
- Le constat : les seniors écartés du marché du travail en France
- Le constat : les seniors largement discriminés dans l’accès à l’emploi en France
- Amélie Favre Guittet, fondatrice du cabinet Madircom : pour les quotas, pour un système de bonus, contre les pénalités
- Benoit Serre, vice-président délégué de l’ANDRH : pour les quotas, pour l’idée d’abonder le CPF des seniors et pour l’idée d’un CDD à terme échu
- Serge Guérin, sociologue spécialiste des enjeux du vieillissement, professeur à l’Inseec : contre les quotas, pour des objectifs d'emploi de séniors
- Pierre Guillet, président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens : contre les quotas, pour le travail à temps partagé, pour une baisse des charges
- Caroline Young, président d’Experconnect : contre les quotas, pour une campagne de sensibilisation, pour un name and shame sur la formation des seniors
- EN VIDEO Que valent les propositions du gouvernement en faveur de l'emploi des séniors ?
Ils témoignent
- Amélie Favre Guittet, consultante indépendante et multicasquette au sein de Talent Management Group qu’elle a co-créé, milite pour l'insertion professionnelle des 45 ans et plus
- Benoit Serre, vice-président délégué de l’ANDRH
- Pierre Guillet, président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens
- Serge Guérin, sociologue spécialiste des enjeux du vieillissement, professeur à l’Inseec
- Caroline Young, présidente d’Experconnect, une communauté d’experts retraités de l’industrie
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Le constat : les seniors écartés du marché du travail en France
Avec le projet de nouvelle réforme des retraites reculant l’âge légal de départ à 64 ou 65 ans, les seniors vont peut-être devoir travailler plus longtemps. Sauf que le taux d’emploi des séniors en France est mauvais :
- Pour les plus de 55 ans, il est à peine au-dessus de 50 % contre 74 % en Allemagne.
- Et pour les 55-64 ans, il plafonne à 56 % contre 62 % dans le reste de l’Europe.
Source : Eurostat, Labour Force Survey ; calculs Dares pour la France. Champ : Union européenne.
« Révoltant » selon le ministre de l’Économie. Alors le gouvernement lance régulièrement des ballons d’essai pour tester des solutions et enrayer cette spirale infernale : mise en place de quotas de seniors, d’un index seniors (comme il existe un index égalité professionnelle entre les femmes et les hommes), etc.
Le constat : les seniors largement discriminés dans l’accès à l’emploi en France
73% des candidats et 63% des recruteurs s’accordent pour dire qu’il existe des freins à sélectionner des seniors dans le cadre d’un processus de recrutement.
Dans une étude* publiée fin septembre par Ipsos pour l’association A Compétence Égale, on apprend que pour 63% des recruteurs, il existe des freins à la présentation ou à la sélection de candidats séniors aux décisionnaires du recrutement. Cela grimpe même à 80% quand ils exercent en cabinet. Et évidemment cette discrimination dans l’accès à l’emploi est largement partagée par les candidats. 85% des cadres se sentent concernés.
Regards croisés sur les freins au recrutements des séniors
Interrogés sur la nature perçue de ces freins, les séniors évoquent d’abord l’âge et les limites qu’il impose, tels que le temps restant avant la retraite ou une santé vue comme plus fragile, avant d’envisager des freins intrinsèquement liés à leurs compétences.
A l’inverse, les recruteurs pensent en premier lieu aux difficultés d’intégration au sein d’équipes plus jeunes et à la faible adaptation aux nouvelles technologies.
« Ces regards croisés soulignent un écart clair de représentation, entre d’un côté des candidats qui ne doutent pas de leurs compétences et de leurs capacités d’adaptation, de l’autre, des recruteurs qui entrevoient encore des freins concrets, liés aux idées reçues sur le fonctionnement du senior au sein de l’entreprise d’accueil », résument les auteurs de l’étude.
Un bilan chiffré s’impose :
- 62% des seniors présentés ont été vus en entretien ;
- 21% d’entre eux ont été recrutés ;
- 25% des seniors présentés ont été écartés en raison de leur âge, qu’ils aient été vus en entretien ou non.
76% des recruteurs (et même 80% des recruteurs en cabinet) pensent qu’un dispositif légal imposant l’embauche de seniors aurait un effet bénéfique sur le taux d’emploi de cette population.
Pour changer la donne, plus des trois quarts des professionnels du recrutement indiquent qu’un dispositif légal imposant aux entreprises de recruter des seniors permettrait d’augmenter leur taux d’emploi mais aussi qu’un dispositif favorisant l’emploi des séniors et des juniors permettrait également d’assurer la transmission des savoirs (88%).
« Ces résultats, en très nette augmentation depuis 4 ans (respectivement +24 et +15 points), soulignent en partie les difficultés auxquelles sont confrontés les recruteurs, qui trop souvent encore font face aux réticences des entreprises dans le cas du recrutement d’une personne sénior, et la nécessité de mettre en place des mesures spécifiques, plus incitatives », précise l’étude.
Le report de l’âge de départ à la retraite pourrait-il être salvateur pour l’emploi des seniors. Pas si sûr. Seuls 18% des candidats et 41% des recruteurs pensent que cela aura un impact positif sur l’employabilité des seniors. Pessimisme ou lucidité ?
Amélie Favre Guittet, fondatrice du cabinet Madircom : pour les quotas, pour un système de bonus, contre les pénalités

