Le grand mystère des salariés en mode "hybride" : où se cachent-ils la nuit ?

Sylvie Laidet-Ratier

TEMOIGNAGES – Et vous, où dormez-vous quand vous venez chaque semaine au bureau à Paris (ou ailleurs) et que vous ne pouvez pas rentrer dans votre sweet home ? Hôtel, Airbnb, amis, famille, pied-à-terre,... quelle solution avez-vous adopté ? Qui paie les frais, votre employeur ou vous ? En totalité ou en partie ? Quid de la prise en charge de vos frais de transport ? Retours d’expérience sans langue de bois de cadres "pendulaires".

Environ 13% de salariés en mode "hybride" doivent être hébergés quand ils ne télétravaillent pas de chez eux. Cadremploi a interrogé des cadres sur leur vécu de "pendulaires".

Le grand mystère des salariés en mode "hybride" : où se cachent-ils la nuit ?
Environ 13% de salariés en mode "hybride" doivent être hébergés quand ils ne télétravaillent pas de chez eux. Cadremploi a interrogé des cadres sur leur vécu de "pendulaires".

Et le télétravail créa le salarié "pendulaire"

Dans la dernière étude Cadremploi/Ifop, 82% des cadres estiment que la possibilité de faire du télétravail est un critère décisif pour rejoindre ou rester chez un employeur. Certains en ont même profité pour déménager loin des bureaux de leur entreprise, voire postuler dans une métropole alors qu'ils habitent à 100, 200 voire 1000 kilomètres de là.

Conséquences de ces nouvelles aspirations, le travail en mode "hybride" se répand et les TGV se remplissent de salariés "pendulaires qui télétravaillent, par exemple 3 jours à Nantes, Lyon, Marseille, Royan, Pithiviers, Metz… et 2 jours au bureau à Paris ou ailleurs, mais en tout cas en dehors de leur domicile.

Ça veut dire quoi salarié "pendulaire" ?

L'expression vient du mot "pendule" et fait référence au mouvement régulier du balancier que l'on trouvait dans les anciens modèles, qui oscille autour d'un axe. Par analogie, le salarié "pendulaire" fait des déplacements fréquents et répétitifs entre deux points géographiques : son domicile et son lieu de travail, généralement très éloignés.

Comment se logent les salariés « pendulaires » en déplacement ?

Selon une étude* Ipsos pour Flexliving (solution de logements intermittents) à paraître le 10 mai prochain, environ 1 actif sur 5 n’habite pas dans la même zone ou agglomération que celle où il travaille (18%). Et 13% d'entre eux doivent être hébergés quand ils se déplacent.

Comment se logent-ils ? 

« Les solutions d’hébergement adoptées lors des déplacements professionnels oscillent entre des solutions de dépannage ponctuel chez des amis ou chez l’habitant et des locations plus conventionnelles type hôtel, Airbnb et autres », souligne l’étude.

En chiffres, cela donne :

  • 54% des salariés "pendulaires" adoptent des solutions payantes pendant leurs déplacements
  • et 31% optent pour des solutions à moindre coût.

Combien dépensent les salariés "pendulaires" pour se loger et qui paie ?

L'étude Flexliving/Ipsos a sondé 1000 Français représentatifs des actifs* et fournit quelques chiffres sur les dépenses de ces salariés quand ils ne télétravaillent pas :

  • en moyenne, chaque travailleur hybride dépense 309 euros par mois pour son hébergement ponctuel mais récurrent.
  • Plus de 70 % des salariés concernés bossent dans des entreprises finançant au moins 50 % des frais d’hébergement (dont 27% bénéficient d’une prise en charge totale de ces frais).
  • En revanche, 17% des actifs concernés en sont totalement pour leur poche.

 

Pour avoir la version « terrain » de ces petits arrangements, Cadremploi a interrogé des cadres en mode hybride sur leurs plans logement. Entre hôtels, chambre chez leurs parents, canapé chez des potes, appartement en location très courte durée, appart mis à disposition par leur boîte, etc… Ils témoignent.

Témoignage de Noémie, 2-3 jours à Paris : pas de frais de logement mais paie une partie de ses frais de transport Paris/Troyes

 

