Le nucléaire recrute des milliers de cadres. Y aller ou pas ?

Aurélie Tachot

SECTEUR QUI RECRUTE – En février dernier, Emmanuel Macron annonçait la construction de 6 nouveaux réacteurs nucléaires en France. Une nouvelle qui donne des perspectives encourageantes pour la filière nucléaire, qui entend réussir plus de 22 500 recrutements d’ici 2023, dont une large proportion d’ingénieurs. Mais elle se prépare aussi à galérer pour attirer les candidats. Rencontres avec trois experts de la filière.

3 experts des industries nucléaires détaillent les atouts et les faiblesses de cette filière qui doit impérativement recruter 4000 ingénieurs par an.

Le nucléaire recrute des milliers de cadres. Y aller ou pas ?
3 experts des industries nucléaires détaillent les atouts et les faiblesses de cette filière qui doit impérativement recruter 4000 ingénieurs par an.

Ils témoignent

  • Cécile Arbouille, directrice générale du GIFEN (Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire)
  • Charles Montorio, responsable du recrutement et des mobilités internes au sein du groupe EDF
  • Samah Léa Hasker, Manager exécutif au sein du cabinet de recrutement Michael Page, en charge de la division techniciens et ingénieurs

Un contexte politique favorable  

 

La classe politique a les yeux rivés sur la filière nucléaire. En 2020, dans le cadre de son plan de relance, le gouvernement annonçait vouloir allouer 470 millions sur deux ans au secteur. L’objectif ? Développer les compétences techniques des travailleurs et doper la recherche dans les petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR).

En février 2022, le président Emmanuel Macron présentait son plan pour l’énergie depuis le site de General Electric, à Belfort, afin de garantir l’indépendance énergétique de la France. Celui-ci prévoit la construction de 6 nouveaux EPR deuxième génération et l’étude de 8 autres, d’ici 2050. Des annonces saluées par des viva dans les industries du nucléaire, qui cherchent à assurer leur avenir en participant à la transition énergétique. L’actualité est donc très porteuse pour le secteur, qui accélère d’ores et déjà ses recrutements de cadres pour donner vie à ces futurs projets.

Un objectif de 4000 ingénieurs recrutés par an

Dans le nucléaire comme dans toute filière industrielle, les cadres sont principalement des ingénieurs. Ce sont ces profils qui seront le plus recherchés au cours des prochaines années.

Cécile Arbouille
D’ici 2023, nous devrions effectuer, a minima, 22 500 recrutements. Nous tablons sur l’embauche de 4000 ingénieurs par an dans tous les domaines techniques : la mécanique, la robotique, l’automatisme... », explique
Cécile Arbouille, directrice générale du GIFEN, le syndicat de la filière.

Du fait des décisions politiques, les besoins du secteur sont donc colossaux. « Étant donné l’actualité, les entreprises recherchent à la fois des profils d’ingénieurs spécialisés dans le génie civil, pour participer à la construction des nouveaux réacteurs, mais aussi dans la maintenance pour gérer la rénovation du parc nucléaire et son démantèlement », précise Samah Léa Hasker, Manager exécutif chez Michael Page. Les ingénieurs d’études et les ingénieurs d’exploitation piquent, eux aussi, la curiosité des recruteurs. Enfin, les profils spécialisés dans l’IT restent très courus. « Nous recrutons des data scientists pour nos centrales ainsi que des développeurs et des architectes SI », illustre Charles Montorio, responsable du recrutement et des mobilités internes chez EDF.

 

Qui recrute dans le nucléaire ?

 

Le nucléaire est la troisième filière industrielle française après l’aéronautique et l’automobile. Elle occupe environ 220 000 salariés. Ces derniers travaillent dans 3250 entreprises, dont 85 % de TPE et PME, présentes dans l’ensemble des régions françaises. « La particularité de nos entreprises, c’est qu’elles sont diversifiées. En moyenne, le nucléaire ne représente que 20 % de leur activité. Elles évoluent sur d’autres marchés comme l’aéronautique, le pharmaceutique... », indique Cécile Arbouille. Aux côtés des PME, les ETI et les grands groupes comme EDF (dont sa filiale Framatome), Orano, TechnicAtome et le CEA sont pourvoyeurs d’emplois. EDF a par exemple annoncé qu’il allait effectuer 3300 recrutements dans le domaine du nucléaire, dont 50 % d’ingénieurs. En 2022, le spécialiste des chaufferies nucléaires TechnicAtome tablera, quant à lui, sur le recrutement de 180 personnes, dont 90 % de cadres et d’ingénieurs.

