Femmes cadres à 4/5e : tout compte fait, qu'ont-elles gagné, qu'ont-elles perdu ?

Sylvie Laidet-Ratier

TEMOIGNAGES – Le temps partiel concerne plus d’une femme sur quatre (27% selon l’Insee) contre moins d’un homme sur dix (8%). Bien conscient que les temps partiels des femmes cadres sont moins subis que ceux d’autres professions moins qualifiées, Cadremploi a quand même décidé de donner la parole à ces femmes qui bossent un jour de moins par semaine. Pour s’occuper des enfants, pour gérer leurs parents, pour prendre du temps pour elles… Quelles que soient leurs motivations, elles nous racontent leur quotidien, ce qu’elles ont gagné et perdu dans leurs vie pro et perso en passant à 4/5e. Et elles donnent quelques conseils à celles qui songent à y passer...

Des femmes cadres passées au 4/5e témoignent et font le bilan de ce qu'elles ont perdu et gagné.

Femmes cadres à 4/5e : tout compte fait, qu'ont-elles gagné, qu'ont-elles perdu ?
Des femmes cadres passées au 4/5e témoignent et font le bilan de ce qu'elles ont perdu et gagné.

Messieurs, n'hésitez pas à témoigner sur [email protected] si vous êtes passé au 4/5e. Vos témoignages pourront faire l'objet d'un autre article. Précisez en objet "#Homme au 4/5e" et un journaliste vous recontactera.

Elodie Pereira : « Je ne voulais pas de faux 4/5e, avec baisse de salaire mais sans baisse de charge de travail »

 38 ans, chargée de recrutement chez L’Olivier

Pourquoi être passée à 4/5e ?

A la faveur du confinement le couple achète une jolie maison au Perreux-sur-Marne (94) avec pas mal de travaux à faire et accueille son second enfant. Partie en congé maternité en janvier 2021, Elodie Pereira enchaine avec un congé parental jusqu’en septembre 2021 et négocie un 4/5e à ce moment-là. « La maturité à 40 ans n’est pas la même qu’à 30 ans. Cette fois, je voulais reprendre en douceur et disposer de temps pour les enfants, de temps pour moi et mes projets personnels. J’ai pu le négocier en interne car l’équipe RH avait été réorganisée et surtout staffé de quatre personnes supplémentaires. Et puis, avec le développement du télétravail, mes tâches liées aux sujets de bureau et de « facilities » se sont trouvées réduites. Ma charge de travail est réellement passée à 80%. J’avoue que j’appréhendais effectivement cette partie-là de la négociation car autour de moi, j’ai toujours vu de faux 4/5e donc avec une baisse de salaire mais sans baisse de charge de travail », explique-t-il. A ce jour, dans le groupe qui compte environ 500 personnes, Elodie Pereira, est la seule cadre à temps partiel. En septembre 2022, elle prendra la décision de renouveler son temps partiel ou pas.

Son jour off ?

Le vendredi, pour justement pouvoir aussi profiter de temps pour soi et ses projets. « Je ne me connecte pas le vendredi, sauf parfois par curiosité mais pas à la demande de mon employeur », insiste-t-elle. Quand elle bosse, elle effectue 2 à 3 jours de télétravail par semaine.

Quid de sa baisse de salaire de 20 % ?

« On ne sent pas vraiment cette baisse de salaire car depuis qu’on a la maison et nos deux enfants, on sort moins avec nos amis, on est devenus plus casaniers. Donc on dépense moins. Ayant été en congé parental quelques mois avant mon temps partiel, on avait déjà l’habitude de revenus minorés. Là, on touche environ 200 euros de PreParE (NDLR : prestation partagée d’éducation de l’enfant) de la CAF, donc c’est gérable », argumente-t-elle. Et il n’a jamais été question que son conjoint passe à temps partiel car « il n’en avait pas la volonté, alors que moi oui. Le manque à gagner sur son salaire, plus important que le mien, aurait pour le coup eu de lourdes conséquences sur notre budget familial ».