« Si cela peut faire progresser le taux d’emploi des séniors, je suis favorable à une politique de quotas sur le sujet. Même si ce serait dommage d’en arriver là. Actuellement, les seniors sont soit mis au placard, soit tout simplement virés. La définition de l’âge d’un senior va faire à mon sens grand débat. Actuellement, quand sur un poste, un senior est en short list, les employeurs trouvent toujours une excuse bidon pour ne pas les sélectionner : problème d’intégration, question de feeling… Et ce, dans les grands groupes ou encore dans les start up. J’entends "ils n’ont pas le mindset d’une start up". C’est moins vrai dans les PME et ETI.
En plus des quotas, pourquoi ne pas réfléchir à un système de bonus (réduction de charges par exemple) pour les entreprises qui conservent et recrutent des seniors ? Ce serait toujours plus pertinent que des pénalités qui ne seraient pas dissuasives. Car si les DAF calculent que le maintien en poste ou le recrutement d’un sénior coûte plus cher que l’embauche de deux juniors et le paiement des pénalités, leur arbitrage sera rapide ».
Benoit Serre, vice-président délégué de l’ANDRH : pour les quotas, pour l’idée d’abonder le CPF des seniors et pour l’idée d’un CDD à terme échu

« Tout d’abord, on ne peut que se réjouir qu’il se passe enfin quelque chose autour de l’emploi des seniors. Depuis 2018, à l’ANDRH nous disons que l’on ne peut pas faire une réforme des retraites sans se préoccuper de l’emploi des seniors. Sur les quotas de seniors, je dis pourquoi pas si cela vient servir un objectif plus large, à savoir l’employabilité des seniors.
Par exemple, pour s’assurer que les seniors bénéficient réellement de formations continues, pourquoi ne pas doubler ou tripler le crédit annuel de leur compte personnel de formation. En cas de nécessité, les seniors seraient mieux formés et donc plus armés pour postuler et être recrutés dans une autre entreprise.
Et puis, pourquoi ne pas réfléchir à un CDD particulier qui prendrait fin le jour où le senior pourrait obtenir sa retraite à taux plein. Outre les freins culturels (un senior serait moins malléable, plus difficile à manager…), les entreprises ne veulent pas embaucher de seniors de 58 ans car elles craignent de l’avoir sur les bras jusqu’à 65 ans. Là, la date de départ serait connue.
En tout cas, je crois que repousser l’âge de départ en retraite impacte mécaniquement le taux d’emploi des seniors. Ma crainte est au contraire qu’ils soient précarisés plus longtemps ».
Serge Guérin, sociologue spécialiste des enjeux du vieillissement, professeur à l’Inseec : contre les quotas, pour des objectifs d'emploi de séniors