 Des pénuries de profils à venir

Samah Léa Hasker
Samah Léa Hasker

Comme d’autres filières industrielles, celle du nucléaire est en proie à une pénurie de profils. Les entreprises rencontrent des difficultés persistantes lorsqu’il s’agit de recruter des ingénieurs soudeurs, des ingénieurs mécaniciens et des logisticiens industriels. « Les ingénieurs spécialisés dans la sûreté et la sécurité, qui doivent suivre une formation spécifique au nucléaire, sont peu présents sur le marché mais très courus par les recruteurs », explique Samah Léa Hasker.

Pour répondre à leur demande, les employeurs pourraient se tourner vers les ingénieurs des autres filières. Mais certains freins persisteraient. « Le nucléaire est un secteur à part, qui est cloisonné. On sent beaucoup de rigidité de la part des recruteurs dans la lecture des CV. Les entreprises du secteur ne se tournent pas suffisamment vers les profils d’ingénieurs issus du gazier ou de la pétrochimie, par exemple. Pourtant, leurs compétences sont transposables », indique-t-elle.

Un avis qui n’est pas partagé par Charles Montorio. « En France, notre groupe est le second formateur après l’éducation nationale. Nous savons recruter des ingénieurs de tous les horizons et les former en interne », rappelle-t-il.

 

Un déficit d’image auprès des jeunes cadres

La filière nucléaire souffre d’un déficit d’image auprès des jeunes, qui lui préfèrent des secteurs dits « verts » comme celui des énergies renouvelables. Une étude IFOP réalisée en janvier 2022 dévoile que les moins de 35 ans sont 46 % à évoquer un sentiment d’inquiétude face à la production d’énergie nucléaire en France. Pour Samah Léa Hasker, ce manque d’attractivité s’explique non pas par les accidents nucléaires comme Fukushima en 2011 mais par la méconnaissance des processus de production. « Il y a beaucoup d’idées reçues à déconstruire. La première, c’est que la fumée qui sort des centrales nucléaires n’est pas un gaz polluant, mais de la vapeur d’eau. Le nucléaire est une énergie bas carbone, peu chère et la plus disponible en France », rappelle-t-elle. Un déficit d’image que le GIFEN espère résoudre en vantant ses opportunités de carrière, la dimension internationale de ses métiers et son turnover, « deux fois moins élevé que dans les autres industries », rappelle Cécile Arbouille.

 

Une nécessaire opération de séduction

Jusqu’ici, rares sont les entreprises du nucléaire à investir massivement dans leur marque employeur pour faire connaître leurs métiers. « Il y a beaucoup d’inertie dans le secteur, regrette Samah Léa Hasker. Au vu des besoins en matière de main d’œuvre, les entreprises du nucléaire auraient tout intérêt à vulgariser davantage leur activité, à grand coup d’actions de communication. C’est de cette manière qu’elles parviendront à attirer les jeunes générations. »

Charles Montorio
Charles Montorio

Cet effort est d’autant plus urgent que les employeurs du nucléaire recrutent les mêmes profils d’ingénieurs que les autres industries. « Des profils également recherchés par beaucoup de start-up, qui leur font désormais concurrence », note-t-elle. Les choses changent peu à peu, remarque-t-elle. « ll y a encore quelques années, Areva avait presque honte de dire que le groupe était dans le nucléaire. C’est moins le cas aujourd’hui. » Pour attirer les futurs talents, notamment les femmes, EDF multiplie les rencontres dans les écoles. « Nous intervenons dès le collège afin de présenter nos métiers et nous ouvrons nos sites de production aux écoles afin que les étudiants puissent mieux appréhender notre univers », indique Charles Montorio.

 

De nouvelles formations voient le jour

 

Le nucléaire pourrait être à l’aube d’une nouvelle ère. Et pour réussir ce tournant, la profession s’organise. « Nous bénéficions d’un programme appelé « EDEC » – Engagement de développement de l’emploi et des compétences – qui est financé par l’État et qui nous permet de faire appel à des cabinets d’études afin d’identifier les compétences et d’anticiper les tensions à venir. Cette analyse prospective servira de bons points de départ pour initier des actions d’attractivité », explique Cécile Arbouille. Le GIFEN a enfin déposé un dossier dans le cadre de France Relance pour être davantage visible sur les salons dédiés au recrutement. Notamment auprès des femmes, qui représentent que 25 % des effectifs. Avec l’appui de l’État, une université des métiers du nucléaire a enfin vu le jour en avril 2021, pour dynamiser les dispositifs de formation. D’ici le lancement du chantier du premier réacteur, prévu en 2028, la filière a donc de quoi s’organiser pour attirer et recruter des cadres.

Aurélie Tachot
Aurélie Tachot

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.

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