Ce qu’elle a gagné

De la sérénité grâce à une charge de travail allégée et de la flexibilité dans son organisation de travail. Et surtout du temps pour souffler. « Parfois, le vendredi je garde ma fille mais pas systématiquement. Sinon, j’en profite pour me former sur des sujets qui me tiennent à cœur, pour m’occuper de sujets plus perso », illustre-t-elle.

Ce qu’elle a perdu

A part 20% de salaire, elle n’a rien perdu selon elle.

Ses conseils à celles qui réfléchissent à passer au 4/5e  

« Pour que cela fonctionne et pour ne pas perdre en légitimité ni en intérêt des missions, il faut accepter une certaine flexibilité. Autrement dit, accepter de travailler de manière exceptionnelle sur son jour off. Il faut également moduler son recours au télétravail durant les 4 jours de boulot. Le risque est d’être moins présente, donc moins visible pour les équipes et les managers. Il faut également être dans les bonnes boucles de communication, travailler au maximum sur des projets transverses, filer des coups de main afin de montrer sa motivation permanente même en bossant 4 jours sur 5 ».

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46 ans, responsable administrative de l’agence Oxygen
Pourquoi être passée à 4/5e ?

C’est fin 2008, à l’arrivée de son premier enfant que cette ancienne intermittente du spectacle opte pour le salariat mais à 4/5e. « Je voulais passer plus de temps avec mon enfant et les suivants (ndlr : elle en a aujourd’hui 3) mais aussi alléger les galères du mode de garde du mercredi. J’ai postulé sur une offre à temps plein et lors du process de recrutement, j’ai émis le souhait de bosser à 4/5e. Ma demande a convaincu mon interlocutrice, elle-même mère de famille. Elle savait que les femmes dans ma situation savent en général bien gérer leur temps, les priorités, les urgences. J’ai accepté une charge de travail équivalent à un temps plein avec la possibilité de gérer mon temps de travail à ma guise. Pour moi, c’est une liberté et pas une contrainte », raconte-t-elle.

Son jour off

Le mercredi pour gérer les enfants. Mais aussi pour évacuer les tâches domestiques et pouvoir profiter d’un week-end sans intendance.

Quid de sa baisse de salaire de 20% ?

En négociant son 4/5e dès son embauche, Céline Graziani n’a pas l’impression d’avoir dû faire des concessions sur son salaire. « On a négocié en même temps l’organisation de mon temps de travail et ma rémunération. C’était équilibrée selon moi », se souvient-elle. 

Ce qu’elle a gagné ?

« De la disponibilité pour mes enfants et des relations de qualité avec eux. Je m’autorise également du temps pour moi. J’ai également appris à optimiser au maximum mon temps de travail. Certes, au bureau ou en télétravail (3 jours par semaine), je fais moins de pause que mes collègues mais peu importe. Je n’ai jamais été freiné dans mon évolution de carrière. La preuve, j’ai été embauchée comme assistante administrative et je suis aujourd’hui responsable administrative, en charge de projets transverses et responsable du recrutement des stagiaires », apprécie-t-elle.

Ce qu’elle a perdu ?

« Le côté négatif c’est évidemment la charge mentale énorme concentrée sur 4 jours. Mais au final, cela fait sens pour moi. J’ai peut-être aussi perdu une certaine forme d’employabilité. Si je devais aujourd’hui chercher un autre job, ce serait nécessairement à 4/5e et pas sûre qu’un employeur accepte mes conditions », regrette-t-elle.

Ses conseils à celles qui réfléchissent à passer au 4/5e  

« Pour demander un 4/5e si on est déjà dans l’entreprise, il faut avoir démontré son efficacité et ses facultés de concentration. Et proposer une organisation intelligente à son employeur afin d’éviter de désorganiser un service par exemple. Il faut également être prête à assumer une charge mentale délirante et un rythme de travail soutenu », insiste-t-elle.

Valérie* : «  Informez clairement tout le monde de votre jour OFF »

Ingénieure dans l’industrie

Pourquoi être passée à 4/5e ?

