Ils témoignent
- Mikael Paraud, directeur adjoint en charge des pôles BTP et immobilier pour Hays France
- Dorian Roucher, sous-directeur Emploi et marché du travail à la Dares
- Romain Riou, manager exécutif Senior pour Page Personnel
- Maxime Gourlet, DRH d'Acorus, entreprise spécialisée dans l'écorénovation
- Jérémy Randoing, responsable du pôle construction pour le cabinet de recrutement Fed Construction à Lyon
- Pierre Lamblin, directeur des études de l’Apec
NB : nos demandes d'interviews étaient non genrées. Seuls des hommes y ont répondu.
Des recrutements soutenus dans la rénovation énergétique des bâtiments
Dans un secteur du bâtiment en crise, le village de la rénovation énergétique des bâtiments fait plus que résister. Ainsi, selon une étude de la Dares*, cette sous-partie du BTP devrait embaucher, en respectant la stratégie bas carbone souhaitée par les pouvoirs publics, entre 170 000 et 250 000 salariés d’ici à 2030. Un tiers d’entre eux occuperont des missions de cadres et techniciens. Le secteur embauchera donc quelque 14 000 à 21 000 Bac +3-5 chaque année d’ici 2030.
Et c’est déjà commencé depuis la fin de la crise sanitaire. Parmi d’autres, le cabinet de recrutement Hays a enregistré une hausse de ses missions dans le secteur de quelque 25 % entre janvier 2022 et octobre 2023.
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Pourquoi un tel volume de recrutements ?
« Cela s’explique par le développement de départements “rénovations” par deux des plus gros promoteurs français que sont Nexity ou Altarea, commente Mikael Paraud, directeur adjoint en charge des pôles BTP et immobilier pour Hays France. Mais aussi par les bailleurs sociaux qui développent des plans de rénovation énergétiques de leurs bâtiments. Et par les leaders du BTP qui travaillent, de plus en plus, sur l’isolation thermique externe des bâtiments. Cela explique pourquoi les métiers de conducteurs de travaux – qui représentent environ 50 % de nos missions actuellement – sont aussi recherchés. Tout comme les chargés d’affaire en génie climatique, les thermiciens et les chargées d’opération-réhabilitation ».
« Ces embauches s’expliquent aussi par la volonté du gouvernement de remplacer les logements énergivores et/ou les chaudières à fioul ou à gaz », ajoute Dorian Roucher, sous-directeur Emploi et marché du travail à la Dares en charge de l’étude.
L’Apec, qui vient aussi de publier une étude sur la dynamique de verdissement des métiers cadres en faveur de la transition énergétique, en arrive à la même conclusion : « la dynamique est engagée. Si ces métiers à finalité environnementale représentent moins de 1 % de l’emploi cadre (soit près de 25 500 cadres du secteur privé), les offres d’emploi cadre augmentent fortement pour ces profils : + 48 % entre 2019 et 2022 (contre + 19 % pour l’ensemble des offres), les métiers de l’énergie étant les plus concernés ».
« Le nombre de nos missions concernant la rénovation des bâtiments est aussi en plein développement, confirme Romain Riou, manager exécutif Senior pour Page Personnel spécialisé en métiers de la construction et de l’immobilier. Cela représente aujourd’hui 50 % de nos recrutements contre 30 % en 2017. Pour trouver un conducteur de travaux, la mission me prend aujourd’hui de 3 à 5 mois. Il m’en fallait 1,5 en 2017… Il y a aujourd’hui pénurie de candidats et les lois imposant de rénover énergétiquement les bâtiments, d’interdire l’artificialisation des sols ne font que développer la rénovation énergétique de l’existant ».
En vidéo, table ronde sur les enjeux emplois de la transition écologique
Rénovation énergétique des bâtiments : analyse prospective des besoins en emplois et compétences, défis à relever. Avec Hélène Garner, directrice du département Travail, Emploi, Compétences - France Stratégie ; Dorian Roucher, sous-directeur Emploi et Marché du travail – Dares ; Gilles Aymoz, directeur adjoint à la direction Villes et territoires durables - Ademe.
Les fonctions qui recrutent le plus
Les cadres les plus recherchés dans ce secteur sont les conducteurs de travaux en rénovation ou en génie climatique. Ils peuvent aussi s’appeler chef de projet ou chargé d’affaire. Leurs missions consistent à coordonner un chantier, suivre le budget, les délais, gérer les relations avec les clients. Un diplôme de niveau Bac +2 à Bac +5 est exigé.
Le deuxième métier particulièrement recherché est celui d’ingénieur thermique. Ces spécialistes travaillent dans des bureaux d’études pour mesurer les déperditions thermiques et proposer des solutions pour isoler au mieux les bâtiments.
« Nous recrutons 1000 salariés par an dont environ 10 % sont cadres, précise Maxime Gourlet, le DRH d'Acorus ( 1600 collaborateurs), une société spécialisée dans l’écorénovation. Dans cette catégorie des cadres, nous recherchons avant tout des ingénieurs d’études, des ingénieurs études de prix, des ingénieurs travaux et des spécialistes des fonctions support comme des contrôleurs de gestion, responsables comptable, spécialistes RH. Mais les ingénieurs travaux représentent 50 à 60 % de nos recrutements de cadres. C’est cependant compliqué. Le marché est tendu. Un recrutement peut prendre plus d’un trimestre. Conséquence : nous n’arrêtons jamais de chercher des candidats, en témoignent les offres d'emploi que nous diffusons en ce moment ».
