Salaires : mais pourquoi donc 53% des cadres préfèrent les augmentations collectives aux individuelles ?

Sylvie Laidet-Ratier

SALAIRES – Un chiffre pour le moins curieux est passé inaperçu dans la dernière étude Apec. Alors que les entreprises ont pris le réflexe d’augmenter individuellement les cadres depuis quelques années, une majorité d’entre eux déclare préférer les augmentations collectives. Pourquoi cette préférence ? Pourquoi maintenant ? Avec leur pouvoir d’achat en baisse, ont-ils l’impression de se retrouver dans le même bateau que les autres salariés ? Seraient-ils déçus par les augmentations individuelles ? Ou seraient-ils moins individualistes qu’on ne le pense ? Nous avons demandé à quatre experts en rémunération des pistes d’explication. N'hésitez pas à réagir en commentaires et à compléter si vous souhaitez partager une piste qui ne figurerait pas dans l'article.

4 experts proposent leurs explications concernant le regain d'intérêt des cadres pour les augmentations collectives plutôt qu'individuelles.

Salaires : mais pourquoi donc 53% des cadres préfèrent les augmentations collectives aux individuelles ?
4 experts proposent leurs explications concernant le regain d'intérêt des cadres pour les augmentations collectives plutôt qu'individuelles.

Ils témoignent

  • Pierre Lamblin, directeur des données et des études de l’Apec
  • Marc Grosser, ancien DRH et expert Topics
  • Khalil Aït-Mouloud, directeur de l’activité enquêtes de rémunération au sein du cabinet WTW
  • Franck Chéron, associé conseil capital humain chez Deloitte.

91% des cadres reçoivent des augmentations individuelles

53% des cadres appellent à des augmentations majoritairement collectives, selon le dernier baromètre Apec. Par rapport à mars 2022, ils sont même 14% de plus à formuler cette demande. Seront-ils servis collectivement au moins autant que les autres catégories de salariés ?

Pas si sûr. L’Observatoire annuel de la performance sociale et des rémunérations LHH souligne que seuls 47% des cadres contre 71% des ouvriers, employeurs, techniciens et agents de maitrise, devraient profiter d’augmentations générales. Des augmentations de l’ordre de 2,11% (taux médian). En revanche, les augmentations individuelles (1,66%) concernent 91% des cadres. On le voit, les cadres et leurs employeurs ne sont pas du tout sur la même longueur d’ondes en matière de type d’augmentation.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce souhait formulé par les cadres de bénéficier de davantage d’augmentations collectives. Et d’abord bien sûr, le coût de la vie qui s’enflamme.

1-    Les augmentations individuelles ne compensent plus la perte de pouvoir d’achat

Pierre Lamblin

« Les deux tiers des cadres se déclarent inquiets par rapport à leur pouvoir d’achat. Dont 13% très inquiets », observe Pierre Lamblin, directeur des données et des études de l’Apec. Et il ne s’agit pas d’un ressenti mais de la réalité. « Quand ils font leurs courses, les cadres voient bien le résultat dans leur porte-monnaie. Et on est dans un tunnel dont ils ne perçoivent pas la fin. Les cadres savent même qu’avec la crise énergétique, le pire est sans doute devant nous », précise-t-il.

2-     Avec leur pouvoir d’achat en baisse, ils se voient dans le même bateau que les autres salariés

Marc Grosser

« Avec 1,5 à 2% d’inflation, socialement, ça passait de ne pas augmenter certains salariés. Ils ne perdaient pas trop de pouvoir d’achat. Désormais avec l’inflation galopante, c’est illusoire de penser que les augmentations individuelles pourraient compenser cette perte de pouvoir d’achat. Les cadres l’ont bien compris », analyse Marc Grosser, ancien DRH et expert Topics.

Ils ont besoin de doper leur pouvoir d’achat maintenant. Ils sont désormais davantage dans l’immédiateté que dans les promesses sur l’avenir. « Ces augmentations générales pourraient par exemple leur permettre de compenser sur le champ le coût de leurs déplacements », détaille Franck Chéron, associé conseil capital humain chez Deloitte.

3- Les augmentations individuelles jugées arbitraires

Khalil Aït-Mouloud
Contrairement aux augmentations générales, les individuelles ne sont pas perçues comme suffisamment équitables.
Khalil Aït-Mouloud, directeur de l’activité enquêtes de rémunération au sein du cabinet WTW

 « Depuis 2015, la tendance est à l’individualisation de la rémunération. Or, les messages des employeurs sur les critères d’octroi de ces augmentations individuelles ne sont pas clairs. Avec une enveloppe de 2% pour les augmentations individuelles, certains auront 1,5%, d’autres 4%, d’autres encore n’obtiendront rien. Les cadres ne savent pas quels leviers activer pour en bénéficier. Ils peuvent avoir l’impression qu’elles sont octroyées à la tête du client et de manière discrétionnaire », explique Khalil Aït-Mouloud, l’expert de WTW.

4- Les augmentations collectives plus sécurisantes

C’est un classique des changements de conjoncture. Quand tout va bien, les rémunérations individuelles arrangent les cadres. Mais quand tout va mal, il leur parait également normal de changer les règles en leur faveur.

« Ce type d’augmentation confère un sentiment de sécurité et d’équité aux salariés. Y compris aux cadres », insiste Khalil Aït-Mouloud, directeur de l’activité enquêtes de rémunération au sein du cabinet WTW. Ils sont en fait plus sûrs d’obtenir quelque chose. Et surtout une somme pérenne.

Franck Chéron
Les salariés, et même les cadres, se disent qu’il vaut mieux empocher une augmentation générale moins disante qu’une hypothétique augmentation individuelle. On retrouve notamment ce phénomène chez les commerciaux.
Franck Chéron, associé conseil capital humain chez Deloitte.

5- Des objectifs annuels plus difficiles à atteindre

Si on ajoute à cela les difficultés parfois accrues des cadres pour atteindre leurs objectifs annuels, on comprend mieux qu’une majorité de cadres plaident en faveur des augmentations collectives plutôt qu’individuelles.

6- Les cadres de premier niveau victimes d’un écrasement mécanique des salaires

On assiste à un écrasement des salaires entre les non-cadres et les cadres de premier niveau. Les premiers ont bénéficié du triple coup de pouce en faveur du smic en 2022 (+7,76% entre août 2021 et 2022) tandis que les seconds n’ont peut-être pas été augmentés depuis un ou deux ans. Au vu de l’inflation, en net-net, leur salaire a donc mécaniquement encore plus baissé que celui des non-cadres. Pour ces cadres de premier niveau, les augmentations générales sont de toute évidence, une demande pressante.

 

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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