C’est à la naissance de sa fille en 2014 mais aussi parce que son boulot est stressant et fatiguant qu’en 2014, Valérie négocie un 4/5e. « Le plus dur, ce n’est pas la baisse de salaire mais c’est de faire comprendre aux gens qui ne sont pas à temps partiel que pour moi, ils doivent par exemple alléger les délais de rendu d’un projet de 20%. Et ça, ça prend du temps », raconte-t-elle. Quand ils calent une réunion le mercredi, pas question pour elle de se connecter. « Il y a un compte-rendu tant mieux, il n’y en a pas tant pis. Si ma présence est réellement indispensable, qu’ils calent la réunion un autre jour. Avec le temps, j’ai appris à prendre du recul et à déconnecter vraiment », souligne cette ingénieure basée à Toulouse.

Son jour off 

Le mercredi pour s’occuper de sa fille puis de son deuxième enfant né 4 ans plus tard.

Quid de sa baisse de salaire de 20% ?

« C’est logique car je travaille moins, donc ce n’est pas un sujet », insiste-t-elle.

Ce qu’elle a gagné ?

« Du temps avec les enfants et du temps pour moi. Le mercredi matin, pendant qu’ils sont à l’école, je fais de la couture, des savons, je joue à des jeux vidéo. J’ai également récupéré un meilleur état de santé, c’était primordial ».

Ce qu’elle a perdu ?

Rien.

 

Ses conseils à celles qui réfléchissent à passer au 4/5e  

« Ne pas culpabiliser de ne pas être présente un jour dans la semaine. Vous serez sans doute plus efficace en bossant 4 jours sur 5 que certaines personnes à temps plein qui font du présentéisme juste parce que leur manager regarde encore les horaires et pas les résultats. Informez clairement tout le monde de votre jour OFF. Par exemple en vous mettant indisponible tous les mercredis sur les agendas partagés de la boite. Enfin, il faut veiller à un réel allègement de la charge de travail. Elle doit mécaniquement baisser de 20% sinon cela signifie que vous bosserez gratuitement. Si la charge de travail reste identique, essayez de négocier un passage à la semaine de 4 jours. Autrement dit 4 journées de travail plus longues, un jour off mais un salaire calé sur un temps plein ». 

Magali Héberard : « Avec du recul, le mercredi est le pire jour à prendre pour réellement profiter de son 4/5e »

48 ans, directrice marketing chez L’Olivier Assurance

Pourquoi être passée à 4/5e ?

A l’époque, elle était directrice conseil dans une agence de pub (BETC), et sa deuxième fille venait de pointer le bout de son nez. Les employeurs ne pouvaient pas refuser le passage à 4/5e après la naissance d’un deuxième enfant. Elle saisit donc cette opportunité, en croyant pouvoir lever le pied. Aujourd’hui, elle est repassée à temps plein.

Son jour off 

Le mercredi. « Sauf que tous les jeudis matin, on avait une réunion clients. Donc le mercredi soir, je checkais mes mails et préparait le briefing du lendemain. En réalité, je travaillais tard tous les soirs de la semaine pour compenser ma journée d’absence car dans un métier de prestation de services, le client est roi. Il faut se plier à ses exigences, présente ou pas. Et ce n’était pas possible de déléguer certaines tâches », se souvient-elle.

Quid de sa baisse de salaire de 20% ?

Magalie Héberard avait anticipé cette baisse de rémunération. En revanche, à l’époque, elle n’avait pas mesuré l’impact que cela aurait sur sa retraite. « Il faut le prendre en compte même très jeune », insiste-t-elle.  

Ce qu’elle a gagné ?

« Du temps privilégié et de qualité avec mes enfants et une logistique allégée le week-end ».

Ce qu’elle a perdu ?

« C’est évident, ce 4/5e n’a pas fait de bien à ma carrière. Mon jour off m’a fermé des portes et des opportunités d’avancement. On ne me mettait pas nécessairement sur des dossiers à fort enjeux. J’ai au final mis ma carrière entre parenthèses. Dans le monde des agences, pour accéder à des postes du direction, il faut sacrifier sa carrière. Et ce n’était pas mon choix ».

