Cadres et traileurs : après quoi courent-ils ?

Sylvie Laidet-Ratier

TEMOIGNAGES – Ils s’entrainent quotidiennement et enchainent les courses d’endurance en pleine nature. Certains se sont même lancés dans les ultra trails. Mais qu’est-ce qui fait courir ces coureurs et coureuses adeptes des terrains cabossés et des dénivelés de folie ? D’ailleurs, est-ce que leur pratique sportive influe sur leur travail ? Et vice versa. Alexandre, Anne et Arnaud, trois cadres traileurs, ont accepté de s’expliquer sur Cadremploi. Vos réactions sont les bienvenues, sur le forum en fin d'article ou via les réseaux sociaux.

A gauche, Alexandre Boucheix, 30 ans, chef de projet coordination systèmes d’information chez JCDecaux. A droite, le même, dit "Casquette verte" lors d'une épreuve de trail.

Cadres et traileurs : après quoi courent-ils ?
A gauche, Alexandre Boucheix, 30 ans, chef de projet coordination systèmes d’information chez JCDecaux. A droite, le même, dit "Casquette verte" lors d'une épreuve de trail.

Alexandre Boucheix, dit "Casquette verte" : « Ce dépassement de soi en course m’aide au boulot à oser davantage »

Alexandre Boucheix, dit "casquette verte", 30 ans, chef de projet coordination systèmes d’information chez JCDecaux (Neuilly-sur-Seine)

Son déclic pour le trail 

En 2015, quand l’un de ses collègues (« 45 ans, père de trois gamins ») se « la pète » le lundi matin en racontant ses séances de running du week-end. « Je n’y croyais pas. Et puis, à force de l'écouter, je suis allé courir avec lui. Une première fois, deux kilomètres, un enfer. Il a insisté. J’ai fini par courir des semi-marathons, des marathons, puis des trails… et des ultra trails », raconte "Casquette Verte", le surnom de coureur d'Alexandre Boucheix.

 

Sa distance de prédilection ?

Au moins 70 kilomètres avec 10 000 mètres de dénivelé. En guise d’entrainement, tous les soirs, il repart du boulot en courant de Neuilly-sur-Seine. A vol d’oiseau, son domicile de Saint-Mandé se situe à 14 kilomètres, dans l’Est parisien. Mais il allonge systématiquement son parcours à 25-30 kilomètres. Et ne refuse jamais un selfie avec des gens qui le reconnaissent sur le chemin.

 

Ce que le trail lui apporte dans le boulot ?

J’étais un grand anxieux. Je me posais toujours des dizaines de milliards de questions sur de faux problèmes. Quand t’es au fond du trou en course, tu te dépasses. Les petits problèmes du quotidien n’en sont plus. J’ai appris à les relativiser et à ne plus les voir comme des haies qui viennent à moi. Mais au contraire comme des obstacles que je suis capable d’anticiper. Ce dépassement de soi en course m’aide au boulot à oser davantage. A faire tomber certaines limites. J’ai aussi retrouvé du temps long pour moi. Il n’y a qu’en course que je peux déconnecter de mon téléphone pendant 30 heures d’affilée. Cela permet de réfléchir mais aussi de gagner en patience dans le quotidien.
Alexandre Boucheix

Hier une affaire de montagnards et de randonneurs expérimentés, le trail captive aujourd’hui de plus en plus de citadins CSP+. « Sur les courses, je croise beaucoup de dirigeants, de DRH… quand tu cours 3 ou 4 heures sous la pluie avec une autre personne, tu finis par raconter ta vie. Je crois que je réseaute davantage en trail qu’au boulot. On m’a d’ailleurs proposé d’animer des conférences sur la gestion de mes ultra trails », explique-t-il.

Il reconnait également avoir gagné de la « visibilité en interne auprès des décideurs de mon entreprise. Les clients, les partenaires… leur parlent de mes exploits sportifs. Ils peuvent désormais mettre un visage sur ce phénomène ».

De là à servir sa carrière ? « A moyen / long terme peut-être car je développe un réseau de dingue. Mais là dans l’immédiat, c’est plutôt l’inverse. Je pars souvent sur les courses le jeudi en fin de journée, je pose régulièrement des congés pour partir courir à l’étranger. Je ne peux donc pas m’investir autant que je voudrais dans mon boulot actuellement. Pour l’heure, je mets mon surplus d’énergie au service de mes ultra trails car je sais que cela ne dure qu’un temps ».

