Intelligence artificielle : quelles sont les compétences qui s’arrachent en France et à quels salaires ?

Gwenole Guiomard

SECTEUR QUI RECRUTE – La pandémie n’a pas ralenti les recrutements dans l’IA. Et la fuite des cerveaux vers l’étranger, où l'excellence française est reconnue, a juste été gelée mais est repartie depuis fin 2020. Il faut dire que tous les secteurs s’arrachent ces compétences devenues vitales dans le traitement du langage naturel, l’automatisation de tâches répétitives ou le traitement de big data. Cadremploi a mené l’enquête pour savoir quels profils s’arrachent en France (et pas seulement les scientifiques), qui sont les employeurs qui proposent de beaux postes, pour quelles missions et à quels salaires, sur fond de surenchère mondiale. Spoiler : les reconversions de Bac+5 y sont possibles.
Intelligence artificielle : quelles sont les compétences qui s’arrachent en France et à quels salaires ?

Ils témoignent

  • Aïssa Khelifa, directeur général de Milvue (fourniture de diagnostics médicaux automatisés)
  • Paul Courtaud, dirigeant et fondateur de la start-up Neobrain (amélioration des compétences via l’IA)
  • Romuald Gallet, directeur de l’Executive Education de l’institut Mines-Telecom Business School.
  • Yann Gallic, étudiant de l’Executive master en IA pour les managers innovants de l’institut des mines-telecom business school.
  • Ons Jelassi, responsable pédagogique du mastère spécialisé en intelligence artificielle de Telecom Paris
  • Sacha Kalusevic, directeur senior de Michael Page Technology et auteur de l'étude « Les humains derrière l’intelligence artificielle »
  • Sami Kraiem, directeur général de Entropy
  • Jacques Moulin, directeur général du think tank « IDATE digiworld »
  • Karl Rigal, directeur du marketing de Stedy,
  • Emmanuel Stanislas, dirigeant du cabinet de recrutement « Clémentine »
  • Arnold Zephir, cofondateur et data scientist de Prevision.io (fermes d’algorithmes)

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IA : la tentation de l’étranger pour les talents français

Soyons franc : dans le domaine de l’intelligence artificielle, les employeurs français sont (encore) minuscules face au reste du monde, à savoir les USA ou la Chine, mais aussi la Grande-Bretagne et Israël. « Quand une start-up hexagonale lève 5 millions en France, l’équivalent californien lève 50 millions aux USA », illustre Aïssa Khelifa, directeur général de Milvue, une société du domaine de la santé spécialisée dans la fourniture de diagnostics automatisés permettant de mieux prendre en charge les patients.

Résultat, les candidats français choisissent bien souvent leurs employeurs à l’étranger. Une anecdote résume la situation. Paul Courtaud, 25 ans, dirigeant et fondateur de la start-up Neobrain, spécialisée dans l’amélioration des compétences via l’IA, raconte :

Début 2021, je venais de faire une proposition à 70 000 € brut par an à un jeune spécialiste IA de 27 ans. Malheureusement, il a reçu une autre proposition à 140 000 dollars d’une boîte californienne. Il nous a quand même dit ‘’Bye-bye’’…
Paul Courtaud, fondateur de Neobrain
Jacques Moulin

Jacques Moulin fait le même constat : « La France dispose d’excellents centre de recherche en mathématiques notamment, Malheureusement, les capacités d’investissements des entreprises sont plus faibles qu’aux USA ou en Chine. D’où une fuite des cerveaux français », explique le directeur général du think tank Idate digiworld regroupant environ 80 acteurs-clefs du numérique comme Orange, Bouygues, China mobile, BNP, Axa, des écoles comme Polytechnique ou des collectivités locales.

Source : Etude Michael Page 2021 "Les humains derrière l'intelligence artificielle"

Recrutement dans l’IA : un marché où les candidats ont l’embarras du choix

Dans ce contexte de chasse des talents à l’échelle mondiale, les recruteurs français sont à l’affût.

Emmanuel Stanislas

« Nous éprouvons de fortes difficultés à trouver des candidats, euphémise Emmanuel Stanislas, dirigeant du cabinet de recrutement Clémentine. Nous recherchons des candidats de très haut niveau (grandes écoles ou docteurs universitaires) avec de solides compétences en mathématiques et en informatique ». Dans ce cabinet spécialisé depuis 2000 (autant dire une éternité) dans l’IT , environ 20 % de missions (soit une trentaine) concernent la recherche d’un poste dans les domaines de l’intelligence artificielle.

