
Le déclic : un management « ringard et insupportable »
« Où serai-je dans cinq ans ? A vrai dire, s’esclaffe Marina*, je m’en fous. » Cette jeune chef de produit marketing vient de quitter son employeur, un géant du consumer goods que tout le monde connait.
Elle y a passé près de 5 ans à « subir leur management ». Les raisons de son départ, elle les formule sans filtre :
Franchement, je n’en pouvais plus d’être dirigée par des mâles blancs de plus de 50 ans avec leurs femmes au foyer, qui n’ont rien compris aux changements induits par le numérique, le on-line, le e-commerce, incapables de se remettre en question.
Marina stigmatise les lenteurs hiérarchiques et le manque d’agilité que subissent tous les salariés : « Pour changer la couleur d’un produit, il fallait un an, ça devenait tout bonnement insupportable. Et je défie quiconque, jeunes comme vieux, de s’investir dans ce genre d’environnement. En tout cas, moi, je n’y suis pas arrivée. Les grosses boîtes sont inadaptées aux jeunes. 50 % de mes amis veulent quitter leur employeur actuel et l’autre moitié opterait bien pour une année sabbatique. Notre génération est impatiente. Or, en 5 ans, dans mon premier poste en marketing, j’ai malheureusement très peu évolué. »
Des débuts idylliques
Pourtant tout avait bien commencé pour cette jeune diplômée d’un Master 2 en marketing-stratégie commerciale obtenu dans une grande école de management et une alternance dans le Nord de l’Europe. Marina a décroché ce premier poste avec enthousiasme
Le poste était intéressant et super bien payé : 38 000 euros brut par an avec des tickets resto à 12 euros par jour, une voiture de fonction, des primes et des cadeaux via des challenges. Et comble du bonheur, un manager exceptionnel.
Bref un boulot inspirant chez un employeur engagé pour l’emploi local.
Le désenchantement suite au départ d’un N+1
« Puis mon chef a quitté le navire car il ne partageait plus la vision de la boîte. Le groupe s’est ainsi débarrassé d’un de ses managers les plus humains. Je me suis aussi aperçue que leur stratégie privilégiait et promouvait les personnalités les plus dures, les plus complaisantes et les plus révérencieuses.
Il y a eu, ensuite, plusieurs arrêts maladies dans mon équipe. J’ai précisé aux ressources humaines que je ne voulais pas rester dans ce service. Ce département était stratégique pour ma boite car notre job consistait à trouver des idées pour développer les futurs produits, battre la concurrence.
Comment confier ce boulot à une jeune femme qui leur précisait régulièrement que ce n’était pas son truc ? Comment trouver des idées géniales quand on se demande, tous les matins, ce que l’on fait là ? J’ai fini pour ne plus ouvrir mon ordinateur certains jours. Plus d’envies, pas d’idées… Mais personne ne semblait s’en rendre compte. »
Une démission déshumanisée
« Début 2021, j’ai finalement posé ma démission contre l’avis de mon père. Il n’a toujours pas compris ma décision. Pour lui, quitter ce grand groupe n’était pas une bonne idée, pas le bon moment. Mais, moi, je n’ai pas envie de finir ma vie dans un boulot qui ne me plait pas. Je veux faire quelque chose qui ait du sens.
Au service des « ressources humaines », ça s’est passé sans un mot : quelqu’un a photocopié ma lettre de démission. Mais on ne m’a pas posé de questions sur mes motivations. Beaucoup de jeunes fuyaient pourtant cette boîte. Je suis sortie, dans le couloir, avec mon papier contresigné par les RH. Abasourdie. Je suis partie sans au revoir, sans merci. Cela ne doit pas se passer comme ça.
La renaissance
« Au cours d’un repas, une amie m’a vanté un employeur. Ce qu'elle m'en a dit m’a intéressé. J’ai postulé. Le processus de recrutement n'a pris qu'une semaine. On m'a proposé un fixe certes un peu moindre que mon précédent salaire (37 000 euros brut par an) mais un variable me permettant de le doubler si j’atteins mes objectifs. Je suis désormais commerciale dans une start-up qui met en avant sa capacité à nous faire évoluer et apprendre dans une super ambiance.
Dans mon ancienne boîte, cela faisait près de 30 mois que je demandais une évolution. En vain.
C’est le jour et la nuit. Je ne touche pas terre de la journée. Avant, je procrastinais en permanence. Maintenant, je sais pourquoi je viens le matin au boulot. Je dois faire du chiffre. J’appelle des clients.
Il y a une vie en dehors du travail
« Juste avant de partir de mon grand groupe, la jeune femme me remplaçant a demandé à prolonger sa période d’essai. Je pense que c'est un signe de défiance vis-à-vis des entreprises.
C’est un signal envoyé par notre génération. Nous venons de vivre 2 ans à ne faire que travailler. Pas de resto, pas de famille, pas de potes… Il nous faudra au moins le même laps de temps pour nous en remettre. Dans 5 ans, j’aurai sans doute changé de boîte. Ou je serai en congé sabbatique ou en voyage. Un tour du monde, sac au dos, ça me tente.

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.