Stefan Peters, chasseur de têtes : « Nous abandonnons les short-lists et présentons les candidats au fil de l’eau »

Sylvie Laidet-Ratier

PAROLES DE PRO Interview #3 – Face à des candidats de plus en plus volatiles, pas le choix, il faut aller vite, constate le chasseur de tête Stefan Peters à la tête du cabinet Peters Consultant. Si les employeurs hésitent à répondre, les candidats les « ghostent » et vont voir ailleurs. Pour éviter qu'ils ne s'impatientent, le cabinet conclut des recrutements en un mois maximum s’il le faut. Mais au-delà de la vitesse, l'exigence du candidat-consommateur se fait sur l'attitude de l’entreprise qui recrute : elle doit être transparente sur le contenu du poste mais aussi (et surtout) sur les conditions d’exercice du poste. Car, c'est nouveau, les candidats fuient les postes où ils détectent une surcharge de travail due à un sous-effectif chronique. Retrouvez en fin d’article toutes les interviews des professionnels qui font le recrutement 2023.

Stefan Peters, dirigeant du cabinet Peters Consultant, détaille les révolutions en cours du marché de l'emploi 2023.

Stefan Peters, chasseur de têtes :  « Nous abandonnons les short-lists et présentons les candidats au fil de l’eau »
Stefan Peters, dirigeant du cabinet Peters Consultant, détaille les révolutions en cours du marché de l'emploi 2023.

Sa vision du recrutement en 2023

Comment qualifier l’année 2022 pour le cabinet ?

Stefan Peters : 2022 a été une bonne année avec l’arrivée de nouveaux clients qui ne recouraient pas à la chasse de têtes jusque-là. Il s’agit d’entreprises de l’IT, de l’industrie ou encore de la construction, confrontées à un tur over élevé de leurs équipes. Et/ou à un taux de désistement des candidats plus important qu’avant.

Et 2023 ? Quelles évolutions attendez-vous ?

S. P. : Malgré la récession annoncée, le début d’année est pour l’instant relativement dynamique. Et quand on sait que nous, intermédiaires du recrutement, sommes souvent aux avant-postes pour percevoir la baisse d’activité des entreprises, c’est plutôt encourageant.

Activités d’avenir : IT, conseil, construction, industrie

Quels secteurs vous inspirent confiance pour les recrutements 2023 ?

S. P. :  l’IT bien sûr mais aussi le conseil en stratégie, en organisation et financier. Ainsi que la construction, au vu de la multiplication des programmes très importants dans les 2-3 années à venir. Et enfin, l’industrie. Nous travaillons pour des sous-traitants du secteur de l’armement, un secteur très dynamique vu le contexte. L’industrie dans le second œuvre, donc les fabricants de matériaux, cherche également à recruter.

L’ère du candidat consommateur

Comment les attentes des candidats et des entreprises vont-elles évoluer en 2023 ?

S. P. :  On assiste à de nouveaux types de relations dans le recrutement. Les personnes se comportent de plus en plus comme des consommateurs que comme des candidats face à des opportunités d’emploi. Pendant toute la première partie du process de recrutement, les candidats sont très distants. Si on ne les accompagne pas au quotidien, ils ne vont pas plus loin. On parvient à les captiver quand on leur parle vraiment du projet professionnel et de leurs conditions de recrutement et de collaboration. Ils veulent d’emblée savoir ce qu’ils vont faire, les perspectives d’évolution, leurs responsabilités, le type de management, le salaire, le télétravail, la structure de l’ équipe, etc.

Des process plus courts et plus fluides

Quelles évolutions notables dans les process de recrutement en 2023 ?

S. P. :  Le temps de recrutement est plus réduit qu’avant – 1 mois en moyenne contre 2 auparavant – car la concurrence entre entreprises est forte. On ne voit plus de process avec 8 entretiens, c’est trop long. Les candidats auraient trop de temps pour accepter une autre proposition. Pour aller vite, on ne propose plus de short-list mais on présente les candidats au fil de l’eau. Nos clients sont souvent prêts à les recevoir dans les 72 heures. On est désormais moins dans des entretiens où l’on enchaine les questions visant à écarter certains candidats au profit de discussions en profondeur sur la teneur du poste et les perspectives d’évolution. 

Des séniors plus agiles, des entreprises plus ouvertes

Constatez-vous plus d'ouverture aux candidats séniors ? Ou cela relève encore d'un doux rêve ? Pourquoi ça coince encore entre les seniors et les employeurs ?

