Luc, 50 ans, dirigeant d’association : « Manager la génération Z, c’est une vraie rupture ! »

Raïssa Charmois

VIS MA VIE DE... MANAGER #3 – Ingénieur, c’est par vocation qu’il a choisi de travailler dans le social. Luc* est à la tête de l’antenne PACA d’une association nationale qui agit depuis 30 ans contre l’exclusion. Il manage une équipe de dix jeunes collaborateurs qui accompagnent une centaine de défavorisés. Très ouvert d’esprit, il constate depuis quelques années une « nouvelle donne de l’engagement ». Et il s’adapte. Pas le choix. Il a accepté de confier ses doutes, sous couvert d’anonymat. Retrouvez en fin d’article d’autres témoignages sans fard sur la vraie vie des managers en entreprise.

Dans "Vis ma vie de manager" épisode 3, Luc raconte les difficultés spécifiques au management de jeunes Z.

Luc, 50 ans, dirigeant d’association : « Manager la génération Z, c’est une vraie rupture ! »
Dans "Vis ma vie de manager" épisode 3, Luc raconte les difficultés spécifiques au management de jeunes Z.

Un culot démesuré, dès l’entretien

Depuis 4 ans, Luc recrute pas mal. Il reçoit des dizaines de candidatures de jeunes de moins de 25 ans, la fameuse génération Z en quête de sens. « Ils arrivent bien préparés et sont très assertifs lors des entretiens. Leur forte assurance est même souvent déroutante alors qu’ils découvrent le métier. Une fois qu’ils sont en poste, la réalité de leurs compétences est tout autre », confie Luc. Comme cette jeune femme qui affiche sur son CV une parfaite maîtrise de la vidéo. En réalité, elle manie le logiciel de montage, mais son sens de la narration ou des finitions laisse à désirer… 

La solution, plus que la réflexion

A tout problème il y a une solution. Certes, mais elle n’est pas forcément digitale. « Je constate un manque de culture de l’approfondissement. Face à une problématique humaine qui nécessite du temps, de l’échange et de la réflexion, mes jeunes collaborateurs apportent une solution immédiate : l’outil. Depuis quand la souffrance humaine s’apaise-t-elle par le seul numérique ! », s’étonne Luc. Il faut dire que toutes les organisations, publiques ou privées, ont tendance à ne jurer que par le digital et à faire rentrer l’humain dans des cases Excel, les fameux reportings…

Un zapping permanent, même dans l’engagement

Au quotidien, les jeunes collaborateurs de Luc ont beau se montrer intéressés par le sens du travail social, leur attention est sans cesse accaparée par les notifications de leur smartphone ou les échanges avec les collègues. « Pour des travaux rédactionnels qui exigent de la concentration, je leur propose carrément de rester chez eux. Sinon, ils jonglent, ils ont la tête ailleurs et je dois ensuite tout reprendre. C’est chronophage ». Ce zapping, corolaire de l’accélération permanente du monde, Luc le constate également dans l’engagement : « Avant, quand on s’investissait pour les exclus, c’était pour des années. Aujourd’hui, mes jeunes collaborateurs se consacrent deux ans à cette cause, puis deux ans à la souffrance animale, et deux ans à la sauvegarde de la planète. Ils sont vite saturés. Or dans le social, l’important est de durer, d’approfondir. Ce n’est pas de faire des coups d’éclats ou du buzz ».

Le OK boomer s’invite au boulot

Une cinquantaine de bénévoles apportent un appui à l’équipe de Luc. « De la génération 68, ils sont engagés sur une seule cause et sont parfois plus fiables que les salariés, ce qui pose des questions. Lors de nos événements récurrents pour récolter des fonds, les jeunes veulent tout révolutionner, au nom de telle ou telle démarche promue sur TikTok. Ils ne comprennent pas toujours le sens d’une évolution progressive, par itération. J’estime que l’intergénérationnel est très important. C’est intéressant de rester perméable à l’expérience des plus anciens. Dans le social, l’humain s’apprend avec l’expérience ».

Une innovation et un côté lanceurs d’alertes bienvenus

Luc apprécie chez ses collaborateurs leurs nouvelles manières d’approcher le travail. « Quand l’innovation répond au besoin, c’est parfait. Un de mes jeunes a proposé un logiciel simple d’utilisation pour rédiger et mettre en page des articles dans un style journalistique. Le résultat est splendide ». Autre atout de la génération Z,  sa porosité au monde tel qu’il va (ou ne va pas). « Mes collaborateurs nous bousculent sur la transition écologique, la lutte contre les discrimination, les questions de genre, la question animale. C’est très enrichissant pour ouvrir l’association sur la société », reconnaît Luc.

Une chose n’a pas fini de me surprendre. Tous ces jeunes de 25 ans se disent sans cesse fatigués ! Fatigués de quoi ?

Fatigués…      

Reste qu’au quotidien, le dirigeant doit apprendre à son équipe que le participatif ne signifie pas que l’avis de chacun est forcément pris en compte ; que le 80/20 ne doit pas se transformer en 60/40 ; et que dans l’associatif militant, il faut pouvoir donner un coup de collier dans les moments importants. « Dans les faits, quoiqu’il arrive, à 17h02, ils sont tous partis. Ils laissent les “vieux  gérer ! S’ils restent un peu plus tard, ils veulent à tout prix récupérer leurs heures travaillées. Ils pensent parfois plus à se servir qu’à servir… », glisse Luc. Avant de conclure : « Une chose n’a pas fini de me surprendre. Tous ces jeunes de 25 ans se disent sans cesse fatigués ! Fatigués de quoi ? ». Manifestement, un nouveau rapport au monde, donc au travail, se dessine avec les Z.

* Le prénom a été changé afin de lui permettre de témoigner plus librement.

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Comme Luc, mais aussi Mathilde ou Antoine (voir ci-dessous), vous êtes chef.fe de service/d'équipe ou manager et vous avez une histoire qui peut inspirer d'autres cadres ? Laissez-nous un message à [email protected] en expliquant en quelques mots votre situation et les solutions que vous avez trouvées pour changer la donne. Précisez en objet "#VMV DE MANAGER". Un journaliste vous contactera. Si vous le préférez, votre anonymat sera respecté. Merci à vous.

>> Lire aussi : les 17 erreurs de management qui provoquent des démissions

Retrouvez les autres épisodes de la série "Vis ma vie de manager" :

Raïssa Charmois
Raïssa Charmois

Mes multiples activités me donnent accès au monde des entreprises et à ses cadres. J'observe, j'interroge, j'analyse et j'ai proposé à Cadremploi de publier le fruit de certaines de mes enquêtes.

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