Ses conseils à celles qui réfléchissent à passer au 4/5e  

Magalie Héberard partage 3 conseils :

  1. « Si on travaille sur des projets “temps longs”, s’absenter une journée par semaine, c’est gérable. En revanche, si l’activité évolue sur un temps court, avec des urgences quotidiennes à régler, c’est plus délicat. Pour que cela soit un vrai 4/5eme, il faudra avoir de vrais relais en place pour assurer ses urgences de A à Z. Si c’était à refaire, je prendrais un 4/5e fractionné en deux demi-journées histoire de régler les urgences à raison de 3 ou 4 heures de boulot chaque jour, au lieu de devoir bosser le soir.
  2. Et puis, il me parait aujourd’hui plus opportun de poser le vendredi plutôt que le mercredi. Le vendredi, veille de week-end, les gens travaillent moins, il y a en général moins d’urgence à gérer. En fait, avec du recul, le mercredi est le pire jour à prendre pour réellement profiter de son 4/5e.
  3. Enfin, je conseillerais de se mettre d’accord avec son conjoint sur ce que l’on fait de son jour off. Dans ma génération, celle que j’appelle « génération sacrifiée », la répartition des tâches domestiques n’est pas absolument pas paritaire. Et donc le mercredi, je gérais tout et j’anticipais même les taches du week-end. J’espère que les plus jeunes générations sont plus attentives à cet équilibre-là », conclut-elle.

Stéphanie* : « Pour ne pas sortir des radars, j’ai toujours fait en sorte d’être indispensable »

53 ans, chasseuse de tête dans un cabinet parisien

Pourquoi être passée à 4/5e ?

Stéphanie aime dire qu'elle est à la fois une pionnière et « un dinosaure » du 4/5e. Il y a 25 ans, elle tente de négocier un 4/5e avec son employeur américain (mais basé en France), suite à l’arrivée de son premier enfant. Fin de non-recevoir. « On me disait mais « tu n’es vraiment pas motivée par ton job », se souvient-elle. Un ancien employeur (toujours son entreprise actuelle d’ailleurs), la recontacte et accepte ses conditions de 4/5e. Affaire conclue. Depuis, ses enfants ont grandi et Stéphanie n’a pas lâché son 4/5e.

Son jour off

Le mercredi. « Avant je m’occupais de mes enfants pendant ce jour off. Aujourd’hui, je m’occupe de mes parents vieillissants. Je fais également du bénévolat et je prends du temps pour moi. Des cours de Pilates par exemple », illustre-t-elle, toujours satisfaite de cette organisation.  

Quid de sa baisse de salaire de 20% ?

 « A l’époque, avec mon mari, on a évidemment pris en compte cette perte de salaire. Mais avec le temps, l’expérience et ma séniorité, mes bonus compensent ces 20% », précise-t-elle.

Ce qu’elle a gagné ?

Un équilibre de vie. « Quand les enfants étaient petits, je concentrais tous les rendez-vous médicaux le mercredi. Le reste de la semaine, ces sujets n’interféraient plus dans mon boulot », se souvient-elle. Aujourd’hui, ce temps pour elle est capital.

Ce qu’elle a perdu ?

Rien à ses yeux car elle n’a jamais eu l’impression de travailler gratuitement, ni d’être dévalorisée. « Pour ne pas sortir des radars, j’ai toujours fait en sorte d’être indispensable ».  

Ses conseils à celles qui réfléchissent à passer au 4/5e  

« Attention, un 4/5e peut être un frein à une mobilité externe. On ne va pas se mentir, ce sont les femmes qui prennent les 4/5e. Mes clients, donc des entreprises qui recrutent, s’interrogent encore aujourd’hui sur la capacité de la candidate à concentrer ses missions sur 4 jours. Ils se demandent également si elle pourra faire preuve d’une certaine flexibilité. A savoir parfois travailler durant son jour off. Beaucoup d’interrogations qui font qu’ils ne courent pas après ces candidatures-là », explique-t-elle.

 

*Le prénom a été modifié

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Et vous ? Etes-vous passée au 4/5e récemment ou il y a plus longtemps ? Y songez-vous ? Quel bilan en tirez-vous ? Le forum ci-dessous vous est ouvert. Nous vous lirons avec attention. N.B. : Adoptez un pseudo si vous préférez témoigner de façon anonyme. Merci à tous

Tags : Parité
Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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