« Ce serait bien triste d’en arriver là. Je ne suis pas pro-quota mais si on devait en arriver là, les quotas de seniors ne pourraient pas être identiques partout. Il faudrait tenir compte de la pénibilité physique, psychique et mentale des métiers, de la taille des entreprises, des secteurs d’activité… Au risque que cela devienne une usine à gaz. En revanche, il me paraitrait plus judicieux de donner 6 à 12 mois aux partenaires sociaux, par branche professionnelle par exemple, pour se mettre d’accord sur des objectifs d’emploi seniors. S’ils ne trouvaient pas d’accord, un système de quotas s’imposerait ».
Pierre Guillet, président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens : contre les quotas, pour le travail à temps partagé, pour une baisse des charges

« En imposant des quotas de seniors aux entreprises, on prendrait le problème à l’envers. On mettrait en place des contraintes aux employeurs qui veulent recruter mais sans discriminer. Plutôt que des quotas de seniors, pourquoi ne pas aménager des contrats et des formules de travail pour les seniors. Par exemple, leur faciliter le travail à temps partagé. Un senior peut apporter sa forte expertise dans une entreprise mais pas nécessairement à temps plein. Et le reste du temps, réaliser un enseignement technique et professionnel de son expertise. Le coût des charges salariales est un vrai frein à l’embauche ? Peut-être qu’à partir d’un certain âge, devrait-on baisser les charges sur les contrats des plus de 50 ans. Ça, ce serait un vrai booster ».
Caroline Young, président d’Experconnect : contre les quotas, pour une campagne de sensibilisation, pour un name and shame sur la formation des seniors

« Philosophiquement je suis contre tout système de quotas. Je préférerais que l’on s’inspire du plan d’action seniors mis en place sous Sarkozy pour faire évoluer les mentalités sur le sujet de l’emploi des seniors. Il faudrait relancer une vaste campagne nationale de communication autour de cette thématique. Mais aussi demander aux entreprises de démontrer, chiffres à l’appui, ce qu’elles mettent concrètement en place en faveur de l’emploi des seniors. On sait que cette population profite moins des dispositifs de formation continue. Les employeurs devraient ainsi détailler comment ils forment leurs seniors, à quel rythme ? C’est à mon sens plus vertueux et moins contraignant qu’une politique de quota ».
EN VIDEO Que valent les propositions du gouvernement en faveur de l'emploi des séniors ?
Les invités de l'émission Sens public du 12/10/2022 diffusée sur Public Sénat débattaient de cette question autour de Thomas Hugues :
- Anne-Marie Guillemard, membre qualifiée du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l'âge, co-auteure avec Elena Mascova de L'allongement de la vie, quels défis, quelles politiques (Edition La Découverte)
- Annie Jolivet, économiste-chercheuse au Centre d’études de l’emploi et du travail au CNAM
- Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines)
- Stéphanie Lecerf, présidente de l'association A Compétence égale
- Matthieu Croissandeau, journaliste
Les questions abordées :
- A quel âge est-on sénior ?
- Comparaison des taux d'emploi des seniors en Europe : la France, mauvaise élève
- Les solutions pour garder les séniors et les embaucher
* Cette étude conduite par IPSOS pour A compétence égale a été menée en ligne les 13 et 14 juillet 2022 auprès de 500 candidats (actif.ve.s, salarié.e.s, à leur compte ou en recherche d’emploi) âgé.e.s de 40 ans et plus et 500 personnes en charge du recrutement (en cabinet de recrutement ou entreprise - Dirigeants, DRH, RRH, managers opérationnels, …). Populations représentatives issues d’un échantillon national et structurées sur des quotas de sexe et d'âge.
Première publication : 11/10/2022. Mise à jour 21/10/2022
Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.