Pourquoi 76 % des bilans de compétences se font en secret ?

Aurélie Tachot

ETUDE - En deux ans, le recours au bilan de compétences a plus que doublé. Une majorité de ceux qui y ont recours sont salariés et préfèrent le cacher à leur employeur. Par peur ? Par conviction ? Pour éviter d'être influencé par les attentes de leur employeur ? Yves Trocheris, co-fondateur de Même pas Cap, une plateforme de bilan de compétences, analyse ce phénomène à partir de leur récente étude.

Une récente étude sur les bilans de compétence passés via la plateforme Même pas Cap révèle que près de 8 bilans sur 10 se font sans le dire à l'employeur. Ce qui est légal mais pose question sur la relation à l'employeur.

Pourquoi 76 % des bilans de compétences se font en secret ?
Une récente étude sur les bilans de compétence passés via la plateforme Même pas Cap révèle que près de 8 bilans sur 10 se font sans le dire à l'employeur. Ce qui est légal mais pose question sur la relation à l'employeur.

Le bilan de compétences se démocratise

En deux ans, le recours au bilan de compétences a plus que doublé. Il faut dire qu’il a été boosté par le Compte personnel de formation (CPF), qui permet aux travailleurs du privé de le faire financer à 100 % passé trois à quatre ans d’expérience.

Le bilan de compétences a fait l’objet de 85 000 demandes de financement validées en 2021, contre 50 000 en 2020 et 33 000 en 2019.

Aujourd’hui, ce sont essentiellement des femmes (à 80 %) qui se lancent dans cette démarche, selon une enquête* menée en janvier et février 2023 auprès de 668 répondants ayant finalisé un bilan de compétences via la plateforme digitale Même pas Cap. Les bénéficiaires sont le plus souvent âgés entre 35 et 49 ans (52 %) et majoritairement en poste (83 %). Les cadres représentent, quant à eux, 31 % des demandes enregistrées par la start-up, qui s’adresse plutôt à une cible de jeunes actifs, du fait de son positionnement 100 % distanciel.

La quête de sens : principal déclencheur

La quête de sens est le premier facteur qui encourage les actifs à passer un bilan de compétences. Paradoxalement, même si elle a distingué les métiers « essentiels » des autres, la crise du Covid-19 n’a pas eu d’impact déclencheur pour 76 % des sondés, selon l’enquête. Plus inquiétant, la souffrance au travail arrive en seconde position des éléments déclencheurs, devant l’envie d’apprendre. Près de 60 % des sondés évoquent le burn-out, la lassitude et le harcèlement comme exemples de souffrance qui les ont conduits à sonder leurs aspirations. « De plus en plus de médecins généralistes nous envoient des clients. Le plus souvent, ce sont des personnes qui vivent des situations de management toxiques », constate Yves Trocheris, co-fondateur de Même pas Cap. Un bon réflexe, quoique tardif. 

Effectuer un bilan de compétences quand tout va bien évite justement d’entrer en état d’urgence. 

Rester discret par conviction

Si les salariés sont de plus en plus nombreux à recourir à un bilan de compétences, ils sont loin de le crier sur les toits. Selon l’enquête de Même pas Cap, 76 % des sondés n’ont pas parlé de leur démarche à leur employeur, par peur de leur réaction (30 %) ou par conviction que cela ne les regarde pas (60 %). 

« Si cette population préfère cacher son bilan de compétences, c’est essentiellement parce qu’elle ne veut pas réfléchir à sa suite de carrière uniquement dans le cadre de son entreprise. Elle préfère envisager toutes les options, y compris celle de quitter son employeur pour s’épanouir ailleurs.
Yves Trocheris

 Les actifs craignent également d’envoyer un signal négatif à leur N+1. « Ils ont peur d’être mis au placard ou de ne pas accéder aux mêmes promotions que leurs collègues de travail. Bref, d’être mal vus par leur hiérarchie... », illustre-t-il.

L’employeur est pourtant impacté !

Sans toujours générer des virages à 180°, les bilans de compétences aboutissent le plus souvent à des changements de métier (43 % des cas), de secteur (31 %) ou de statut (20 %). Les travailleurs sont 17,5 % à avoir évolué professionnellement à l’issue de cette étape, preuve que l’employeur, rarement averti, est pourtant directement impacté par cette démarche.

Les entreprises auraient tout à gagner à savoir que leurs salariés passent un bilan de compétences, ne serait-ce que pour les aiguiller sur un autre poste si ces derniers ne sont pas à leur place mais aussi pour prendre conscience du désintérêt de leurs salariés et accepter de les voir partir.
Yves Trocheris

En cela, l’entretien professionnel, qui a lieu tous les deux ans, est insuffisant. « Il ne permet pas aux employeursde s’intéresser aux projets de leurs salariés et de s’assurer qu’ils sont à la bonne place pour s’épanouir et performer ».

Une prise de risque pour l’entreprise

Si le sujet est tabou, c’est aussi parce que les bilans de compétences ne constituent pas (ou plus) un réflexe du côté des services RH et des managers. Et pour cause : lorsqu’un bilan de compétences est financé non pas par le CPF du salarié mais par l’employeur directement, le salarié n’a aucune obligation de partager les résultats de son bilan de compétences avec son manager ou les RH.

Les personnes chargées de les réaliser sont d’ailleurs soumises au secret professionnel. « C’est une contrainte légale forte pour les entreprises : c’est comme si elles réalisaient un chèque en blanc, sans savoir ce qu’elles peuvent retirer de cette démarche et en prenant le risque de voir leurs salariés poursuivre leur carrière chez leurs concurrents... », indique Yves Trocheris. En toute logique, les entreprises ne sont pas nombreuses à oser proposer cet exercice de prise de recul à leurs salariés.

* Étude déclarative en ligne du 19 janvier au 29 février 2023 sur une base de 3000 personnes ayant finalisé un bilan de compétences auprès de Même Pas Cap! 668 réponses analysées.

Aurélie Tachot
Aurélie Tachot

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.

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