 

Ce que le boulot lui apporte dans sa gestion des trails ?

« Pour préparer un ultra trail, je dois par exemple prévoir mon alimentation pour les ravitaillements mais aussi trouver mes 12 ravitailleurs. Être également ultra prévoyant pour le matériel. De la gestion de projet comme au boulot », analyse-t-il.

Anne Magadur-Madelin : « J'ai gagné en confiance en moi »

A gauche, Anne Magadur-Madelin, 47 ans, consultante AMOA chez Inetum (Nantes). A droite, la même en tenue de trail.

Son déclic pour le trail

Elle s’est lancée dans le trail il y a une dizaine d’années. « Il faut au final peu d’équipement et surtout on le pratique quand on veut. C’est plus facile à caser dans un agenda professionnel ». A fond dans cette discipline, elle est même membre du bureau d’une association locale de 120 traileurs.

Sa distance de prédilection

Maxi 60 kilomètres en montagne. Elle s’entraine 3 à 4 fois par semaine et parcourt jusqu’à 45 kilomètres. « Pour courir et surtout tenir 10 heures, il faut évidemment être prête physiquement. Se préparer avec beaucoup de rigueur en termes de nutrition, de sommeil, de renforcement musculaire… Mais aussi être prête mentalement. Au final, c’est la tête qui fait la différence ».

Ce que le trail lui apporte dans le boulot ?

Quand on lance un projet informatique, c’est comme pour un trail, il faut beaucoup de rigueur pour le préparer. Le trail m’aide à persévérer. Je suis aujourd’hui davantage armée pour remettre à plat un projet si je suis confronté à des imprévus. En trail, on apprend également à gérer et à accepter ses échecs. Cela m’aide donc à relativiser au quotidien et à repartir plus forte ensuite. Enfin, comme au boulot, c’est un "travail" collectif. L’idée n’est pas de terminer première mais d’arriver au bout. Donc en trail, on s’entraide. Un jour, à après 25 kilomètres de course, je n’arrivais pas à attraper les Babybel dans mon sac. Je suis devenue toute blanche, en hyper stress, plus de jambes… à la limite de l’évanouissement. Les copains m’ont encouragée et donné du gel pour m’alimenter. Et c'était reparti.
Anne Magadur-Madelin, 47 ans, consultante AMOA chez Inetum (Nantes)

Depuis qu’elle pratique le trail, elle reconnait avoir « vachement gagné en confiance en soi » et en performance. « En course, on est face à soi-même, on a le temps de réfléchir. Désormais, je suis plus posée et capable de prendre davantage de recul sur les situations professionnelles. Je priorise mieux ».

Arnaud Marie : « Un trail, c’est comme un projet boulot. J’ai un objectif : à moi de tout mettre en œuvre pour l’atteindre. »

A gauche, Arnaud Marie, 42 ans, directeur commercial et marketing chez Compex France (Mouguerre). A droite, le même, en pleine course de trail.

Son déclic pour le trail 

En 2017, il découvre le trail. « J’ai toujours fait beaucoup de sport pour décharger le stress d’une vie professionnelle bien remplie. En me lançant dans le trail, je recherchais un certain bien-être, de la déconnexion et une forme d’évasion. C’est une activité qui se pratique hors du bruit, en pleine nature, qui permet de penser à autre chose et d’être seul avec soi-même », explique ce cadre ultra sportif.

Sa distance de prédilection

Jusqu’à 80 kilomètres.

Ce que le trail lui apporte dans le boulot ?

Sur le sujet, Arnaud Marie a les idées très au clair. D’abord, c’est un moyen de se maintenir en très bonne forme physique et mentale :

Plus je fais du sport, plus je suis en forme. Et donc très dynamique pour manager les équipes. Cela stimule également ma créativité.
Arnaud Marie

Ensuite, le trail stimule sa capacité à anticiper.

Pendant une course comme au boulot, il y a toujours des imprévus à gérer. A l’entrainement, je me prépare donc à avoir ces moments de doute. Par exemple, je m’imagine sans plus aucune force, sans envie… et je cherche des alternatives pour parer à ces situations le jour J. Cette capacité à anticiper et à me projeter me sert évidemment au quotidien dans mon job. J’anticipe au maximum. Et puis, un trail c’est comme un projet boulot, j’ai un objectif et à moi de tout mettre en œuvre pour l’atteindre.
Arnaud Marie
Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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