capable de donner ou pas. Par exemple sur les salaires, tout n’est pas possible. Quand les marges d’une société baissent à cause de l’inflation du coût des matières premières et de l’énergie, elle ne peut raisonnablement pas pratiquer la surenchère salariale. Et ce qui est envisageable dans un grand groupe ne l’est pas nécessairement dans une PME et encore moins dans une TPE.

Quelles évolutions notables dans les process de recrutement en 2023 ?
M-L C : les process n’évoluent pas, mais les outils oui. Nous utilisons des outils plus rapides qui facilitent l’identification des candidats et qui évaluent plus finement encore les soft et hard skills des candidats. Les grands groupes gagneraient à lever le pied sur la multiplication des entretiens pour se garantir le meilleur recrutement. Pour un stage de 3e année, une étudiante en école de commerce de mon entourage, a dû passer 4 entretiens. Les employeurs doivent se montrer plus agiles dans les recrutements et surtout parier sur l’intégration des nouvelles recrues. C’est ce qui permettra l’adoption de l’entreprise par le candidat.

Constatez-vous davantage d'ouverture aux candidats séniors ?
M-L C : dans mon expérience professionnelle, j’ai rarement vu une TPE-PME me refuser un senior car ces employeurs savent qu’il s’agit de recrutements pérennes qui feront baisser le turn over interne. Ce sont bien souvent les grands groupes qui sont les moins ouverts aux profils seniors notamment à cause de leur grille de salaires prédéfinie. Avec 30 ans d’expérience, un senior entre dans les rémunérations élevées et cela risque de déséquilibrer les coûts salariaux. Les PME/TPE sont plus flexibles sur le sujet.

Plus d’ouvertures aux cadres qui veulent changer de secteur ? de région ?
M-L C : les changements de secteur sont possibles sur des fonctions support mais moins aisées sur les métiers d’experts. Par ailleurs, je constate que les candidats sont de moins en moins mobiles. Avant de partir dans une autre région, se pose d’abord la question de l’emploi du conjoint mais aussi de la stabilité de la cellule familiale. On a de plus en plus de familles recomposées avec des enfants scolarisés à un endroit. Ce qui empêche l’un des parents de s’éloigner. A cela s’ajoute la tendance au repli sur soi et son environnement proche et stable lorsque cela tangue à l’extérieur. En l’occurrence en ces temps d’incertitudes économiques et géopolitiques. On constate donc moins de mobilités inter régions. Les mobilités se font au sein des grandes métropoles. Là, les candidats switchent facilement d’un poste à une autre sans avoir besoin de changer de domicile, quitte à se rajouter des contraintes de transport.

Quelles questions posent les candidats et qu’ils ne posaient pas avant ?
M-L C : les questions autour du télétravail sont omniprésentes : combien de jours ? Quelle indemnité télétravail ? Quels équipements ? Quel niveau de prise en charge des repas les jours de télétravail ? Etc. Et ce, dès les premiers entretiens. Si le télétravail est impossible, les candidats passent souvent leur tour.

Avez-vous une question fétiche aux candidats que vous ne posiez pas avant ?
M-L C : non pas de question fétiche mais j’essaie au maximum de les faire parler de la valeur travail, de leur définition de l’engagement, de la transparence et de la fidélité. Je leur demande également ce qu’ils ont envie de mettre en œuvre dans le digital et en matière de RSE pour porter la transformation de l’entreprise qu’ils s’apprêtent à rejoindre.

Quelle meilleure stratégie pour réussir un gap de salaire en 2023 ? rester ? partir ? revenir ? se former ?
M-L C : pour réaliser ce gap, je conseille de se former pour augmenter ses compétences et son employabilité et de faire une mobilité externe afin de trouver une entreprise plus en phase avec ses aspirations salariales.

Qu’est-ce qui naîtra de meilleur pour vos métiers d’intermédiaire du recrutement ?
M-L C : nous ne sommes pas là pour juger mais pour évaluer les candidats. Nous devons faire matcher le cahier des charges fourni par notre client entreprise avec les compétences et valeurs d’un candidat. Faisons preuve d’humilité en nous plaçant au même niveau que les candidats. Chez Abaka, le verbe juger est d’ailleurs complètement banni.

Avez-vous davantage de « oui » pour l’embauche de managers féminins ? Et pour entrer dans des CA ?
M-L C : les contraintes légales liées à la parité et à la mixité font que la féminisation des managers rentre petit à petit dans les mentalités. Il n’empêche que les femmes cadres gagnent toujours 8% de moins que les hommes. On est donc loin de l’égalité salariale. Il faut arrêter de mettre les femmes dans des métiers moins considérés. Même avec un comité de direction mixte, le poste de directeur général est toujours plus facilement attribué à un homme qu’à une femme. Sur le sujet, les torts sont à mon avis partagés. Certaines femmes n’ont pas envie de ces postes car elles manquent de confiance en elles et attendent qu’on les encourage à le faire. Alors qu’au contraire, les hommes se battent. Avant de prendre la présidence de l’Apec, j’ai longtemps exercé des responsabilités de vice-présidente. Il a fallu que des pairs m’encouragent à franchir le pas pour que j’ose !

Abaka en quelques chiffres  

  • 273 recrutements en 2022
  • 35 consultants en 2022
  • CA 2022 : 2,5 millions d’euros
Tags : senior
Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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