S. P. :  On ne peut pas faire de généralités sur ce sujet de l’emploi des seniors. Je rencontre des entreprises qui se donnent réellement les moyens de recruter des seniors car ils apportent du lien, de la stabilité, du soutien… par exemple à des équipes plus jeunes. Je n’ai quasiment aucun client qui refuse de rencontrer des candidats seniors. Ce qui prime ce n’est pas l’âge mais la correspondance entre les attentes du poste et l’expérience. Et puis bien sûr le salaire. On a des clients qui ne recrutent pas de seniors de peur de ne pas tenir leurs budgets de masse salariale. Or, si on additionne les coûts liés au fort turnover des jeunes arrivants (recrutement, formation, remplacement) et qu’on le compare au coût réel d’un senior, la différence est au final moindre. Rappelons qu’un jeune sur deux ne pense pas rester plus de deux ans dans son entreprise, ce qui n’est pas le cas des séniors. La mise en place du futur index seniors est susceptible de faire évoluer les mentalités car il y a une vraie prise de conscience du retard français sur le sujet.

J’observe également que les seniors appréhendent les opportunités professionnelles avec plus d’agilité qu’avant. S’ils ne décrochent pas un CDI, ils pensent mission comme consultant. Si ce n’est pas un temps complet, peu importe, ils y voient l’opportunité de mettre un pied dans l’entreprise et d’y développer leur réseau professionnel.

Une mobilité sectorielle limitée

Plus d’ouvertures aux cadres qui veulent changer de de secteur ?

S. P. :  on ne note pas vraiment de passerelles entre les secteurs d’activité. Les cabinets de chasse de têtes sont mandatés sur pour des postes très précis, nécessitant des compétences pointues et des capacités à assumer certaines responsabilités. C’est donc compliqué de proposer un candidat venant d’un autre secteur d’activité. A moins qu’il ne réponde parfaitement aux autres critères et qu’il y ait vraiment pénurie de talents sur le poste.

Attention au télétravail excessif

Et pour les cadres qui veulent déménager en région et télétravailler ?

La frénésie des cadres souhaitant s’installer en province tout en continuant à travailler à Paris est désormais moins importante. Ils doivent comprendre que pour progresser, mieux vaut rester proche du siège. Trop de télétravail empêche d’être perçu, suivi et accompagné convenablement. Un rythme de 3 jours minimum sur site me paraît adapté.

Avez-vous une question fétiche aux candidats que vous ne posiez pas avant ?

S. P. :  « Vous insistez beaucoup sur l’importance du télétravail, mais comment allez-vous faire concrètement pour mieux connaitre vos collègues, vos collaborateurs ou même pour envisager une progression de carrière si tout se passe à distance ? ».

Les candidats plus attentifs à la charge de travail

Quelles questions posent les candidats et qu’ils ne posaient pas avant ?

S. P. :  avant de rejoindre une équipe, les candidats veulent s’assurer qu’il n’y aura pas de déséquilibre leur imposant une énorme surcharge de travail. Donc, ils nous interrogent d’emblée sur le nombre de personnes dans l’équipe, leur ancienneté, le turnover, leur mode de fonctionnement ensemble, la possibilité de recruter ou pas en cas de sous-staffing. S’agira-t-il de créations de postes ? En somme, ils sont partants pour assumer leur poste mais pas pour remplacer 3-4 personnes d’entrée de jeu.

Pour gagner plus, misez sur la formation

Quelle meilleure stratégie pour réussir un gap de salaire en 2023 ? Rester ? Partir ? Revenir ? Se former ?

S. P. :  On oublie souvent tout ce que les entreprises peuvent financer en termes de formation continue. Dans un monde où les statuts évoluent rapidement – par exemple un passage de CDI à indépendant – cela peut être intéressant de se former. Ce n’est pas du salaire, mais cela permettra peut-être un futur gap salarial.

Les jeunes candidats moins conscients des avantages des cabinets

Nouvelle époque, nouvelles attitudes de candidats… Qu’est-ce que ça change pour vos métiers d’intermédiaire du recrutement ?

S. P. :  Dans les cabinets de chasse de têtes, on accompagne les candidats dans les processus de recrutement mais aussi tout au long de leur carrière. Notamment, les profils à potentiel. On leur parle tous les 9 à 12 mois pour connaitre leurs évolutions, leurs attentes, pour évoquer le marché, les clients… Au fil des années, ce sont des personnes dont on devient très proches. Les plus jeunes candidats n’ont pas conscience de cela. Ils se comportent trop comme des consommateurs, et sont moins dans l’échange. C’est dommage pour leur carrière.

Peters Consultant en quelques chiffres  

  • 50 recrutements en 2022
  • 3 consultants en 2022
  • CA 2022 : 600 000 euros

Stefan Peters en interview TV à propos du "ghosting"

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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