
- Pourquoi ce livre “La nouvelle élite” ?
- Comment expliquer cette fuite de talents féminins ?
- Les entreprises peuvent-elles satisfaire ces envies de réussites professionnelles alternatives en leur sein ?
- Avez-vous des exemples concrets ?
- Comment faire fonctionner ces communautés en entreprise ?
- Cette “nouvelle élite” peut-elle avoir un impact positif sur le reste des collaborateurs ?
- Vous évoquez une “nouvelle élite” plutôt féminine. Qu’en est-il des hommes ?
Pourquoi ce livre “La nouvelle élite” ?
Sandrine Evangelista : L’idée de mon ouvrage* est partie d’un constat : en « coachant » des femmes dirigeantes, je me suis aperçue qu’une partie d’entre elles ne se retrouvaient pas dans le modèle de la réussite à la française : grandes écoles, toujours plus de responsabilités, toujours plus de collaborateurs à encadrer... Résultat : je côtoyais des femmes qui quittaient leurs boîtes et des DRH n’arrivant pas à recruter des talents féminins ou à féminiser leur direction…
Pour chaque femme directrice promue au niveau supérieur, deux femmes directrices choisissent de quitter leur entreprise.
Comment expliquer cette fuite de talents féminins ?
S. E. : Ces femmes ne se retrouvaient pas – elles ne s’y retrouvent toujours pas – dans ce modèle ascendant ultra dominant. Et quand elles postulent pour d’autres postes plus transversaux, plus techniques, on leur rétorque qu’elles vont s’ennuyer, que le poste est sous-dimensionné. Résultat : elles quittent le navire car elles ont en tête d’autres modèles de réussite. Elles veulent travailler en tant qu’indépendante, entrepreneuse, en profession libérale, à la tête de start-up, en experte plutôt qu’en manageuse généraliste… Elles ne peuvent pas non plus s’appuyer sur des « role models » difficiles à repérer. C’est pourquoi le but de mon livre a été de partir à leur rencontre et de les interviewer sur ce qu’était, pour elles, une réussite professionnelle.
La nouvelle élite, c'est celle du coeur. Ce n'est plus seulement celle des grandes familles, des riches, des diplômés de grandes écoles et des postes visibles et importantsExtrait de La nouvelle élite, p. 123
Les entreprises peuvent-elles satisfaire ces envies de réussites professionnelles alternatives en leur sein ?
S. E. : Bien sûr ! Plusieurs formes de réussite professionnelle doivent pouvoir cohabiter dans les entreprises. Les DRH doivent donc faire une place à cette “nouvelle élite” capable de faire changer l’idée même de réussite professionnelle. Penser en termes traditionnels de mixité et de diversité, c’est bien mais pas suffisant. Il est essentiel de proposer à tous d’autres parcours. Pour y arriver, je préconise, par exemple, de monter des communautés. Ce peut être des réseaux de femmes pour définir les différents parcours possibles à mettre en place. Il s’agit d’une co-construction avec des collaborateurs qui sont les mieux placés pour repérer les blocages au sein d’une entreprise donnée. Ils peuvent alors proposer des solutions innovantes. Il ne s’agit pas de promouvoir l’égalité ou la mixité mais de proposer de nouveaux modèles de travail. Pour ces communautés, il est important de casser les barrières hiérarchiques et de faire communiquer, en un même lieu, des dirigeantes et des assistantes. Il est rare de voir ces dernières promues. C’est davantage le cas aux USA où ces communautés existent depuis les années 80. C’est encore balbutiant en France, 40 ans plus tard… ».
Etre heureuse, c'est la différence entre la réussite et l'accomplissementCatherine Blanc, citée par Sandrine Evangelista dans "La nouvelle élite", p. 111
Avez-vous des exemples concrets ?
S. E. : Prenons l’exemple de femmes désirant – c’est une constante – développer leur carrière via l’intrapreneuriat. Elles sont intéressées par développer des filiales, des start-up internes... Lors de coaching, j’ai développé ce type de groupes de femmes avec succès. Près de 70 % des salariées y ont participé, parmi lesquelles beaucoup de femmes freelance. Quand on leur demande pourquoi elles ont choisi ce statut, elles évoquent un besoin de liberté. Elles opposent ainsi la liberté de l’entrepreneuriat et les carcans du salariat. Selon elle, seul le statut d’indépendante leur permet de développer sa créativité, d’organiser ses horaires, d’exercer un métier qui a du sens. Il faut donc multiplier les parcours pour fidéliser ces managers. Et il est important d’accompagner le plus tôt possible ces collaborateurs car, aujourd’hui, les coachings sont proposés à la quarantaine. C’est trop tard. A cet âge, ces femmes n’acceptant pas l’ascension professionnelle traditionnelle, et c’est aussi le cas de beaucoup d’hommes, ont déjà pris la décision de partir.