Source : Etude Michael Page 2021 "Les humains derrière l'intelligence artificielle"

Ons Jelassi, responsable pédagogique du mastère spécialisé en intelligence artificielle de Telecom Paris (coût : 18 500 euros) confirme la pénurie de candidats  :

Ons Jelassi

« Nos étudiants trouvent du travail très rapidement. 30 % disposent d’un CDI avant leur diplomation pour un salaire dépassant 50 000 euros brut par an pour 75 % d’entre eux. Ils sont embauchés dans des entreprises innovantes autour du traitement d’image, dans la santé, la robotique ou par un de nos partenaires comme Valeo, Airbus ou BNP Paribas. Malgré la crise, 100 % de nos diplômés 2020 avaient trouvé un job en septembre pour une diplomation en mai ».

Bon à savoir : le think tank Idate digiworld répertorie régulièrement ces profils les plus convoités dans des études sectorielles publiées sur leur site.

IA : bienvenus aux Bac+5 reconvertis

 

Compte tenu de la pénurie de talents spécialistes en IA, le secteur s’est organisé pour donner envie à des Bac+5 de s’y reconvertir. Car les profils atypiques deviennent même « employables ». C’est le cas à la sortie du mastère spécialisé en intelligence artificielle de Telecom Paris :

Nous encourageons la diversité des profils. N’importe quel Bac +5 peut intégrer notre Mastère spécialisé à condition d’avoir réussi un Mooc de remise à niveau sur les fondamentaux des big data accessible sur la plateforme Fun.
Ons Jelassi, responsable du mastère spécialisé en intelligence artificielle de Telecom Paris

Reconversion dans l’IA : un exemple de profil atypique

Denis Gallic, 64 ans, ancien directeur de lycée, ancien professeur de maths et d’informatique, vivant près de Brest, se forme actuellement via l’Executive Master en IA pour les managers innovants de l’Institut des Mines telecom business school. Ce cursus de 6 mois coûte 11 000 euros et est dédié aux profils non techniques en distanciel. « Je serai diplômé au 3e trimestre 2021. Il y a beaucoup de boulot à l’issue de ce Master, estime-t-il. Je me destine par exemple à former et évangéliser les entreprises finistériennes aux IA et leur rajouter des briques d’intelligence artificielle pour améliorer leur productivité ».

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1/ Les recrutements de profils scientifiques

Selon la récente étude de Michael Page, voici le top des métiers en tension dans les IA en France :

  • Computational Linguist/Ingénieur Programmation Linguistique 
  • Data Engineer/Data Scientist/Data Consultant/Data Analyst 
  • Ingénieur DevOps/DataOps 
  • Ingénieur IA/Développeur IA 
  • Délégué à la Protection des Données ou Data Protection Officer (DPO) 
  • Ingénieur Machine Learning
  • Data Visualisation Consultant 
  • Chef de Projet BI/Data 
  • Data Architect
  • Chief Data Officer 

Emmanuel Stanislas, dirigeant du cabinet de recrutement Clémentine illustre la ruée sur ces profils : « Nous recrutons tous ces profils pour nos clients français. A titre d’exemple, je recherche en ce moment un Chief data officer pour un poste en Ile-de-France. Salaire prévu : de l’ordre de 150 000 euros brut par an pour un profil de quadra manager d’équipe. En passant par une annonce, nous ne recevons aucune candidature. Ces spécialistes des IA reçoivent une sollicitation par jour provenant d’un cabinet de chasse de tête. C’est énorme. »

Autre point important à signaler : le marché de l’informatique peut aussi s’intéresser aux candidatures sans s’attacher aux diplômés avec une distinction ingénieurs-techniciens supérieurs tendant à disparaitre.

40 recrutements chez Neobrain en 2021

Paul Courtaud

Chez Neobrain, une start-up spécialisée dans l’amélioration des compétences via l’IA, le dirigeant et fondateur, Paul Courtaud, devrait embaucher 40 salariés d’ici la fin de l’année dont une moitié de spécialistes des IA. « Il s’agit de candidats sachant traiter des masses importantes de données puis de les analyser. Ils sont ingénieurs ou formés à l’université et ce sont des :

  • Data Scientists spécialisés en NLP (Natural Language Processing ou traitement automatique du langage naturel (TALN) en français),
  • Data Engineer
  • QA (quality assurance) Engineer et autres lead developer web

7 recrutements d’experts en IA chez Milvue

Alissa Khelifa, DG de Milvue

Aïssa Khelifa, directeur général de Milvue, une société spécialisée, via l’IA, dans la fourniture de diagnostics automatisés permettant de mieux prendre en charge les patients, va recruter 7 salariés en 2021. Ce seront des experts en IA et en machine learning. « Pour intégrer notre secteur, celui des start-ups, il faut être ingénieurs ou titulaire d’un Master 2 universitaire en IA, parler parfaitement l’anglais et être adaptable. Avoir une première expérience en machine learning est un plus. J’apprécie aussi les candidats gentils et bienveillants. C’est tellement plus agréable de travailler avec des salariés positifs et ouverts ».

