Saverio Tomasella : « Le cerveau n’est pas toujours d’accord pour retourner au bureau »

Sylvie Laidet-Ratier

APRES LE 9 JUIN - Pendant que certains se réjouissent de pouvoir bientôt retourner au bureau, d’autres sont terrorisés à l’idée de devoir y remettre les pieds. Pourquoi et comment expliquer de tels blocages ? Cadremploi a posé la question à Saverio Tomasella, psychanalyste et auteur de plusieurs ouvrages en psychologie, psychothérapie et développement personnel. Voici les 4 raisons pour lesquelles certains ne veulent (peuvent) pas retourner au bureau et des conseils pour tenter de débloquer ce refus d’obstacle, que l’on soit salarié ou manager.

Saverio Tomasella - Photo ©Astrid di Crollalanza

Saverio Tomasella : « Le cerveau n’est pas toujours d’accord pour retourner au bureau »
Saverio Tomasella - Photo ©Astrid di Crollalanza

 

Évidemment, s’il y avait une seule explication, ce serait plus simple de débloquer la situation. Mais en fait, les raisons de ce type de blocages sont diverses. Et parfois (souvent) s’ajoutent les unes aux autres. Alors pourquoi certaines personnes ne peuvent pas retourner au boulot tandis que d’autres trépignent d’impatience à l’idée de retrouver leur si cher bureau ?

Parce qu’on a perdu l’habitude de supporter les inconvénients du boulot

Instinctivement, le cerveau refuse de se forcer à travailler de manière moins agréable et moins confortable.
Saverio Tomasella

« La perte de l’habitude est très puissante neurologiquement et psychiquement. En télétravail, le cerveau a pris l’habitude de ne plus prendre les transports, de ne plus entendre de bruit en travaillant, de ne plus subir la pression directe des managers, les mauvaises relations avec les collègues... Donc instinctivement, le cerveau refuse de se forcer à travailler de manière moins agréable et moins confortable », détaille Saverio Tomasella, psychanalyste et auteur de « Ne passez plus à côté de votre vie. Il est temps de vivre ! » (Flammarion, 2021). Et ça, c’est d’autant plus vrai pour les personnes moins sociables et plus introverties que les autres.

Parce que l’environnement de travail n’est peut-être pas top

 

S’imaginer retourner bosser au trentième étage d’une tour complètement impersonnelle, sans un brin de verdure, avec aucun resto sympa alentour, le tout assorti de deux heures quotidiennes de transport bondés pour s’y rendre… ça ne fait plus kiffer certains d’entre nous. « Ces facteurs liés à l’environnement de travail peuvent effectivement participer à ce blocage du retour au travail », constate Saverio Tomasella.

 

Parce que le risque de tomber malade reste ancré dans notre tête

Ce qui joue, c’est la peur du risque que l’on pourrait courir.

« A force de battage médiatique, le cerveau a enregistré que ce virus était dangereux et que l’on pouvait en mourir. Et ce malgré, toutes les infos relatives à la vaccination. Ce qui se joue donc là, ce n’est pas la peur de retourner au bureau mais la peur du risque que l’on pourrait courir à s’y rendre de nouveau », explique Saverio Tomasella.

Parce qu’il peut y avoir un passif personnel qui resurgit

Des plus ou moins bonnes relations, des conflits larvés, des difficultés à se faire entendre… toutes ces situations personnelles non réglées avant le basculement en télétravail, resurgissent dans la tête des réfractaires au come-back au boulot. « Ils s’en font une montagne, ils imaginent que tout va recommencer comme avant. Alors, ils bloquent », illustre l’expert.

5 conseils aux salariés : comment tenter de débloquer ce refus de retour au bureau ?

Maux de ventre, migraines, dos bloqué, vertiges, angoisses, déprime… peut-être que votre corps se manifeste déjà alors que l’assouplissement du télétravail n’est prévu qu’à partir du 9 juin prochain.  Si c’est le cas, il est possible d’anticiper le jour J. Voici quelques conseils :

 

Accueillir cet état de fait, donc ce blocage, comme tel

« Le reconnaitre sans culpabiliser est une étape indispensable », recommande Saverio Tomasella, également auteur de « Lettre ouverte aux âmes sensibles qui veulent le rester. L’hypersensibilité est l’avenir du monde » (Larousse, 2021).

Pratiquer des exercices de projection 

3, 4, ou 5 minutes par jour, alors que vous êtes encore en télétravail chez vous, visualisez-vous à votre poste de travail dans votre entreprise. Cette pratique peut vous aider à reprendre inconsciemment le chemin de la boite.

Rappeler ses collègues avant le jour J

 « Évidemment, des personnes avec qui vous vous sentez bien et libres de vous exprimer. Ces appels seront autant d’occasion d’échanger sur comment eux aussi vivent cette perspective de retour au bureau. Leur ressenti, leurs idées et astuces peuvent vous être utiles », insiste-t-il.

Préparer un "doudou professionnel"

« Le jour J, apporter au bureau un objet personnel qui vous fait vous sentir chez vous, peut faciliter le retour au bureau », note-t-il. Un objet transactionnel en somme.

Envisager de consulter

« Cette crise est un choc traumatique collectif qui a des impacts personnels très forts. A chaque annonce de (re)confinement, le cerveau a créé de nouvelles connexions neuronales provoquant d’abord beaucoup de panique, d’anxiété et d’angoisse. Aux 2e et 3e confinement, les gens étaient révoltés puis abattus. Quelques séances de thérapie sont susceptibles de résoudre ces chocs », explique-t-il.

4 conseils aux managers : comment faciliter le retour au bureau des plus réfractaires ?

Créer une ambiance de travail plus sereine

Plus facile à dire qu’à faire. En tout cas, ça vaut le coup d’essayer.

Faire preuve de souplesse sur l’organisation du travail

Envers les plus rétifs, être souples sur l’alternance bureau – home office, s’impose.

Privilégier les réunions en petits comités

« L’objectif est de permettre à chacun de vider son sac sur ce sujet du retour au bureau. Et pour un manager d’inventer de nouvelles façons de travailler. A tout le moins de lancer un nouveau projet susceptible d’embarquer un maximum de collaborateurs », estime Saverio Tomasella.

Accorder des vacances avant le retour

« Comme à la Libération après la guerre, les gens ont besoin de vacances pour s’amuser, se détendre et apprendre à recouvrer la liberté. Là, s’ils enchainent direct un retour au bureau après 18 mois de télétravail, pour eux, c’est terrible. Après avoir été dans la privation, on leur demande de nouveau de faire des efforts. C’est comme  une double peine », conclut-il.

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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