
Entendons-nous bien. Caroline Couronne a quitté le salariat il y a belle lurette. Elle ne cherche pas du tout à y revenir puisqu’elle vit très bien de ses différents jobs* en toute indépendance. Mais à force de fréquenter des « séniors » de 45 ans et plus dans l’une de ses activités *, elle a pris conscience de leur mal-être.
Un post écrit à l'instinct
Il y a quelques jours, alors qu’elle venait de fêter ses 45 ans et de décrocher son permis moto, elle a soudain envie de partager sa météo mentale sur un réseau social professionnel. Elle a conscience du mélange des genres, mais elle s’en amuse :
Je vois passer des postes LinkedIN qui ressemblent de plus en plus à des posts Facebook, alors je me dis, pourquoi pas?
Elle continue :
J'ai 45 ans. Il parait que dans ce monde totalement fou qu'est celui de l'#entreprise, on m'appellerait une "#senior" aujourd'hui? Puis-je éclater de rire? Jamais je ne me suis sentie aussi #belle. Jamais je ne me suis sentie aussi #forte, aussi #féminine, aussi #libre, et surtout, jamais mon #intelligence n'a été aussi affutée.
« Je l’ai écrit en 10 secondes, à l’instinct, explique Caroline Couronne. Je venais de voir passer plusieurs posts assez larmoyants de quinquas qui se plaignaient de leur sort. « Je suis rejeté de mon entreprise », « je n’en peux plus », etc. L’image qu’ils renvoyaient ne me correspondaient pas du tout. D’où ce post, où je les incite à ne pas se laisser enfermer dans une “boîte d’âge”. »
Injonctions de l'âge
Résultat ? Une viralité immédiate : plus d’un million et demi de vues en quelques jours, presque 2000 commentaires et des centaines de messages privés. Comment Caroline Couronne explique-t-elle ces effusions ?
Ce qui a plu, c’est que j’ai exprimé tout haut ce qu’ils ne peuvent pas dire dans leur entreprise.
« Je pense que ce post a fait réagir ceux qui refusent de se laisser enfermer dans une catégorie d’âge. En France, ça m’étonne toujours d’entendre les 45-50 ans autour de moi baisser le ton pour parler de leur âge et me dire que je suis “vieille” moi aussi ! C’est une injonction très violente », estime la quadra. « C’est la faute de tous. Des recruteurs sûrement, mais aussi des salariés qui ont accepté de se laisser enfermer. C’est un aboutissement d’une succession d’enfermements. »
Des hommes et des femmes comme moi il y en a des millions. Et les entreprises sont assez idiotes pour ne pas s’en rendre compte.
Un internaute explique ce succès par l'authenticité du message :
Connaître sa valeur
Les 45-50 ans seraient-ils trop résignés ? « Au travers des centaines de témoignages reçus, je constate simplement qu’ils ont intégré l’idée qu’ils coûtent trop cher à l’entreprise. Alors qu’ils devraient se dire : je suis cher mais je vaux le coup ! », défend la co-conceptrice avec Jacques Attali, de la méthode « Devenir soi » inspirée du livre de ce dernier.*
Cette forme de discrimination silencieuse qui consiste à écarter des + de 45 ans, elle en constate les ravages chez les salariés qui viennent la consulter, elle et son réseau de coachs de la méthode « Devenir soi »*.
En entreprise, le malaise des plus de 45 ans est palpable.
« Les gens ont vraiment besoin de parler. Quand ils me demandent mon mail, ils écrivent des pages et des pages pour décrire leur situation, des mots qu’ils se refusent à rendre public bien sûr. »
Des réactions de dirigeants
La moto a-t-elle joué un rôle d’objet transitionnel ? Elle a, en tous cas, déclenché les confidences d’une majorité de messieurs. « 80% des messages que j’ai reçus sont écrits par des hommes,» constate-t-elle
Des messages déplacés ? « Pas du tout », rassure-t-elle. Il y a bien eu quelques critiques sur le choix de son modèle de Suzuki mais pas de drague lourdingue comme on aurait pu s’y attendre après un message aussi sexué (une fille, une moto, la mer…).
