Pourquoi lire “Dream Machine” de Laurent Daudet et Appupen

Julie Falcoz

LIVRE 2023 – L’intelligence artificielle fait peur et fascine en même temps. Est-elle une vraie menace ou au contraire une révolution à ne pas manquer ? Dans leur roman graphique captivant, Laurent Daudet et Appupen plongent leurs personnages dans un futur proche où l’IA est omnipotente. “Dream Machine” nous entraîne à réfléchir aux dangers potentiels de l’intelligence artificielle et surtout à se demander à qui elle va véritablement profiter.
Pourquoi lire “Dream Machine” de Laurent Daudet et Appupen

Le pitch

Le roman graphique raconte l’histoire d’Hugo, créateur de la start-up Klai, basée sur l’intelligence artificielle des “grands modèles de langage” au cœur de la révolution incarnée par ChatGPT et consorts. Alors qu’il s’apprête à signer un énorme contrat avec REAL.E, le géant du numérique (imaginaire), le héros se pose des questions sur les motivations de ce client qui pourrait changer sa vie. Il nous emmène – loin – dans ces questionnements et le fonctionnement de l’intelligence artificielle, aussi fascinante et effrayante soit-elle, source de chaos et d'indécentes concentrations de richesse.

Cette œuvre originale mêle les influences culturelles et scientifiques de ses deux auteurs : Laurent Daudet, professeur des universités, est un expert français en théorie de l’information et lui-même le cofondateur de la start-up LightOn (tout ce qu’il y a de plus réelle, elle) qui bosse sur ces “grands modèles de langage”. Appupen, est un dessinateur indien adepte du fantastique.

Le roman graphique est préfacé par Jul, un célèbre dessinateur de presse et auteur de BD (Silex and the City), qui compare l’intelligence artificielle à une nouvelle religion qui fascine et effraie à la fois, et qui pose des questions fondamentales sur notre avenir.

 

Dream machine de Laurent Daudet et Appupen, Flammarion, septembre 2023, 159 pages.

Peut-être que ce que vous êtes en train de lire est finalement issu de l’IA ?
Extrait de la préface signée Jul, dessinateur de presse et auteur de BD

Une initiation didactique au LLM

Ce roman graphique a l’avantage d’être didactique et d’expliquer – clairement – les enjeux de l’intelligence artificielle, ses limites et ses avantages. Par exemple, on découvre ce qu’est le LLM (Large Language Model), ces « grands modèles de langage » qui servent à la traduction : une IA à qui on fournit des textes à analyser, apprend à repérer les structures dans la langue concernée. La LLM “repère les motifs et la régularité dans la façon dont les mots s’enchaînent pour former un texte”.

C’est d’ailleurs l’IA qui s’explique elle-même : “On me donne une amorce : une phrase, un paragraphe… Et je calcule, pour chacun des mots du dictionnaire, la probabilité qu’il soit le premier mot après l’amorce. Je choisis l’un des mots les plus probables et je recommence, mot après mot”. Le système se base sur tout le contenu disponible sur Internet à savoir des milliards de pages, avec plusieurs milliards de paramètres. Par exemple, GPT-3 en compte 175 milliards.

 

La face cachée de l’intelligence artificielle

Pas de langue de bois pour l’auteur qui évoque d’emblée les limites socio-économiques de l’intelligence artificielle, notamment les suppressions d’emploi que cela pourrait générer. Des experts prévoient que près de 90% de la population pourrait être affectée et 50% de façon brutale, “et pas seulement pour les jobs en bas de l’échelle, pas seulement dans les pays du Sud” précise Hugo dans le roman. Est évoquée également la surexposition des travailleurs de la tech – appelés “les annotateurs”  – à des contenus toxiques pour justement entraîner les IA.

D’autant plus que les développements dans ce domaine coûtent cher. C’est pourquoi l’IA est plus le jouet de grandes entreprises aux budgets conséquents qu’un sujet de recherche sérieux destiné aux universités ou aux centres de recherche publics. Mathilde, l’un des personnages, déplore l’avancée très rapide des acteurs du privé et du manque de financement, entre autres, dans le public.

 

“L’intelligence artificielle reproduit, elle ne crée rien”

Quid de l’intervention de l’intelligence artificielle dans le monde de l’art et de la création ? Aujourd’hui, nous sommes encore capables de faire la différence entre une image prise par un photographe et une image générée par une intelligence artificielle. Mais dans quelques années ? “C’est en postant ton travail sur les réseaux sociaux que tu perces en tant qu’artiste. Autant d’images qui servent finalement à entraîner des IA!” Elle sait donc reproduire quand elle est suffisamment nourrie, ce que font des milliards d’êtres humains chaque jour sur internet et sur les réseaux sociaux.

 

Le pire de l’IA

Le jeu proposé par le géant REAL.E a été créé pour absorber le plus de données possible en les échangeant contre de l’immortalité dans le jeu. Au fur et à mesure que l’on joue, l’avatar ressemble de plus en plus au joueur et le pire c’est que l’IA continue à les animer quand le vrai être humain ne joue pas… Si cela paraît d’emblée malsain, ça l’est d’autant plus que derrière ce jeu se cache des outils pour contrôler des entités aussi grosses qu’un état par exemple.

 

Une IA éthique est possible

Tout au long des vignettes, les personnages mettent en perspective l’utilité de l’intelligence artificielle et son éthique. Et si elle servait à autre chose qu’à enrichir des multinationales ? Et si elle aidait à éradiquer la faim dans le monde ou diminuer les inégalités économiques ? Et si elle avait une utilité publique ? En tant que lecteur, on se met à croire que ce genre de monde-là est possible et ça fait du bien.

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Julie Falcoz

Journaliste depuis 13 ans, je suis spécialisée sur des thématiques liée à l'emploi : management, recherche d'emploi, enquête sur des secteurs économiques, emploi des cadres, test de métiers...

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