Les recruteurs préfèrent-ils toujours les candidats en poste ?

Aurélie Tachot

TENDANCE – Ce n’est un secret pour personne : les recruteurs ont toujours préféré les candidats déjà en poste plutôt que ceux libres de tout engagement. Alors que le marché de l’emploi se tend et que les entreprises rencontrent des difficultés persistantes pour recruter, les professionnels RH peuvent-ils encore se payer ce luxe ? Rien n’est moins sûr. Quatre ans après notre première enquête*, nous avons à nouveau interrogés cinq recruteurs ayant fait le choix – ou pas – de lâcher du lest sur ce critère.

La crise sanitaire puis la pénurie de candidats sur le marché de l'emploi des cadres ont bousculé les critères de sélection des recruteurs. Un candidat au chômage ou en transition au moment de sa recherche d'emploi a davantage de chance d'être appelé. Témoignages de recruteurs.

Les recruteurs préfèrent-ils toujours les candidats en poste ?
La crise sanitaire puis la pénurie de candidats sur le marché de l'emploi des cadres ont bousculé les critères de sélection des recruteurs. Un candidat au chômage ou en transition au moment de sa recherche d'emploi a davantage de chance d'être appelé. Témoignages de recruteurs.

Ils témoignent :

  • Patrick Favre, directeur exécutif du cabinet de recrutement Michael Page
  • Élise Moron, formatrice de recruteurs et fondatrice de Wealo
  • Marion Picart, responsable du recrutement de PeopleSpheres
  • Aurélie Tsin, chargée RH au sein de la PME Eurécia
  • Limvirak Chea, CEO de la start-up Fixter

* Précédente enquête de 2018 : Pourquoi les recruteurs préfèrent les candidats en poste ?

Un candidat en poste, ça rassure !

Aurélie Tsin

Depuis plusieurs années, les candidats en poste sont source de convoitises. « Lorsque je recrute un cadre, je porte de l’attention à ce critère de sélection. Il me renvoie l’idée que le candidat est opérationnel et qu’il est déjà inscrit dans un rythme de travail », raconte Aurélie Tsin, chargée RH au sein de la PME Eurécia.

On l’aura compris : le candidat en poste rassure. Et c’est bien là toute sa force. Pour Élise Moron, qui propose des workshops à destination des recruteurs via sa société Wealo, les recruteurs qui s’orientent – consciemment ou non – vers des candidats déjà courtisés sont majoritairement victimes du biais de rareté. « Selon eux, ce qui est rare est cher », explique-t-elle. Ça pourrait s’arrêter là. Sauf que le biais de confirmation prend ensuite le relai. « Notre cerveau cherche en permanence à se rassurer. Les recruteurs cherchent donc à répéter ce qui a fonctionné auparavant : en l’occurrence embaucher un candidat déjà en poste. C’est d’autant plus vrai s’il est déjà sorti des sentiers battus et que ça s’est mal terminé », indique la formatrice de recruteurs.

 

Depuis le Covid, être « disponible » est moins stigmatisant

Maintenant que le marché de l’emploi est davantage en faveur des candidats, les recruteurs pourront-ils continuer de faire les difficiles ? « C’est un luxe qu’ils peuvent de moins en moins se payer, en grande partie à cause de l’extrême tension sur le marché des cadres. Ne recruter que des candidats en poste reviendrait à se passer d’une frange importante de candidats », estime Patrick Favre, directeur exécutif du cabinet de recrutement Michael Page. Et pour cause : depuis la crise du Covid-19, qui a questionné la « valeur travail », de nombreux cadres ont connu des déboires professionnels.