Recherche praticiens IA chez Prevision.io

« Nous recherchons une quinzaine de spécialistes des IA cette année », explique Arnold Zephir, cofondateur et data scientist de Prevision.io, une entreprise développant des fermes d’algorithmes à destination des entreprises. Les bons candidats devront être des praticiens bons développeurs, moins des théoriciens ».

2/ Les recrutements de profils non-scientifiques

Romuald Gallet

L’IA peut aussi concerner les non-scientifiques. C’est le créneau pris par l’institut Mines-Telecom Business School. Romuald Gallet, son directeur Executive Education propose des Mastères spécialisés en alternance pour devenir consultant en IA, responsable marketing en IA, faire du business development ou devenir directeur de l’innovation.

Nous les formons pour qu’ils acquièrent la culture IA afin devenir des évangélisateurs en IA dans toutes les entreprises. Ce ne sont donc pas des techniciens mais des agents de liaison se servant de nouveaux outils pour gérer des données massives au service de leurs employeurs.
Romuald Gallet, directeur Executiv Education IMTBS

IA : des salaires faramineux

Sacha Kalusevic est directeur senior de Michael Page Technology et auteur de l'étude « Les humains derrière l’intelligence artificielle », une passionnante plongée dans l'univers de l’intelligence artificielle, ses métiers et ses salaires. La demande en talents dans l'IA est très forte et la pénurie tout aussi importante.

Les spécialistes de l’IA sont payés autour de 40 000 euros brut par an en début de carrière pour atteindre, 5 à 7 ans plus tard, les 80 000 euros dans les grosses structures. Soit des hausses salariales atteignant en ce moment 15 % par an.
Sacha Kalusevic, directeur senior de Michael Page Technology

Selon son étude, un chief data officer perçoit de 80 000 à 100 000 euros brut par an et cela peut atteindre les 150 000 euros voire plus dans les grosses boîtes.

Sami Kraiem

Sami Kraiem, directeur général d’Entropy, une start-up mêlant transport et intelligence artificielle va embaucher 8 salariés en 2021. « Nous venons de recruter une docteure de l’université, précise-t-il. Elle est payée 45 000 euros brut par an. C’est beaucoup moins qu’aux USA. Nous tentons de retenir nos salariés en leur proposant une bonne qualité de vie à Versailles. Dans 5 ans, cette salariée percevra, si tout va bien, quelque 70 000 euros brut par an hors prime. Aux USA, elle aurait débuté à 60 000 euros brut par an ».

Karl Rigal

Karl Rigal, lui, est directeur du marketing de Stedy, une société de conseils en ingénierie qui recrutera 10 salariés spécialistes de l’IA d’ici la fin 2021. « La rareté fait le prix de ces experts, explique-t-il. Avec peu d’expérience, ils percevront de 40 000 à 45 000 euros brut par an. Ils seront vite augmentés. Notre économie est adossée à la data. C’est le pétrole du 21e siècle. Se spécialiser dans la data et les capacités de calcul, de déduction et de prédiction constitue un excellent choix de carrière ».

Dans ce cadre, une stratégie rémunératrice peut être à conseiller. C’est ce qu’explique un chercheur, donc fonctionnaire, de l’Inria ne souhaitant pas être cité.

Je conseille aux jeunes de débuter par la recherche publique, de se faire connaitre puis de se faire débaucher vers 30-35 ans par un poids-lourd comme Google. J’ai un collègue qui vient de partir dans une société américaine basée à Paris. Il me signale, pudique, qu’il va passer de 45 000 brut par an à un salaire mensuel à 5 chiffres dont le premier n’est pas un… Cela signifie un salaire net compris entre 20 000 et 25 000 par… mois !
Un chercheur de l'Inria

Qui recrute des spécialistes IA en France ?

  • La fonction publique et les organismes de recherche étatique type Inria. Les salaires y sont peu élevés et les carrières « lentissimes ».
  • Les mastodontes américains Amazon, Facebook ou Google, sont le graal des diplômés. Ils payent, et de loin, le mieux.
  • Des start-up qui, si elles réussissent, ont de fortes « chances » de se faire absorber/phagocyter par les mastodontes US. On en compte environ 450 en France Parmi lesquelles :
    o   Seclab (Montpellier)
    o   BCOM (Rennes, Paris, Brest, Lannion)
    o   Milvue
    o   Neobrain
    o   Dataiku
    o   Prevision.io
    o   Entropy (https://www.entropy.sc)
    o   Zendesk
    o   MyDataModels
    o   ABBYY
  • Les autres entreprises dont l’IA n’est pas le cœur de métier mais qui en ont besoin pour améliorer leurs produits. On trouve ici les industriels (IBM, EDF, Air France, Suez, Valeo, Airbus,…), les banques et les assurances (dont BNP Paribas, Direct Assurances, etc) et quasiment tous les secteurs de l’économie par exemple les sociétés de conseils (McKinsey, BCG, Cornerstone OnDemand, Stedy, etc.).
Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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