
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au premier semestre 2016, l’Agefiph a octroyé 1950 aides à la création d’entreprises. Soit une hausse de 6% en un an. Cette tendance, si elle se confirme sur la fin d’année, serait de bon augure pour les porteurs de projet handicapés. En 2015, l’Agefiph avait financé 3380 aides à la création d’entreprise pour des personnes handicapées. Plus que jamais, vu le contexte économique générale et le taux de chômage des personnes handicapées (21%), la création d’entreprise est une voie privilégiée d’accès (ou de retour) à l’emploi. Qu’on s’en réjouisse ou que l’on s’alarme du renforcement de leur précarité au travers de statuts d’indépendants ou de gérant de société, les faits sont là.
« Le handicap n’est pas une compétence »
Ce constat impose néanmoins de se poser une question : est-il judicieux de créer une entreprise en lien avec le handicap quand on est soi-même handicapé ? « Le handicap ne donne pas une expertise », explique d’emblée Didier Roche, président fondateur de l’Union Professionnelle des travailleurs handicapés indépendants (UPTIH). « Le handicap n’est pas une compétence », renchérit Guy Tisserant, président de TH Conseil. Tous les deux en situation de handicap ont pourtant monté des business autour du handicap. Le premier en tant qu’associé du groupe Ethik Investment (restaurants Dans le noir, cabinet Etik Management, etc). Le second dirige un cabinet spécialisé dans le recrutement de personnes handicapées. Accompagner une entreprise sur sa politique handicap en étant soi-même handicapé donne a priori une certaine crédibilité mais présente tout de même des risques selon ces chefs d’entreprises. « Etre handicapé peut apporter un petit plus dans une intervention en entreprise si et seulement si, on est capable d’en tirer des enseignements généraux. Ce sera une moins value si on se focalise trop sur sa personne et son handicap », argumente Guy Tisserant. « Pour se lancer dans le conseil en matière de politiques handicap, le plus important n’est pas d’être handicapé mais de bien connaître le fonctionnement d’une entreprise. D’y avoir travailler pour en maitriser les rouages », souligne Didier Roche. « L’auditoire risque de ne pas s’exprimer franchement sur le sujet du handicap sous prétexte que je suis handicapé. A contrario, c’est plus facile pour moi de les interroger sur leur handicap car il n’y a pas d’ambiguïté », observe Pete Stone, fondateur du cabinet de conseil et formation en diversité Just Different. Bref, pour une activité de conseil en entreprise, il ne peut y avoir de réponse générique mais des ajustements au cas par cas. « S’il s’agit de créer une boite visant à développer une nouvelle technologie pour compenser un handicap ou faciliter la vie des personnes handicapées, alors là, être en situation de handicap peut être un avantage », précise Didier Roche.
Le handicap n’est ni un frein, ni une motivation
Maintenant est-il plus difficile de monter une boite quand on est handicapé que non handicapé ? « Une fois réglées les questions d’accessibilité et de compensation du handicap, il faut la même détermination, le même courage, la même pugnacité, la même envie pour un porteur de projet handicapé que pour un aspirant à la création d’entreprise valide », constate Didier Roche. Quant au regard des banquiers, il n’est pas radicalement différent qu’il s’agisse d’un dossier porté par une personne handicapée ou pas. « Les banquiers que j’ai contactés, m’ont prêté de l’argent non pas parce que mon business était en lien avec le handicap et que j’étais handicapé mais parce ce que mon business plan était solide et viable. Alors certes pour l’obtention de l’assurance du prêt, j’ai passé des tests de santé plus poussés afin de déterminer si mon handicap pouvait avoir une influence sur la pérennité de ma société mais ils n’ont jamais abordé le sujet directement. Les banquiers sont rationnels. Si à leurs yeux, le dossier n’est pas viable, ils ne prêtent pas. Valides ou pas », raconte Guy Tisserant. Une chose est sûre, le handicap est une caractéristique du créateur d’entreprise handicapé mais ne peut pas être sa motivation pour se lancer.
Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.