Patrick Favre
Il s’est passé beaucoup de choses en deux ans, qui peuvent expliquer la disponibilité immédiate des cadres : une baisse d’activité de leur précédent employeur, l’arrêt brutal d’une période d’essai, une mobilité géographique, un rapprochement de conjoint... Les parcours professionnels des cadres ont été fortement impactés par le Covid-19.
Patrick Favre, directeur exécutif du cabinet de recrutement Michael Page

Résultat : ils sont de plus en plus nombreux à être en transition ou à avoir « des trous » dans leur CV. Et fort heureusement, « les recruteurs le comprennent mieux qu’auparavant », indique-t-il.

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Dans l’IT, être disponible reste suspect 

Malgré tout, il subsiste des métiers où la disponibilité immédiate des candidats jette le doute. génère des émotions parfois contradictoires ! C’est le cas dans les métiers en tension, à commencer par l’informatique et le digital. Il faut dire qu’un candidat qui n’est pas en poste met la puce à l’oreille car le chômage relève de la science-fiction dans l’IT.

Limvirak Chea, CEO de Fixter
Un développeur disponible, c’est louche !
Limvirak Chea, CEO de Fixter

Néanmoins, les profils sont tellement pénuriques dans le secteur de l’IT que les recruteurs ne peuvent pas se permettre de les contourner sous prétexte qu’ils sont disponibles. « Les candidatures de la part des développeurs sont tellement rares que lorsque j’en reçois une, j’appelle le candidat et je cherche à savoir pourquoi il n’est pas en activité », illustre Aurélie Tsin. 

En toute logique, plus ce candidat est disponible depuis longtemps, plus les doutes s’installent chez les recruteurs. « Lorsqu’ils sont face à des développeurs qui se sont arrêtés pendant une longue période, les recruteurs craignent que leurs compétences dures, notamment l’apprentissage des nouveaux langages de programmation, ne soient plus à jour », explique Patrick Favre.

La disponibilité est un atout pour les employeurs pressés

Marion Picart

Fort heureusement, certains recruteurs ne font pas de la disponibilité un critère de compétence. « Chez nous, c’est l’expertise métier qui prime ! Nous ne nous arrêtons pas à ce critère de disponibilité, ni-même à un trou dans un CV qui est, dans 99 % des cas, bien expliqué », rassure Marion Picart, responsable du recrutement de PeopleSpheres. Même son de cloche chez Fixter. « Nous recrutons avant tout des profils qui sont bons, peu importe qu'ils soient en poste ou pas », précise Limvirak Chea.

Dans certains cas, cette disponibilité est même un plus.

Pour nos clients qui ont besoin de ressources rapidement, c’est devenu une bonne nouvelle. Parfois même, la disponibilité immédiate fait pencher la balance.
Patrick Favre, directeur exécutif du cabinet de recrutement Michael Page

De facto, plusieurs profils jusqu’ici boudés par les recruteurs ont aujourd’hui une carte à jouer. C’est notamment le cas des cadres reconvertis. « Il y a également une meilleure considération qu’avant des profils seniors », illustre-t-il.

Quoiqu’il en soit, en cette période post-Covid, il faut garder en tête que « les recruteurs sont pressurisés et cherchent à assurer leurs arrières », remarque Élise Moron. Nul doute que les candidats qui ne sont pas en poste devront continuer de redoubler d’efforts par rapport à leurs congénères, dans l’objectif de convaincre le plus grand nombre de recruteurs.

Faut-il afficher le badge « Open to hire » sur les réseaux sociaux professionnels ?

Elise Moron

Mentionné sur les profils sociaux des candidats qui sont disponibles, le badge « Open to Hire » peut s’avérer contre-productif, estime Élise Moron. « Dans la majorité des cas, cette mention va renvoyer un message négatif aux recruteurs. Et si jamais ils osent contacter le candidat – par exemple parce qu’ils évoluent dans un secteur tendu – l’entretien se déroulera via le prisme de ce qui cloche », prévient-elle. Dans le doute, mieux vaut s’abstenir pour rester attractif aux yeux des entreprises, le recrutement étant avant tout un jeu de séduction.

Aurélie Tachot
Aurélie Tachot

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.

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