« Le management de la vertu » par Laure Bereni : une enquête sans concession sur le métier de "responsable de la diversité"

Gwenole Guiomard

LIVRE 2023 - A quoi sert un “responsable de la diversité” en entreprise ? Les entreprises en ont-elles un usage vertueux ? Pour répondre à ces questions, la chercheuse française Laure Bereni a enquêté pendant douze ans sur ce métier, entre New-York et Paris. Il en ressort un livre cinglant qui révèle toute l’ambiguïté de ce métier idéaliste (promouvoir l’égalité) mais détourné de son ambition. Entre les deux, Laure Bereni balance, tout comme ces interviewés. Un constat au vitriol mais un livre plein de tendresse pour des responsables diversité qui font ce qu’ils peuvent pour réconcilier l’inconciliable.

« Le management de la vertu. La diversité en entreprise à New York et à Paris » , Presses de Sciences po, 282 pages pour 25 euros

« Le management de la vertu » par Laure Bereni : une enquête sans concession sur le métier de "responsable de la diversité"
« Le management de la vertu. La diversité en entreprise à New York et à Paris » , Presses de Sciences po, 282 pages pour 25 euros

Le pitch 

« Le management de la vertu. La diversité en entreprise à New York et à Paris » est un ouvrage conçu pendant douze ans. Pendant les années 2010 et jusqu’en 2022, la docteure en sciences politiques, sociologue et directrice de recherche au CNRS Laure Bereni a enquêté sur la profession de responsable de la diversité de part et d’autre de l’Atlantique. Elle a interviewé une centaine de professionnels leur demandant ce qu’ils font toute la sainte journée. De ces questionnements est né un livre paru en mars 2023 aux Presses de Sciences po (282 pages, 25 euros) mêlant analyses de fond et verbatim très touchants de spécialistes (ou pas) de la diversité exerçant en entreprises privées. Certains (en France) sont arrivés un peu, par hasard. D’autres (aux Etats-Unis), issus des minorités visibles, incarnent ce combat. Tous éprouvent, à des degrés divers, des difficultés à concilier leur cause avec la nécessité à faire des profits.

L’ouvrage se propose de « révéler les contradictions et ambivalences de ce management de la vertu » tout en offrant un éclairage critique sur le fonctionnement d’autres vitrines vertueuses du capitalisme contemporain. Mais aussi de dégager proximité et différence entre les deux pays. 

La diversité, en fournissant une image positive et étincelante de l’organisation, permet alors de dissimuler les inégalités et donc de les reproduire.
Propos de la chercheuse britannique Sara Ahmed citée dans l’ouvrage de Laure Bereni

1/ La diversité sert à masquer plutôt que combattre la discrimination

Le but du « Management de la vertu » est ambitieux. Il s’agit, comme le précise l’auteure, de « proposer une lecture inédite du capitalisme contemporain et de ses nouveaux habits » via une analyse comparée des politiques de diversité dans les milieux d’affaires américains (New York) et français (Paris). La sociologue estime que ces politiques de diversité, de part et d’autre de l’Atlantique, ont pour mission de permettre « aux entreprises d’échapper à l’image d’entités purement économiques fermées sur elles-mêmes et imposer celle d’un monde des affaires soucieux du bien commun ». 

Laure Bereni met en avant l’idée que les services diversité et leurs politiques anti discrimination peuvent avoir comme objectif de masquer les discriminations plutôt que de les combattre. Elle tire à boulets rouges sur ces managers de la diversité qui, pour faire passer la pilule, promeuvent un lien, pas véritablement démontré, entre diversité et profit. C’est l’idée que des équipes mêlant genres et ethnies produisent mieux et plus. 

C’est aussi l’idée, promue du côté français de « déracialiser les politiques de la diversité en entreprise préférant l’égalité professionnelle, le handicap, les séniors ».

2/ La diversité instrumentalisée au service de la performance 

Le management de la vertu serait un levier comme un autre du développement de la performance. Les équipes plurielles en genre, en ethnie, en orientation sexuelle seraient plus performantes. Les politiques diversité ont été instrumentalisées pour attirer de nouveaux talents, conquérir de nouveaux marchés, favoriser l’engagement des salariés, stimuler leur créativité ou encore améliorer la réputation de l’entreprise.

Pourtant, l’auteure signale qu’il y a loin de la coupe aux lèvres avec des hiérarchies largement insensibles au vent de la diversité. Selon une étude du BCG citée par l’auteure, 11 % des cadres dirigeants des entreprises américaines du S&P 500 appartenaient à des minorités ethno-raciales alors qu’elles représentent plus de 40 % de la population des Etats-Unis. De même, un cinquième des postes de direction sont occupés par des femmes. Tandis qu’en France, selon Mozaïc RH, en 2022, 3,5 % des membres de comité exécutif du SBF 120 portaient un nom à consonance africaine, maghrébine ou asiatique…

3/ La diversité, un paravent juridique

Selon Laure Bereni, les entreprises utilisent le management de la diversité pour « amoindrir la portée du droit, protecteur et émancipateur des salariés ». Les programmes diversité sont utilisés comme preuve de la bonne foi des employeurs désireux de se délester de leur responsabilité juridique en cas de litige

Le « droit dans sa dimension répressive est alors tenu à distance des entreprises » comme toutes les règles exogènes venant contraindre et perturber la vie des affaires.  En France, ajoute Laure Bereni, à peine 10 % des managers de la diversité sont « racisées ». Leur « blanchité signale la place marginale de la question ethnoraciale dans les dispositifs diversité, l’affirmation d’une loyauté à un modèle national de non-racisme « aveugle » à la race et l’inscription de la diversité dans les préoccupations managériales de performance et de profit ». 

Bref, les managers de la diversité sont les « gardiens de l’image de leur entreprise, chargés de signaler sa vertu à différentes audiences », cingle l’auteure.

4/ L’impossibilité du capitalisme responsable

En fin de démonstration, Laure Bereni porte l’estocade. In fine, estime-t-elle, cette enquête entend montrer combien les politiques de la diversité sont en grande partie symboliques et sans effet sur les salariés. Ces managers de la diversité n’auraient « pas les armes pour s’attaquer aux discriminations et inégalités qui structurent les organisations ». 

Ce qui est bon pour les affaires, « c’est l’apparence de la diversité, plus que la diversité elle-même »
laure Bereni

D’où une véritable impossibilité de voir émerger un capitalisme responsable pas plus en matière de diversité qu’en matière de RSE par exemple.

Cet ouvrage a l’intérêt de plonger son lecteur au cœur du réacteur des entreprises. La lecture peut être irritante, désagréable, voire insupportable si l’on exerce une fonction dans la diversité… Mais les constats de l’auteur permettent d’ouvrir le débat et - il faut l’espérer - de réduire l’écart entre les intentions et les moyens.

Autres livres chroniqués sur Cadremploi

Tags : Livre
Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

Vous aimerez aussi :