Comment faire fonctionner ces communautés en entreprise ?
S. E. : Pour que cela fonctionne, ces groupes doivent disposer d’une vraie autonomie avec un budget dédié sans les intégrer dans un parcours RH formalisé. J’ai en tête une expérience que j’ai menée dans une banque-assurance avec une structure auto-organisée pouvant s’appuyer sur un budget de l’ordre de 50 000 à 100 000 euros par an. Cette entreprise avait besoin de féminiser son organigramme. La communauté a mis en place des ateliers, des conférences, des outils en phase avec les objectifs stratégiques de l’employeur à l’instar d’une instance paritaire. D’autres expériences ont été développées sur le rôle de l’intelligence artificielle dans le recrutement, le tout analysé et décortiqué par ce type de communauté. On s’est aperçu que cela avait augmenté de 10 % la qualité des relations perçues en entreprise, mais que cela avait aussi amélioré la qualité de la relation client. Les salariés ont alors eu le sentiment que le niveau d’empathie de leur entreprise a augmenté. Et c’est particulièrement le cas pour les salariés les moins qualifiés.
Cette “nouvelle élite” peut-elle avoir un impact positif sur le reste des collaborateurs ?
S. E. : J’ai un exemple en tête qui le prouve. Via les communautés, on s’est, par exemple, aperçu que la moitié de leurs membres sont engagés dans l’associatif proche de chez eux. Nous avons donc organisé un concours permettant de faire bénéficier à trois associations d’une subvention de quelque 10 000 euros. Les salariés se sont mobilisés pour faire connaître leur association. Cela a créé une très forte émulation, a développé des synergies entre les métiers de l’entreprise et, in fine, a permis d’améliorer l’image d’engagement extra-financier de l’employeur. Le tout incarné et mené par les salariés. On était loin du « fake »…
Les RH ne s’étaient pas aperçus qu’ils se trouvaient assis sur une mine d’or… Personne ne s’était demandé pourquoi les salariés étaient si engagés dans la vie civile et si peu en entreprise… Cela a débouché sur une grande amélioration de l’engagement des collaborateurs et sur une politique permettant à chaque salarié de consacrer un jour par mois offert par l’entreprise à son activité associative. C’est concret et réel pour les collaborateurs et cela attire les éventuels candidats. C’est parti d’un groupe de femmes et cela a fait boule de neige pour devenir un pilier de la politique RH de l’employeur. C’est dire s’il est essentiel d’être créatif, de faire confiance à ses salariés et de leur permettre d’acquérir une forme de reconnaissance. Certes, cela prend du temps mais cela permet de disposer de collaborateurs reconnus, valorisés et motivés.
Vous évoquez une “nouvelle élite” plutôt féminine. Qu’en est-il des hommes ?
S. E. : Il ne faut pas se méprendre. Mes exemples sont féminins mais cette “nouvelle élite” n’a ni âge, ni genre spécifique, ni études obligatoires. Il s’agit de permettre à tout le monde de faire bouger les lignes de notre société, de nos entreprises, pour permettre à chacun de s’épanouir individuellement, dans son métier, son quartier ou sa famille. Mais pour cela, il faut oser être créatif. Oser être soi-même pour les salariés, ne plus se planquer et oser devenir un leader qui s’éclate. Il faut beaucoup d’audace. Mais lorsque l’on s’y met, cela donne de très bons résultats. Cela permet à tout le monde d’être heureux. Ce qui est pour moi la différence entre la réussite professionnelle – les succès rencontrés dans son travail - et l’accomplissement – ce qui est satisfaisant dans sa vie. Ceci précisé, pour que les RH s’emparent de ces sujets, il faut les aider. Ces équipes sont souvent très seules pour résoudre des problèmes d’ordre sociétaux sans beaucoup de retour d’expériences concluantes. Comme ce n’est pas leur métier de base, le mieux est d’utiliser les services d’un coach spécialisé. On pourra ainsi débuter par un programme dédié aux femmes puis il faudra l’ouvrir à l’ensemble des salariés sans quoi les hommes risquent de se sentir discriminés. C’est d’ailleurs déjà le cas. J’ai accompagné 10 hommes au dernier trimestre 2023. Trois se sont plaints qu’il y ait des postes réservés aux femmes. Il faut donc faire attention et s’astreindre à gommer les clivages jeunes contre vieux, femmes contre hommes, Bac +2 contre Bac +5.
* La nouvelle élite - Les nouveaux modèles de leadership à impact (bb4 Books)

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.