  • Noémie Mallard, ergonome chez Génie des lieux (aménagement d'espaces de travail)
  • 26 ans
  • Habite à Troyes et vient travailler 2 à 3 jours par semaine dans les bureaux parisiens
  • Transport : un abonnement SNCF Paris-Troyes à 146 euros dont elle paie 42 euros. « Pour me déplacer dans Paris, je prends à ma charge mon Pass Navigo mensuel (84 euros). J’aurai pu opter pour des notes de frais sur des tickets de métro à l’unité mais trop compliqué à gérer », explique-t-elle.
  • Logement : Noémie loge chez ses parents habitant à Neuilly-Plaisance (93). Elle n’a donc pas de frais de logement à régler. Idem pour les frais de repas, car le soir, elle dîne au domicile familial. « Au final, je fais des économies car j’ai lâché une location de 50 m2 à Versailles à 1100 euros par mois pour un logement de 110 m2 à Troyes au même loyer mais assumé pour moitié par mon compagnon. Donc même en payant une partie de mes frais de transport, je suis gagnante », décompte-t-elle.
  • Son expérience de pendulaire : « Je suis tributaire des transports. En cas de grève, je dois m’adapter. Et puis, il y a toujours le sujet des bagages, lourds et encombrants à transporter. Je dois également anticiper les tenues à prendre quand je viens sur Paris, notamment si j’ai des rendez-vous client. C’est donc toute une organisation. C’est faisable tant que je n’ai pas d’enfants. Ensuite, ce sera à voir ».

Témoignage de Lara, 2-3 jours à Paris : système D chez des proches quand elle n'est pas à Nîmes

  • Lara Célié, consultante médias chez La Nouvelle Agence (agence de conseils en médiatisation)
  • 30 ans
  • Habite à Nîmes et vient travailler 2 à 3 jours par semaine dans les bureaux parisiens sans jours fixes
  • Transport : un abonnement SNCF Paris-Nîmes pour des trajets illimités à 300 euros par mois, pris en charge à 50% par l’entreprise
  • Logement : système D chez des amis ou de la famille, Lara alterne en fonction des disponibilités des uns et des autres. « En général, je les préviens deux semaines à l’avance. Et j’ai de la chance de pouvoir profiter d’une chambre d’ami à chaque séjour. Et je n’ai donc pas de frais. L'hôtel peut être pris en charge si je le demande, mais (pour l'instant) c'est mon choix de profiter de mes séjours parisiens pour voir ma famille et/ou mes amis », explique-t-elle.
  • Son expérience de pendulaire « J’ai été embauché alors que j’habitais déjà à Nîmes donc bien sûr que le sujet de frais de déplacement a été abordé en entretien. Dès le départ, j’ai dealé la prise en charge de la moitié de mes frais de transport en plus de mon salaire », assure-t-elle. En revanche, elle reconnait ne pas avoir cherché à savoir si sa rémunération était équivalente à celle de ses collègues parisiens.

Sylvain, 1 nuit/semaine à Paris : transport et hôtel pris en charge, mais pas le repas

  • Sylvain Laurens, head of self service, Golden Bees (expert en programmatique RH)
  • 34 ans
  • Habite à Bordeaux et vient travailler 2 jours par semaine dans les bureaux parisiens sans jours fixes
  • Transport L’abonnement SNCF Bordeaux Paris est pris intégralement en charge par l’entreprise, donc zéro frais pour Sylvain Laurens de ce côté-là.
  • Logement Une nuit par semaine, il passe donc une nuit dans un hôtel parisien avec lequel son employeur a négocié des tarifs (120 euros/ nuit). « J’envoie un mail en amont pour booker une chambre et mon employeur paie directement les frais. Pour les diners, soit je mange rapidement dans un restaurant du quartier ou alors je vais au supermarché. Ces frais de repas restent à ma charge », illustre-t-il.
  • Son expérience de pendulaire « Quand je suis sur Paris, il y a toujours une forme d’incertitude s’il se passe quelque chose à la maison et c’est déjà arrivé. Si une grève m’empêche de prendre un train retour pour Bordeaux, eh bien, je passe une nuit de plus à Paris et je fais une note de frais. J’aime ce mélange entre la vie calme, famille et ensoleillée à Bordeaux et le Paris intense et plus gris. Quand je monte à Paris, je suis un boxeur qui monte sur le ring. Mes journées de travail sont denses et enivrantes mais fatigantes. Donc je n’en profite pas vraiment pour sortir ».

Marion, lyonnaise, 2 jours/semaine à Paris : billets de train pris en charge et nuits d'hôtels remboursés sur notes de frais

