Thomas, 30 ans : « J’ai quitté le conseil pour fuir l’ennui et rejoindre l’industrie où je revis enfin »

Gwenole Guiomard

SERIE « FRANCHEMENT » épisode 9 – Il aura mis sept ans pour trouver sa voie… et retrouver sa joie de vivre. Diplômé d’une école d’ingénieur, Thomas a d’abord succombé aux sirènes du conseil en organisation. Grand mal lui a pris, le costume n’était pas fait pour lui. Après trois démissions et un coaching, il a bifurqué vers l’industrie où il sent qu’il « sert enfin à quelque chose ». Il a aujourd’hui le secret espoir de contribuer à réindustrialiser la France. Il a choisi de témoigner anonymement pour confier sans filtre son virage de carrière mais aussi son « énorme bonheur » retrouvé.
Thomas, 30 ans : « J’ai quitté le conseil pour fuir l’ennui et rejoindre l’industrie où je revis enfin »

J’étais un bon élève 

« J’étais ce qu’on appelle un bon élève. Mais aussi un bon citoyen, un bon patriote. J’ai ainsi pris beaucoup de plaisir à devenir officier de réserve et commander des soldats. A 23 ans, après un DUT en génie mécanique et productique, j’ai fait une très grande école d’ingénieurs généralistes. J’ai fait ce choix pour l’excellence de l’établissement, le réseau et le joli nom sur le CV. Enfant de la classe moyenne, je voulais de la responsabilité, un job nourrissant mon ambition, changer le monde. Je me suis laissé tenter par le conseil en ingénierie. Direction La Défense, ses costards, son salaire d’entrée de 40 000 euros bruts par an (plus que le salaire de ma mère), ses afterworks.

Proche du bore-out dans une direction endormie

Je me suis retrouvé, en mission, dans une direction endormie d’un transporteur ferroviaire public – très connu – qui payait 650 euros par jour pour quasi ne rien me faire faire… J’arrivais à 11 h et repartais à 16 h. On m’appelait pour assister à des réunions, commander les plateaux repas. J’étais devenu leur « couteau suisse », comme ils disaient. Une super opportunité pour une sacrée belle planque. Je n’ai pas tenu. L’ennui m’a rendu malade. J’ai démissionné au bout de 6 mois, proche du bore-out, totalement démotivé, pas valorisé, dormant mal. Une sensation que je ne souhaite à personne.

J’ai alors quitté Paris pour ma région d’origine où l’on m’a reproposé des missions de conseil dans une ESN. J’y ai suivi une formation pour manipuler les clients, décrocher une réunion de prospection pour leur vendre des journées d’ingénieurs. Tout cela pour 45 000 euros brut par an. J’ai encore démissionné avec une grosse remise en question à la clé.

Moi, je voulais manager, avoir des responsabilités, être décisionnaire, prendre des risques, être challengé !

C’était donc cela le monde du travail ? Des bullshits jobs. Bosser s’accompagnait d’angoisses nocturnes, de week-ends de stress, d’une totale perte de confiance en moi-même. Moi, je voulais manager, avoir des responsabilités, être décisionnaire, prendre des risques, être challengé !

 

J’ai alors pris des jobs de technicien en intérim pour reprendre contact avec un vrai travail. En 2019, j’ai encore accepté une mission pour un groupe public de matériels militaires. J’avais l’impression de servir mon pays. Je me suis retrouvé dans une direction avec un excellent manager mais j’étais à nouveau sous-employé. J’effectuais le boulot donné pour une semaine en une journée. Quand je voyais l’argent dépensé pour mon inutile mission, cela m’affolait. Comment était gérée cette boite ? Car le reste du temps me permettait de pianoter sur internet à la recherche d’une voiture, d’une maison…

Une introspection pour en sortir

Cette mission s’est arrêtée au début de Covid, fin février 2020 et cela tombait bien car ma situation ne pouvait plus durer.

J’ai décidé de mener un travail sur moi-même, une introspection via une coache de mon école. Que voulais-je faire de ma vie professionnelle ? Cette personne m’a aidé à me projeter à 5-10 ans. Ce travail m’a pris trois mois mais je ne le regrette pas. En mai, mon projet professionnel était bouclé. Il fallait m’orienter vers la production, le concret, le réel pour devenir directeur de production puis arriver à décrocher un poste à responsabilités au niveau national. C’est pour cela que j’étais fait.

J’ai postulé à différentes annonces et un cabinet de recrutement m’a contacté pour un poste de responsable d’atelier d’un fabricant de fenêtre dans le secteur du bâtiment.

L’entretien d’embauche décisif

Le consultant a apprécié mon expérience managériale comme officier réserviste. J’avais aussi un back-ground technique. L’employeur avait suivi la même école que moi. On parlait le même langage. J’ai mis en avant le fait de vouloir du concret, du dynamisme, des responsabilités. Un responsable d’atelier doit tout régler pendant sa plage horaire d’activité.

J’ai convaincu pendant l'entretien. C’est pour cela que j’ai été embauché. J’ai apporté la garantie que je ne suis pas arrivé dans le bureau du dirigeant par hasard. Je me suis finalement respecté. Je me suis écouté. Cela me plaisait J’ai été embauché au milieu de l’été pour un salaire de 40 000 euros brut par an. J’en suis totalement satisfait et n’ai jamais été si épanoui.

Je ne regrette pas d’avoir autant démissionné.

Trouver sa voie

Je ne regrette pas d’avoir autant démissionné. Car j’ai trouvé ce qui me fait lever tous les matins de bonne humeur avec la fierté du travail bien fait. Cela m’a pris du temps mais cela a payé. J’ai décidé d’arrêter de faire ce pour quoi je ne suis pas fait.

Il faut savoir prendre du recul quand il le faut. Nous avons, en France, la chance d’avoir un système de chômage et des aides qui m’ont permis de me poser pour réfléchir à mon avenir. Moi, ce sera réindustrialiser la France.

Notre usine est, par exemple, dépendante de productions faites à l’étranger. En ce moment, nos difficultés d’approvisionnement sont gigantesques. C’est, je le constate tous les jours, devenu primordial de disposer d’usines de production en France.

Je sers aujourd’hui à quelque chose. Mon énergie se transforme en un produit fini qui aide des habitants à se loger.

Et après ?

Après cette expérience, je me dis que je pourrais peut-être monter ma boîte dans quelque temps. J'aime l'idée de donner du travail à mes concitoyens. C’est primordial de trouver un travail qui a du sens. C’est un trait de ma génération. Je sers aujourd’hui à quelque chose. Mon énergie se transforme en un produit fini qui aide des habitants à se loger. Je suis donc dans un cercle vertueux. Fier de mon travail, je suis engagé dans une juste cause.

J’invite mes concitoyens à faire de même. Nous n’avons qu’une vie et elle passe très vite.  Il faut donc oser, se poser des questions, douter et partir quand cela ne va pas. J’ai suivi ces conseils. Tout le monde peut le faire. Après des années de souffrance, j’ai trouvé ma voie. Et c’est un grand bonheur. »

Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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