Pourquoi un recruteur sur trois envisage de changer de métier

Gwenole Guiomard

RECRUTEMENT – Selon un récent sondage, les recruteurs en entreprise dépriment... Un tiers d’entre eux veulent carrément quitter le métier à cause des "difficultés" qu’ils rencontrent à l’exercer. Enfants gâtés ou vrai malaise dans la profession ? Qu’est-ce qui rend leur métier si pénible au point de vouloir le quitter ? Que préconisent-ils comme solutions ? Réaction d’experts sur cette menace de "grande démission" qui risquent d'avoir des conséquences inquiétantes sur les recrutements, donc le développement des entreprises.

Les recruteurs ont le blues. Un tiers d'entre eux cherche à quitter le métier, selon un récent sondage. Pour quelles raisons ? Y-a-t-il des solutions pour les en dissuader ?

Pourquoi un recruteur sur trois envisage de changer de métier
Les recruteurs ont le blues. Un tiers d'entre eux cherche à quitter le métier, selon un récent sondage. Pour quelles raisons ? Y-a-t-il des solutions pour les en dissuader ?

1 recruteur sur 3 n’aime plus son métier

Les statistiques qu’égrène l'étude* menée par menée par l’Ifop pour Page Group et Cleverconnect sur la profession de recruteurs en entreprise font froid dans le dos. Selon ses auteurs :

  • 38 % des recruteurs interrogés souhaitent changer d’entreprise dans les 12 prochains mois.
  • 32 % souhaitent carrément changer de métier (et ceux qui rencontrent le plus de difficultés montent à 68 %).
  • les recruteurs de moins de 35 ans sont les plus touchés par l’envie de fuir ce métier.

« Une vraie inquiétude sur l’avenir de la profession », peut-on lire dans le rapport.

Comment expliquer cela ?

 

La faute au marché de l'emploi

La faute au marché de l’emploi, estime d’abord les recruteurs désenchantés. Avec une prévision en hausse de 12% cette année, soit 3 millions de projets de recrutement envisagés en 2022 selon les derniers chiffres de Pôle emploi, 86% des recruteurs s’attendent à galérer.

De fait, les sondés citent 3 difficultés qui rendent leur métier complexe :

  • Le manque de candidats qualifiés (44%)
  • Les rémunérations peu attractives pour les canidats (40%)
  • Le décalage entre les attentes des managers et la réalité du marché (31%)

Face à eux, leurs boss ont bien conscience que le manque de candidats qualifiés rend le job des recruteurs complexe (à 65%) mais ils sont beaucoup moins nombreux (27%) à estimer que le problème vient des salaires trop bas.

La faute aux entreprises elles-mêmes

A ces difficultés externes, s’ajoutent les obstacles internes. A commencer par le manque de moyens. Les sondés citent 3 difficultés liés au sous-investissement :

  • La difficulté à bien évaluer les candidats faute d’outils adéquats et de temps (46%)
  • Le manque de moyens humains (27%)
  • Un processus de recrutement trop long ou trop complexe (27%)

Un métier sous-équipé

Fatine Dallet

Le quotidien du recruteur est dépeint par les sondés comme « compliqué, avec des phases chronophages lors des tris de candidatures, de la présélection des CV, la rédaction des annonces, commente Fatine Dallet, directrice exécutive de PageGroup qui cosigne l’étude. Ils estiment qu’ils ne font pas ce métier pour effectuer ces actions répétitives ».

Ce temps consacré à ces tâches jugées peu stratégiques manque ensuite pour les tâches où ils apporteraient leur valeur ajoutée : l’évaluation des candidats, la stratégie du recrutement, les projets transverses pour rendre l’entreprise plus attractive, améliorer les process de recrutement, former les managers qui recrutent, etc.

 

Un métier qui demande à se professionnaliser

Marion Cosar

« Les recruteurs se sentent dévalorisés, pas assez considérés, corrobore, pour sa part, Marion Cosar, 36 ans, directrice générale de L’école du recrutement. Cet établissement forme des responsables du recrutement en formation initiale ou continue mais aussi des managers opérationnels (500 formés par an). Souvent, ces professionnels apprennent le travail sur le tas. Il existe très peu de cursus dédié et un sentiment largement partagé que tout le monde peut faire ce job. Or, la fonction nécessite l’acquisition de techniques. Le recrutement est compliqué et nos élèves nous précisent qu’ils se retrouvent, en général, en situation ambivalente, entre une fonction, certes, stratégique mais peu dotée de moyen… Pour eux, c’est effectivement lassant ».