  • Marion Durand, directrice marketing, Octopus Energy France (fournisseur d’électricité verte) (photo ok)
  • 34 ans
  • Habite à Lyon et vient travailler 2 jours par semaine dans les bureaux parisiens, le mardi et un autre jour libre dans la semaine
  • Transport Depuis août 2022, Marion Durand alterne entre télétravail chez elle à Lyon et 2 jours au bureau à Paris. Pour ses allers-retours en train, son entreprise prend en charge son abonnement SNCF. « Il fallait que mon choix de partir vivre en province soit juste pour tout le monde. Notamment que cela ne coûte pas à l’entreprise et que cela ne soit pas un avantage par rapport aux autres salariés. Dans la négociation, nous avons dealé que cette prise en charge impacterait mes futures augmentations », explique-t-elle. En ayant choisi sciemment un logement lyonnais à 5 minutes de la gare, elle met 2h30 porte à porte lorsqu’elle se rend au bureau à Paris.
    Logement
    Parce qu’elle a passé « l’âge de dormir sur un canapé d’appoint », Marion Durand préfère dormir à l’hôtel que chez des amis parisiens. En accord avec son entreprise, elle avance les frais d’hôtel en veillant à ne pas dépasser le plafond fixé (environ 140 euros la nuit) et se fait rembourser en notes de frais.
  • Son expérience de pendulaire « Clairement l’avantage de cette alternance est que nous avons pu partir vivre loin du stress et de la vie parisienne trépidante. Nous nous sommes également rapprochés de la famille. Ce qui est pratique. Car lorsque mon compagnon, en 100% télétravail, est aussi en déplacement, on peut solliciter l’aide de nos proches pour s’occuper de notre fils de 3 ans. Cela m’enlève une bonne partie de la charge mentale. Après, c’est vrai que ces allers-retours génèrent davantage de fatigue et nécessite une sacrée organisation », témoigne-t-elle. Mais le jeu en vaut largement la chandelle selon elle.

Hadrien, Lillois, 1 à 2 jours/semaine à Paris : aucune avance de frais et une chambre gratuite dans un coliving au 2e étage de l'entreprise

  • Hadrien Brunaux, directeur des opérations, Worklib 
  • 33 ans
  • Habite à Lille et vient travailler 1 à 2 jours par semaine dans les bureaux parisiens de l’entreprise.

 

Transport : cela fait maintenant 4 ans et demi qu’Hadrien Brunaux alterne les jours de travail dans les bureaux parisiens de Worklib (plateforme digitale qui permet aux entreprises d’organiser le travail hybride et aux salariés de réserver leurs espaces de coworking) et du télétravail chez lui à Lille. « A la naissance de notre première enfant, on a décidé de partir s’installer à Lille, proche de ma famille. Depuis notre installation, les lundis / mardi ou jeudi/vendredi, voire un seul jour par semaine, je prends donc le TGV pour Paris. Mon entreprise couvre mes frais de déplacement. Je passe par un outil de gestion, Spendesk, qui génère des cartes bancaires virtuelles pour régler mes titres de transport. Je dispose d’un forfait évalué en fonction des prix SNCF Lille-Paris qui varient très peu. Ainsi, je n’ai pas de frais à avancer », explique-t-il.

 

Logement : pour Hadrien et ses 5 autres collègues pendulaires comme lui, point besoin de galérer à booker une chambre d’hôtel ou un Airbnb. Non, son entreprise dispose de deux étages au sein d’un immeuble dans le Marais (Paris). « Quand nous avons recherché des locaux en octobre 2020, notre cahier des charge stipulait que cela devait être un lieu de coworking et de coliving. Bilan, au 2eme étage que nous occupons, il y a un plateau avec une cuisine et une grande table disponible pour travailler. Et surtout deux chambres de 3 couchages chacune et une salle de bain. Quand je viens travailler à Paris, j’utilise donc l’une des chambres », explique-t-il. Utilisateur récurrent de cet espace de coliving mis à disposition par son employeur, donc gratuit pour lui, Hadrien Brunaux dispose sur place d’une armoire pour laisser ses draps, couvertures et nécessaire de toilette. « Je ne me voyais pas me trimballer un duvet toutes les semaines. On a même une machine à laver sur place. On réserve notre place via une appli et en respectant quelques règles de fonctionnement. Par exemple, quand une collègue réserve un lit dans cet appart, les hommes se regroupent dans l’autre chambre », détaille-t-il.

 

Son expérience de pendulaire : ce jeune père de 2 jeunes enfants (et bientôt d’un 3e) apprécie ce mode de fonctionnement pendulaire. « Certes prendre le train parfois à 5 heures du matin au départ de Lille, c’est fatigant. Et cela demande une organisation au sein du couple pour assurer la garde des enfants. Mais j’y trouve largement mon compte. Lors de mes jours de télétravail à mon domicile, je suis présent pour mes enfants. J’arrête de travailler tôt pour les récupérer et m’en occuper. Et le soir, je me reconnecte. C’est en tout cas, comme ça que je conçois mon rôle de père », raconte-t-il. Quant à dormir dans la même chambre que deux autres collègues, cela ne semble pas être un sujet. Mieux, ce serait même un avantage. « Le soir, on passe donc la soirée ensemble, on partage nos vies personnelles. Dans le quotidien pro, je trouve que cela facilite même nos relations. Les dossiers avancent plus vite entre nous. Les conflits sont plus vite désamorcés… », conclut-il ce jour-là en direct de son bureau à Paris

 

*Méthodologie de l’étude Flexliving/Ipsos : 1000 Français actifs âgés de 18 à 55 ans (cadres Supérieurs Professions intermédiaires Employés) selon la méthode des quotas sur les variables de genre, âge, région. Interrogés les 20 et 21 février 2023.

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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