Des rémunérations moyennes mais des efforts sur les conditions de travail
Les salaires des spécialistes de la rénovation énergétique des bâtiments sont de bons niveaux mais ils ne font pas partie des branches économiques qui payent le mieux.
Ainsi, un jeune Bac +5 débutant comme chef de chantier en région percevra, en octobre 2023, entre 30 000 et 34 000 euros brut par an en région et de 32 à 38 000 euros en Ile-de-France.
C’est le cas de ce conducteur de travaux, 28 ans, 3 ans d’expérience, un diplôme Bac +5 en poche. Il vient de se faire embaucher par une PME (50 salariés) du Sud de la France pour 38 000 euros brut par an en fixe. S’ajoutent à cela une voiture de fonction, un intéressement, des tickets restaurant, un statut cadre et une prime discrétionnaire d’un à 2 mois de salaire en fonction de la bonne avancée des chantiers.
Un ingénieur thermicien peut, lui, espérer un peu plus. Ainsi, un de ses spécialistes, 30 ans, 4 ans d’expérience, vient d’être recruté pour 40 000 euros brut par an à Marseille pour un bureau d’études de 13 salariés. Il touche aussi des tickets restaurant, une mutuelle et une prime discrétionnaire de 1 à 2 mois de salaire.
En fin de carrière, un directeur de travaux pourra espérer quelque 60 000 euros brut par an.
« Pour attirer, nous mettons en avant le sens au travail et l’équilibre de vie, commente Maxime Gourlet, le DRH d'Acorus.. A ce titre, nous développons les avantages extra-financiers comme la semaine de 4 jours payée 5 pour 35 h de travail hebdomadaire que nous avons expérimentée à Nantes et que nous allons proposer à l’ensemble des salariés à partir de janvier 2024. Les candidats sont par ailleurs sensibles à notre structure hiérarchique plate et notre politique de formation permettant aux salariés d’être promu en interne ».
>> Pour en savoir plus sur Acorus, écoutez ce podcast (interview du fondateur Philippe Benquet) :
« La demande est stable et forte depuis 2020, ponctue Jérémy Randoing, responsable du pôle construction pour le cabinet de recrutement Fed Construction à Lyon. Je viens de boucler une mission de chef de projet énergétique pour un bureau d’étude en région. Le candidat retenu percevra 46 000 euros brut par an avec un master 2 de l’université et une prime annuelle de 2000 euros en plus. Mais un petit bureau ne pourra pas proposer plus de 40 000 euros brut par an pour ce type de poste… ».
La tension sur ce marché du travail a eu cependant des incidences sur les salaires. Selon le baromètre des rémunérations de Hays à paraitre en janvier 2024, les salaires du secteur ont bondi de 10 % entre le 1er semestre 2022 et le second semestre 2013.
« Et l’employeur qui ne s’aligne pas aura du mal à embaucher, poursuit Mikael Paraud, de Hays France. Des spécialistes comme les conducteurs de travaux, diplômés d’un Bac +3 en général (il n’y a quasiment pas d’ingénieurs dans ces fonctions), sont payés de l’ordre de 36 à 39 000 euros brut par an en début de carrière ».
Les promotions sont rapides. C’est par exemple le cas de ce conducteur de travaux, 4 ans d’expérience, qui vient d’obtenir un poste de chargé d’opération-réhabilitation pour une entreprise sociale pour l’habitat. Il percevait alors 46 000 euros brut par an. Il touche désormais 48 000 euros brut par an pour un poste lui permettant d’acquérir de nouvelles compétences et des promesses de hausse de salaire.
Des reconversions possibles mais complexes
Pour les reconversions, la tâche peut s’avérer ardue. Comme dans d’autres secteurs, la France a cette particularité de ne pas rendre impossible le passage d’un secteur à l’autre ou d’un métier à l’autre, mais de ne pas les faciliter non plus !
« Dans la rénovation énergétique, il faut quasi obligatoirement passer par la case formation pour muscler ses compétences techniques en rénovation », précise Romain Riou, de Page Personnel. Pour se mettre au niveau des exigences des recruteurs, il faudra donc suivre une licence au Cnam ou dans un Cesi. Les employeurs veulent embaucher des clones disposant des mêmes diplômes que le salarié précédant… Et ce type de reconversion est difficile.
« Un tiers des cadres veulent se reconvertir, comptabilise Pierre Lamblin, de l’Apec. Mais seulement 8 % y arrivent. Il faut suivre des formations, s’auto-former avec des passerelles qui n’ont rien d’automatique ».
Il faudra aussi financer son cursus.
- Le premier levier à utiliser pour un salarié, c’est le CPF (Compte personnel de formation) avec passage obligé devant le conseiller en évolution professionnelle (CEP).
- Ensuite, pour des reconversions plus lourdes, il est possible de mobiliser un autre dispositif appelé « transition pro », ex Fongecif.
- Il est aussi conseillé de négocier avec son employeur pour entamer sa reconversion vers la rénovation énergétique au sein de son entreprise. Les Opco (opérateurs de compétences) sont alors mobilisables par la DRH pour financer des cursus en rénovation énergétique des bâtiments via, par exemple, le plan de développement des compétences de l’entreprise.
- Enfin, pour les demandeurs d’emploi, des dispositifs financés par Pôle emploi leur sont accessibles.
* Etude Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) x France stratégie : « Rénovation énergétique des bâtiments : quels besoins de main d’œuvre en 2030 ? »
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Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.