De fait, l’étude estime que seuls 5% des recruteurs utilisent des solutions pour améliorer leurs performances :

Un métier en manque de reconnaissance

Recruteurs et dirigeants divergent sur leur vision du métier. Si 98% des dirigeants estiment le rôle du recruteur stratégique dans l’entreprise, 38% des recruteurs considèrent que leur rôle nʼa pas beaucoup évolué et 20% quʼil a perdu en importance…

Ultime indice du déni des employeurs, l’étude signale que « 70 % des dirigeants sondés considèrent le risque de démission des recruteurs comme faible »… Alors qu’un sur trois a déjà envisagé de quitter son entreprise.

Quelles conséquences pour le business ?

 

 « Si les entreprises n’aident pas leurs recruteurs à faire face à ces difficultés et à réenchanter leur métier, elles risquent des départs et des difficultés pour attirer de nouveaux profils, dues à la forte pénurie sur ce métier », estime Fatine Dallet.

Et le cabinet de mettre en avant qu’il y avait 7 fois plus de postes de recruteurs publiés en Europe en juin 2021 qu’en juin 2020. Michael Page France, pour ne prendre que ses statistiques internes, estime que le volume d’offres dédié aux recruteurs en entreprise a augmenté d’un tiers entre juin 2021 et juin 2022. Avec, en parallèle, des candidats déclarant qu’ils ne veulent plus faire du recrutement mais cherchent à embrasser un métier plus généraliste. Résultat : il y a de plus en plus d’offres et de moins en moins de candidats.

 

Quelles solutions ?

 

Il faut convaincre les employeurs que le recrutement est désormais une fonction business et non une fonction support.
Marion Cosar

Pour les recruteurs en entreprise, ou ceux qui veulent le devenir, le salut résidera, alors, dans le bon choix de l’employeur. Celui qui considère le recrutement comme un élément stratégique de ses affaires. « Il faut viser des entreprises dont la direction du recrutement est rattachée à la direction générale, disposant de moyens et d’investissements pour développer la marque employeur et l’expérience du candidat, ajoute Marion Cosar, de L’école du recrutement. Quand on met de l’argent pour former et sensibiliser les collaborateurs aux recrutements, c’est bon signe. J’en vois de plus en plus. Cela bouge mais le chemin est encore long. Il faut convaincre les employeurs que le recrutement est désormais une fonction business et non une fonction support ».

Elise Moron : « Un recruteur formé a tout pour être heureux »

Elise Moron

Élise Moron est fondatrice de Wealo, un cabinet de chasse de têtes qui propose aussi des formations pour augmenter le potentiel des recruteurs via l’acquisition de compétences en vente, marketing, analyses des données massives…

« Le marché des candidats et des talents a changé. Ils sont désormais 100 % digitaux, très recherchés, passifs et volatiles. Il y a eu une inversion des pouvoirs entre recruteurs et candidats. Ces derniers ont le choix. Les recruteurs ne peuvent donc plus se contenter de se positionner comme de seuls évaluateurs. Ils se doivent maintenant de séduire. C’est compliqué pour des recruteurs à l’ancienne qui sont bousculés par ces nouveaux phénomènes. Mon but est donc de développer de nouvelles compétences à destination des départements recrutement. Je leur inculque du commercial pour qu’ils puissent expliquer aux candidats pourquoi intégrer leur société. Je leur dispense du marketing pour développer des sites carrière « sexy ». Ils doivent aussi automatiser les prises de contact. Si on ne fait pas tout cela, c’est évident qu’il y a de quoi être désenchanté… Par contre, un recruteur nouvelle norme a tout pour être heureux avec un marché en plein boom pour des profils qui passent d’exécutant à stratège. Toutes les entreprises ont besoin de recruter ce type d’excellents recruteurs. Ils sont très recherchés. Ils ont pour mission de cornaquer les managers pour recruter efficacement. Ils sont donc précieux et leurs salaires peuvent aujourd’hui atteindre les 80 000 euros brut par an ».

* Etude « Regards croisés dirigeants et recruteurs sur les évolutions du métier de recruteur » menée par l’Ifop pour Page Group et Cleverconnect,  auprès dʼun échantillon de 200 chefs dʼentreprises (entreprises des secteurs public et privé, de plus de 100 salariés) et de 200 recruteurs (recruteurs, responsables RH et DRH). Méthode des quota, du 2 au 15 mai 2022.

Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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