Ceux qui lui écrivent sont majoritairement des dirigeant d’ETI qui ont créé leur boîte après s’être faits débarquer d’une grande entreprise. « Ils ont rebondi et sont fiers de raconter où ils en sont à 60 ans. Ils montrent qu’ils ont toujours de la valeur. »
D’autres relatent leurs entretiens de recrutement ubuesques face à de jeunes recruteurs, ou encore témoignent de leurs envies de reconversion, lui adressent des remerciements…
Une lente maturation
En fait, ce post correspond à ce que je dis depuis 25 ans. Et il a touché ceux qui sont arrivés à maturité de leur propre réflexion. Il leur a fallu du temps pour s’accorder le droit d’avoir de la valeur. Jusqu’à présent, ils courbaient l’échine.
Il faut dire que l’humilité est une valeur plus encouragée que la confiance en soi, dans les entreprises.
« Attention au trop plein d’humilité, rebondit Caroline Couronne. S’écraser et ne pas valoriser son talent revient à devenir invisible. Les femmes sont championnes dans cette discipline, elles n’osent pas briller. Tout l’inverse de ce que j’ai fait dans mon post. J’ai osé dire que je me sens belle, brillante et chanceuse. Ça ne nourrit pas mon égo ; j’estime que mon constat porte un message qui peut en libérer d'autres. Attention à la fausse humilité qui renie le talent. »
A quand une prise de conscience ?
L'entreprise est un lieu de contradictions analyse la consultante : « Elle cherche des gens avec des capacités d’innovation, un sens critique émulateur, de l’énergie pour entrainer les autres, etc. Mais en même temps, l’effet normatif des organisations éteint ces talents. J’observe que certains systèmes font fuir les gens qui connaissent leur valeur, quel que soit leur âge. »
L’entreprise aurait-elle un problème avec l’assertivité des plus de 45 ans ? « Peu importe l’âge, tranche Caroline Couronne. On peut être sûr de sa valeur même à 25 ans. Mais à 45 ans, avec toute l’expérience accumulée, on sait ce que l’on vaut et ça fait peur aux entreprises parce qu’on semble moins gérable. Le lien de subordination inhérent au salariat doit être repensé dans son essence. La soumission et l’obéissance sont incompatibles avec la créativité. »
Par quoi commencer ? « Seul un être libre peut en libérer un autre. Un patron ou un DRH ne pourra supporter la force d’un être sûr de lui que si lui-même se sent fort. Il faut donc des dirigeants accomplis, et qui n’ont pas peur d’un salarié qui sait ce qu’il vaut. Ce n’est pas un défaut. »
Qui est Caroline Couronne ?

Attention slasheuse ! Caroline Couronne mène plusieurs vies professionnelles en parallèle.
- Elle est, entre autres spécialités, experte en intelligence positive et travaille à ce titre pour des cabinets ou des entreprises.
- Mais elle s'est aussi lancée dans une aventure connexe depuis 2016 : au culot, elle a contacté Jacques Attali (oui, le vrai, l'unique, l'éternel slasheur à la fois économiste, haut fonctionnaire, écrivain, pianiste et auteur de chanson) afin de lui proposer de créer une méthode à partir de l'un de ses livres. Ensemble, ils ont créé la Méthode Devenir Soi™ inspirée du livre éponyme de Jacques Attali. Pour eux, il est possible d'épanouir sa personnalité à partir du moment où l'on accepte de prendre le pouvoir sur sa vie. Facile à dire... Alors pour le "coup de pied aux fesses" (dixit Attali), Caroline Couronne a constitué tout un réseau de coachs formés à cette méthode. Ces bienveillants se proposent d'aider pas-à-pas les candidats aux retrouvailles avec soi-même. La sortie du salariat est, elle l'avoue, l'une des voies la plus explorées.
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.