
Ils témoignent
- Raoul Dehé, propriétaire de deux restaurants en Ile-de-France
- Vanessa Loudac, responsable RH du groupe Butard, traiteur et organisateur de réception (Pavillon d’Armenonville, restauration traditionnelle et restauration grand public)
- Florent Malbranche, CEO et cofondateur de Brigad
- Frédéric Oble, directeur académique de la chaire Food Business Challenges de l’Essec
- Marine Moullé-Berteaux, consultante en recrutement spécialisée restauration chez Michael Page
Hausse de salaire, repos supplémentaire, suppression de la coupure
“Ça va un tout petit peu mieux”, assure Thierry Marx, chef étoilé et président du syndicat patronal du secteur hôtel/restaurant (Umih) dans une récente interview, même s’il précise qu’il reste 200 000 postes à pourvoir pour la saison à venir.
Il faut dire que la crise sanitaire - qui avait mis le secteur à l’arrêt durant de longs mois - a eu des conséquences drastiques sur les effectifs, avec une perte de 237 000 employés en un an, dans un secteur habitué à en gagner 50 000 par an avant le Covid.
Les professionnels ont dû mettre les bouchées doubles pour combler le manque de personnel dès les réouvertures. Et se sont retrouvés confrontés à une pénurie historique de candidats, du fait que nombre de personnes qualifiées ont quitté le secteur

C’est le cas de Raoul Dehé, propriétaire de deux restaurants en Ile-de-France. Il a changé sa manière de travailler pour garder ses effectifs : augmenter les salaires entre 10 et 15 %, rajouter une journée de repos hebdomadaire et supprimer la coupure pour la cuisine (sauf quand un collaborateur est en vacances). “Avant, personne ne respectait les 39 heures, explique-t-il. Aujourd’hui, cela se traduit par davantage d’embauches, donc une masse salariale qui augmente et et surtout, nous devons être assez souple.”
Pour l’un de ses restaurants parisien, le Réminet, il a cherché un chef de cuisine pendant 6 mois avant de finalement réorganiser le staff sans ce poste. “Nous faisons face à une déperdition du savoir-faire du métier. Ce n’est plus si simple de trouver des gens compétents, qui ont envie de faire ce métier, constate-t-il. Surtout, cela demande des efforts supplémentaires aux restaurateurs”.
Davantage de jeunes en alternance

De son côté, le groupe Butard a choisi d’investir sur l’alternance pour former des jeunes et les embaucher : “Nous rencontrons des difficultés à recruter, aussi bien des commerciaux que des chefs de partie ou des commis, atteste Vanessa Loudac, responsable RH du groupe Butard. Par exemple, un chef de partie en pâtisserie est un poste très sollicité sur le marché. Aujourd’hui, il y a plus d’offres que de candidats donc ces derniers vont au plus offrant et au plus proche de chez eux.”
Surtout, ces postes vacants ont des conséquences sur l’organisation et le management : " Ce sont les autres salariés, et parmi eux les managers, qui absorbe les heures supplémentaires nécessaires et la fatigue qui en résulte. ”
Des “extras” en freelance
Le groupe Butard, qui réunit plusieurs activités (traiteur et organisateur de réception avec le site du Pavillon d’Armenonville, restauration traditionnelle et restauration grand public), compte 130 salariés fixes. Les effectifs doublent entre avril et octobre et peuvent tripler au mois de juin, la très haute saison. “Sur les grosses périodes, les extras nous sauvent la vie, confirme Vanessa Loudac. On a besoin de cette population”.
En créant Brigad, Florent Malbranche, CEO et cofondateur, a facilité le processus d’uberisation en cours dans de nombreux secteurs et auquelle la restauration n’échappe pas : permettre à des salariés de quitter le salariat afin de se mettre à leur compte et de devenir “extra”. La nouveauté, c’est qu’ils ne sont pas en CDD (donc payés en salaire) mais auto-entrepreneur (donc payés sur facture).
Comme l’autre plateforme Extracadabra, Brigad facilite la mise en contact entre restaurateurs et “extras” en frrelance pour des besoins ponctuels. Ce sont ces derniers qui fixent eux-mêmes leur rémunération (en moyenne 25 euros HT de l’heure).
“Les patrons de restaurant peuvent ainsi attirer de meilleurs collaborateurs, plus engagés parce qu’ils sont à leur compte et sont leur propre représentant”, estime Florent Malbranche. 30 000 personnes y sont inscrites, la moitié faisant au moins une mission par mois.

““Les patrons de restaurant peuvent ainsi attirer de meilleurs collaborateurs, plus engagés parce qu’ils sont à leur compte et sont leur propre représentant”, estime Florent Malbranche. 30 000 personnes y sont inscrites, la moitié faisant au moins une mission par mois.
Néanmoins Brigad reste une solution de dépannage : “100% de travailleurs indépendants dans un resto ne serait pas viable, il faut à minima 80 à 90 % d’emplois stables”, estime-t-il. Il faut tout de même compter des frais de service de 20% HT sur les prestations.
Un management modernisé
En tant que consultante en recrutement spécialisée dans le secteur chez Michael Page, Marine Moullé-Berteaux constate qu’en plus des efforts chiffrés (salaires, horaires…), les patrons d’établissement ont dû reconsidérer leur management : “Les salariés aiment qu’on leur communique des données chiffrées comme le chiffre d’affaires, le coût d’un uniforme par exemple ou le prix du repas du perso, liste-t-elle. Surtout, ils veulent être écoutés, que leurs avis soient pris en compte autant que leurs idées”.
Fini le management à la papa si cher au métier ! Et cela se ressent dans le recrutement des cadres également, qui doivent être sur le terrain et proches des équipes. “Les cadres ne peuvent plus se contenter de demander à leurs collaborateurs d’être des exécutants. Ils doivent y mettre plus d’humain et les soutenir pour les horaires sinon cela ne marche pas”.
Un appel d’air avec des salariés venus d’autres secteurs
Peut-on craindre une crise des vocations entre les nombreuses démissions, les fermetures (En 2022, 20 579 établissements de restauration ont été radiés en 2022 selon l’Observatoire statistique du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce) et les reconversions réussies ou pas ?

Ce mouvement est normal. Cela crée un renouveau qui fait du bien à la profession avec des personnalités variées, de nouvelles idées et de nouvelles perspectives. Je vois beaucoup de profils issus du monde du retail ou du marketing qui veulent rentrer dans ce secteurMarine Moullé-Berteaux, consultante en recrutement spécialisée restauration chez Michael Page
Vers un label "restaurant où il fait bon travailler" ?

Les étudiants de la chaire Food Business Challenges (Essec) ont eu une idée : créer un label dédié à la restauration. Le directeur académique, Frédéric Oble, s’explique : “En s’inspirant de Great Place to Work, ce label permettrait aux candidats d’identifier les restaurants dans lesquels il est agréable de travailler Nous pourrions même imaginer un audit, un plan de progression pour évoluer…”. Pour l’heure, cette idée est restée un projet dans les cartons.
Journaliste depuis 13 ans, je suis spécialisée sur des thématiques liée à l'emploi : management, recherche d'emploi, enquête sur des secteurs économiques, emploi des cadres, test de métiers...